L’émotion était certainement au rendez-vous, ce jeudi au Conseil de l’Entente. Et pour cause! Les ayant cause des victimes de la tuerie du 15 octobre 1987 y avaient rendez-vous avec le juge d’instruction de l’affaire dite Thomas Sankara dans le cadre de la reconstitution des faits. Des moments décisifs pour la justice militaire de Ouagadougou qui mène le procès, mais de instants difficiles, voire pénibles, pour les parents des disparus qui revivaient, 33 ans après, les circonstances dans lesquelles les leurs sont passés de vie à trépas. Beaucoup d’eau a certes coulé sous les ponts, certains ont pardonné, d’autres ont pris ce triste événement avec la philosophie de la «révolution qui a bouffé ses enfants», mais il n’en demeure pas moins que depuis 33 ans, la justice se fait attendre. Et le dossier qui a connu des hauts et des bas, mais frappé surtout de beaucoup de passion et de phantasme connaît l’évolution à sauts de puce propre à ces genres de procédures judiciaires impliquant des acteurs et des complicités insoupçonnés. Finalement, avec les langues qui se sont déliées, des dossiers qui ont été déclassifiés par la France et surtout la chute du pouvoir de Blaise Compaoré, les prud’hommes militaires burkinabè ont ressuscité le dossier qui était destiné à un enterrement de première classe. Non pas seulement du fait de l’ancien régime, mais également à cause de ces nombreuses personnes et associations qui avaient habilement réussi à en faire un fond de commerce.
L’affaire Thomas Sankara suit donc son cours devant la justice. Pour preuve, les ayant cause des victimes de cette tragédie étaient convoqués ce jeudi 13 février 2020, par le juge d’instruction du Cabinet N°1 du Tribunal militaire de Ouagadougou au Burkina Faso. C’était la reconstitution des faits. Cette reconstitution, il y a quelques années, aucune des trois familles présentes et la vague d’avocats, juges, témoins et acteurs pour la mise en scène des faits, et pas même le citoyen lambda, ne pouvaient penser qu’elle pouvait avoir lieu un jour. Tant l’affaire a été complexifiée! Hasard du calendrier ou un de ces tours que le destin sait si bien jouer aux humains, cette procédure se tient un jeudi, comme le jeudi 15 octobre 1987, jour où, le père de la Révolution burkinabè et cinq de ses camarades sont tombés face à un escadron de la mort, un peu après 16h30. Ce jeudi, jour de reconstitution des faits, c’est un 13, 13 comme le nombre de cadavres qui jonchaient le sol, devant le bâtiment «Burkina» du Conseil de l’Entente, qui servait de siège au Conseil national de la Révolution (CNR). Après le carnage, raconté souvent par le seul survivant de la tuerie, Alouna Traoré, à l’époque, conseiller à la présidence, en charge de rassemblements de masse, les 13 corps ensanglantés, dont celui de Thom Sank, le «héros» africain de 38 ans, ont été inhumés «à la va-vite», au cimetière de Dagnoën, un quartier populaire à l’Est de Ouagadougou. En mai 2015, ils seront exhumés des tombes démolies, pour subir des analyses ADN.
Les âmes des 13 infortunés* du jeudi fatal pour la révolution burkinabè d’Août 1983, attendent le bout de ce tunnel juridique qui s’était transformé en labyrinthe sans issue, pour reposer en paix. Tout comme les parents, enfants, proches et amis des morts du «jeudi noir», espèrent que de cette affaire qui n’a que trop duré, sorte la vérité. Et que justice soit surtout faite. Mais quand? Une interrogation qui peut trouver réponse demain ou dans un temps lointain. Ou peut-être jamais, comme ces affaires célèbres, de la même veine que l’assassinat de John Kennedy, qui n’ont jamais été élucidées.
Par Wakat Séra
* En rappel, les tués du 15 octobre 1987 étaient le capitaine Thomas Sankara; le journaliste, directeur de la presse présidentielle, Babou Paulin Bamouni; le secrétaire permanent du CNR, l’adjudant Christophe Saba; l’employé à la présidence, Bonaventure Compaoré; le conseiller juridique à la présidence, Frédéric Kiemdé; le professeur de philosophie, Patrice Zagré; les cinq gardes, Emmanuel Bationo, Abdoulaye Gouem, Wallilaye Ouédraogo, Hamado Sawadogo, et Noufou Sawadogo; le chauffeur de Thomas Sankara, Der Somda; et un gendarme, Paténéma Soré, qui était venu distribuer du courrier.