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Assassinat de Thomas Sankara: « … nous devons avec courage assumer nos responsabilités » (Blaise Compaoré)

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Le capitaine Blaise Compaoré, après l’assassinat du président du Burkina Thomas Sankara le 15 octobre 1987, a affirmé dans son discours de prise de pouvoir qu’il fallait qu’ils assument avec courage leur responsabilité. « En tant que révolutionnaires, nous devons avec courage assumer nos responsabilités. Nous l’avons fait à travers la proclamation du Front populaire. (…) Ce dénouement brutal nous choque tous en tant qu’êtres humains et moi plus que quiconque pour avoir été son compagnon d’armes, mieux son ami », affirmait-il dans son discours.

Le discours intégral du capitaine Blaise Compaoré

« Peuple combattant du Burkina Faso,

Camarades militantes et militants de la Révolution démocratique et populaire,

Lorsque le 4 août 1983 à la tête des forces populaires insurgées nous sommes entrés à Ouagadougou, nous étions tous animés, Thomas SANKARA et moi, de la ferme détermination de conduire notre vaillant peuple vers un avenir radieux.

A l’époque, j’ai fait comprendre le fait d’avoir participé activement au renversement du régime de Jean-Baptiste OUEDRAOGO ne me conférait aucun droit particulier ; car en révolutionnaire, j’ai assumé mon devoir, exercé une tâche. C’est ainsi que Thomas SANKARA qui à l’époque semblait incarner à nos yeux les aspirations de notre peuple fut choisi. Cette attitude de principe écartait de mes camarades et moi toute ambition personnelle au détriment d’une cause dont l’essence réside dans la volonté de servir son peuple à quelque niveau que ce soit. Et c’est pourquoi aujourd’hui, je puis affirmer à notre peuple et à la face de l’Afrique et du monde entier, qu’il n’a été question, à aucun moment, ni pour mes camarades, ni pour moi, d’assouvir des ambitions personnelles, encore moins de les assouvir dans le sang de ceux qui, hier encore, étaient mes camarades, mais avec lesquels notre divergence était devenue fondamentale sur bien de questions.

Peuple du Burkina Faso,

L’accélération de l’histoire fait souvent défiler les évènements à une allure telle que la maîtrise par l’homme des faits devient impossible, rendant celui-ci artisan de situations non désirées. Les instants tragiques que nous avons vécus le 15-Octobre courant font partie de ce type d’évènements exceptionnels que nous fournit souvent l’histoire des peuples.

Certains d’entre vous se demandent encore pourquoi le 15-Octobre ? Depuis plus d’une année, un conflit latent, puis ouvert a opposé deux conceptions antagoniques dans la révolution d’Août. Cette situation est née essentiellement de la question organisationnelle du processus révolutionnaire de laquelle découle logiquement une série de problèmes annexes non moins importants.

La politique du fait accompli du Président du CNR, si elle était compréhensible au début du processus, devenait aventuriste et dangereuse au fil des ans, voire inadmissible du point de vue des grandes orientations politiques, économiques, sociales et culturelles définies.

Plus d’une fois, la direction politique de notre pays s’est trouvée devant le fait accompli avec le déchirant et douloureux dilemme soit de désavouer telle ou telle mesure et désavouer publiquement par la même occasion le Président du CNR, soit d’être solidaire d’une mesure manifestement erronée au regard de la lutte de notre peuple. En tant que révolutionnaires, notre travail fondamental était d’ouvrir le débat interne. Nous l’avons fait. En tant que patriotes militants, notre mission était de l’éclairer par la critique. Ce fut fait.

Face à l’obstination et en l’absence de toute évolution, nous avions tenté d’autres approches. Mais aussi sans succès.

Camarades militantes et militants,

C’est pour nous un rétrospectif douloureux, car nous avons usé personnellement de toute notre amitié, de toute notre disponibilité, de tous les arguments auprès de celui dont nous déplorons tous aujourd’hui la disparition.

Nous avons à maintes reprises répété au camarade Président du CNR que notre barque était en train de chavirer, que les décisions étaient incomprises de notre peuple, que l’improvisation, la précipitation inutile, l’absence d’informations préalables des plus hauts responsables de l’Etat concernant les mesures les plus importantes expliquaient en partie ce naufrage.

Dans sa conception, les meilleures décisions sont celles que l’on prend seul et dans la surprise générale. Une telle méthode ne pouvait qu’avoir des répercussions extrêmement dangereuses au sein de l’organe politique dirigeant, le Conseil national de la révolution et par voie de conséquence au sein du gouvernement et des structures populaires.

La crise atteint son paroxysme lorsqu’il décida au mois de juin dernier de dissoudre toutes les organisations de gauche. Je lui fis part de notre opposition à cette vision parce qu’étant une fuite en avant qui aurait pour corollaire la militarisation du pouvoir, la répression certaine des militants de ces organisations qui nécessairement opposeront résistance.

Effectivement, l’ampleur des réactions a été telle que lui-même fut obligé de reculer pour revenir à la charge sous d’autres formes, sans résultat aucun. Dépité et excédé par son propre échec, le Président du CNR entame à partir de ce moment une politique sans issue de menaces, d’intimidations, d’intrigues et bien d’autres choses encore. Mis à l’évidence en minorité, il était de son devoir, en tant que révolutionnaire, d’admettre cela et revoir sa stratégie organisationnelle.

Pour lui, cela constituait un échec personnel, inadmissible et intolérable. Il nous convoqua à plusieurs reprises à son bureau pour tenter de nous convaincre du bien-fondé de son option. Mis chaque fois en minorité, il commença à nous présenter comme des réformistes, des ambitieux qu’il fallait promouvoir pour qu’ils se taisent. Ainsi, en ce qui me concerne, lors de la dissolution du dernier gouvernement, il me proposa au poste de Premier ministre, chef du gouvernement.

En compagnon d’armes et ami, je lui signalais que tel n’était point mon objectif. Ma préoccupation était l’avancée de la révolution dans le respect des principes. J’estime, ajoutais-je, qu’il doit demeurer le chef de l’exécutif, mais qu’il lui appartenait de respecter un minimum de règles pour que nous accomplissions les nobles objectifs de la Révolution démocratique et populaire.

L’apathie et l’indifférence des masses trouvaient leur origine dans les problèmes réels dont l’ignorance, à terme, allait liquider le processus révolutionnaire. Il fallait en tenir compte et la solution ne résidait nullement dans la nomination d’un Premier ministre.

Peuple du Burkina Faso,

Il est important que chacun de nous ait une claire compréhension de la nature politique des problèmes, car c’est loin d’être des problèmes de personne. Il s’agissait de l’avenir même de la révolution. C’est bel et bien deux tendances aux vues de plus en plus divergentes qui s’affrontaient :

– la tendance du débat démocratique pour l’avancée radieuse de la révolution d’Août ;

– la tendance de la bureaucratisation, de la militarisation et de l’affirmation d’un pouvoir personnel. Une révolution qui se refuse au débat se bureaucratise, se fascise, fait peu, chavire, crée la médiocrité, la frustration des intellectuels et le désintérêt des masses.

Militantes et militants,

Nous étions convaincus, malgré l’obstination inqualifiable, de la solution par le débat démocratique. Au pire des cas, tous les camarades du Front estimaient que la solution douloureuse était de le démettre de ses fonctions ou qu’il démissionne de son propre chef. Naïvement. Car au moment même où nous nous activions à la solution pacifique et révolutionnaire, l’aile bureaucratique s’affairait à notre insu à un dénouement brutal, violent et sanglant. Ainsi, le 15 octobre, nous fûmes tous avisés de la tenue d’une réunion de concertation à 20 heures, au siège du Conseil national de la révolution dont le comité central ne s’était point réuni depuis plus de deux mois.

Naïvement encore, nous allions nous rendre à cette réunion, toujours animés de la ferme volonté de faire triompher la vérité dans le débat contradictoire. Dans notre dos, traitreusement, des mesures scélérates étaient prises :

mise en état d’alerte à mon insu de certaines unités de la 5e région militaire dont je suis pourtant le commandant. Cela s’est fait aussi dans l’ignorance totale du commandant en chef du haut commandement des Forces armées populaires :

– distribution massive d’armes à plusieurs éléments ;

– information de certains éléments de la garde présidentielle et de certains responsables de la sécurité de l’assaut final à 20 heures contre les « traîtres » tels qu’il nous présentait. Au cours de ladite réunion, nous devions être tous encerclés, arrêtés et fusillés.

Ce secret lourd, peu d’hommes peuvent le garder, surtout s’ils savent que cette bassesse était dirigée contre des compagnons d’armes. C’est pourquoi dès que cette information fut connue des soldats de la sécurité du Conseil de l’entente, la tension est montée entre les éléments de la garde présidentielle et ceux du Conseil. Cette tension n’a pu être apaisée lors de la réunion du jeudi 15 octobre au matin, réunion organisée par le responsable de la sécurité du Conseil.

Elle devait dégénérer dans l’après-midi lorsque les éléments de la sécurité du Conseil, opposés à l’exécution du complot de 20 heures, décidaient de prendre les devants. En effet, le Président du CNR et ses hommes n’avaient pas compté avec la vigilance du peuple, notamment certains éléments de la garde présidentielle elle-même et ceux affectés à la sécurité au siège du CNR. Informés à temps, les révolutionnaires sincères se sont insurgés, déjouant le bain de sang inutile.

En tant que révolutionnaires, nous devons avec courage assumer nos responsabilités. Nous l’avons fait à travers la proclamation du Front populaire. Nous continuerons à le faire sans faille et avec détermination pour le triomphe des objectifs de la révolution d’Août. Ce dénouement brutal nous choque tous en tant qu’êtres humains et moi plus que quiconque pour avoir été son compagnon d’armes, mieux son ami.

Aussi, pour nous, il reste un camarade révolutionnaire qui s’est trompé. En tant que révolutionnaires, nous lui devons une sépulture digne de l’espoir qu’il a suscité à un moment donné de sa vie. Cependant, lorsqu’il s’agit des questions politiques et surtout de la direction de la gestion d’un Etat, d’une nation, d’un peuple, nous nous devons d’aborder les questions sans excès de sentimentalisme.

Le refus obstiné de tout débat démocratique, le pouvoir personnel et l’absence de toute critique avaient fini par rendre l’homme incontestable et incontesté. Pour nous, cette méthode de travail a eu trois conséquences principales et fatales pour le processus révolutionnaire :

– le développement d’un arrivisme indécent, chacun voulant plaire au chef, le flattant bassement et finalement le conseillant à l’élimination de tous ceux qui apparaissaient comme des obstacles et ses méthodes de direction étouffantes, c’est-à-dire révolutionnaires conséquents ;

– l’installation d’une peur indicible, d’une lâcheté de beaucoup de camarades qui, soit pour ne pas déplaire, soit pour leur sécurité, ont choisi la solution de la résignation, de la résistance passive et du silence ;

– un aventurisme et un spontanéisme sur les plans économique, politique, social et culturel dont nous devons dès maintenant éliminer les conséquences. Ce lourd climat a entraîné une démobilisation à tous les niveaux.

Militantes et militants de la Révolution démocratique et populaire,

Le mouvement de Rectification du processus révolutionnaire que dirige le Front populaire a donc été favorisé par les évènements du 15 octobre 1987. Nous sommes convaincus que notre peuple qui sentait déjà la nécessité d’une rectification y participera avec détermination et soutiendra le Front populaire.

Cette révolution, il faut le dire, avait fini par ne plus exister que dans le discours, vidant ainsi les structures insurrectionnelles de leur contenu. C’est pourquoi, il faut travailler à y faire renaître la révolution afin qu’elles puissent jouer pleinement le rôle qui leur est dévolu. Aujourd’hui plus que jamais, nous devons donner une vie démocratique à nos structures par la pratique de la critique et de l’autocritique, des débats larges et démocratiques et dans le respect du centralisme démocratique sous la direction du Front populaire, organe dirigeant suprême.

En ces moments particulièrement difficiles où l’ampleur, la complexité et l’exigence des tâches à accomplir sont de nature à entretenir le doute quant à l’irréversibilité de notre victoire sur l’impérialisme, la réaction, la contre-révolution et l’opportunisme, je vous invite au travail, convaincu que vous saurez vous départir du défaitisme, de la capitulation, du sentimentalisme sans bornes et de la politique des bras ballants. Les besoins de notre peuple sont immenses et aucun peuple n’a pu construire son bonheur sans payer le prix correspondant. Pour coordonner nos efforts et les rendre les plus rentables possible, le Front populaire va bientôt publier un programme d’action rédigé à partir du bilan critique des quatre années de révolution.

Au nom du Front populaire, je lance un appel aux ouvriers, paysans, soldats, intellectuels révolutionnaires, démocrates et patriotes du Burkina, à toutes les organisations révolutionnaires et patriotes, à toutes les organisations de masse révolutionnaires et démocratiques (CDR, UFB, UNAB, syndicats, organisations de jeunesse, etc.) pour qu’elles participent à la tâche de rectification, d’approfondissement du processus révolutionnaire et à l’œuvre de construction de notre partie. Au nom du Front populaire, je réaffirme :

– notre solidarité avec tous les peuples, les nations et pays en lutte pour leur liberté, leur indépendance et leur souveraineté nationale ;

– notre soutien au principe du non-alignement et de la coexistence pacifique avec tous les Etats à systèmes socioéconomiques différents.

La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »