L’Association Racines, dans cette déclaration, lance l’alerte sur le fait que « les terroristes semblent s’acheminer vers un nouveau mode opératoire qui consiste à s’attaquer aux autorités traditionnelles, coutumières et religieuses ».
Le Burkina est devenu depuis 2015 une cible privilégiée des terroristes avec son lot important de drames humains (des centaines de morts, de blessés et de réfugiés). Circonscrites d’abord dans les régions du Sahel et du Nord, les attaques ont atteint désormais l’Est, la Boucle du Mouhoun, le Nord, le Centre-nord et l’Ouest. Autant dire que tout le Burkina est dans le viseur des terroristes dont l’objectif ultime est de détruire l’Etat et ses institutions afin d’instaurer une dictature aux antipodes des valeurs que les Burkinabè ont en partage depuis des siècles.
Il n’existe aucune justification pour le terrorisme, en dehors de la barbarie et de la volonté de nuire et de détruire. Chercher à trouver un sens à une telle bestialité, c’est faire injure à l’intelligence et à l’histoire des peuples. Le mode opératoire est classique et éprouvé. Il s’agit de s’en prendre aux symboles de l’Etat et de semer la défiance entre les populations et les garants des libertés que constituent les gouvernants et les forces de défense et de sécurité. Le harcèlement de celles-ci vise à semer le doute et à saper le moral des troupes afin de rendre toute résistance vaine et inutile.
L’année nouvelle semble marquer un tournant décisif dans la violence et la récurrence des attaques. Après les forces de défense et de sécurité, les terroristes semblent s’acheminer vers un nouveau mode opératoire qui consiste à s’attaquer aux autorités traditionnelles, coutumières et religieuses. Un tel changement est lourd de menaces car il va nécessairement induire un cycle de représailles contre des innocents qui auront eu le malheur de se retrouver aux mauvais moments et aux mauvais endroits. C’est le sens de la monstruosité qui vient de se produire à Yirgou. En effet, ni l’état d’urgence déclaré dans quatorze provinces, ni les déclarations des gouvernants, ni les prières dans les lieux de cultes, ni les marches et les déclarations de soutien aux forces de défense et de sécurité n’ont empêché les terroristes de s’en prendre impunément, et en plein jour, à une figure emblématique de la culture et de la cohésion sociale, en l’occurrence la personne sacrée du chef du village. En ces moments douloureux, l’Association Racines exprime ses condoléances à toutes les familles endeuillées et souhaite un prompt rétablissement aux blessés et un retour au bercail à ceux qui ont dû fuir leurs villages.
Il nous faut mesurer à sa juste valeur le sens de l’acte qui vient d’être accompli. En assassinant publiquement le chef du village et sa famille au milieu des siens, le terrorisme vient de s‘en prendre aux valeurs traditionnelles et aux identités premières des Burkinabè. Il s’agit de faire perdre les repères aux populations qui continuent de manifester un intérêt et une attache aux valeurs endogènes préislamiques, préchrétiennes et précoloniales. Il s’agit véritablement d’une arme de destruction massive car, une fois les repères perdus, les populations, égarées et hors de contrôle, se lancent dans une opération de vendetta, faisant ainsi l’affaire des terroristes.
L’Association Racines condamne avec la dernière énergie le terrorisme et se refuse à lui trouver la moindre circonstance atténuante. Elle condamne également avec la même détermination les actes de représailles aveugles qui sont teintés de xénophobie contre les Peuls. Faut-il rappeler que les Moose, depuis des siècles, ont construit avec les Peuls des pactes d’amitié et de fraternité si solides que toute la culture des Moose est traversée et enrichie par l’apport des Peuls. C’est une abomination que des Moose, même sous le coup de la douleur et de la colère, s’en prennent à des Peuls dont la culpabilité dans le drame qui s’est déroulé n’a été nullement prouvée. Il n’est pas digne et raisonnable que des liens de sang qui ont été construits par les ancêtres, à travers les alliances à plaisanterie, les mariages inter-ethniques et l’existence de groupes métissés que sont les Silmi-moose, soient défaits aussi facilement au détour d’un acte crapuleux perpétré par des individus sans foi ni loi. Désormais les femmes et les enfants peuls, survivants du drame, sont marqués à vie et auront du mal à se reconstruire face à ceux qui se présentent désormais comme leurs bourreaux. Il urge par conséquent que des mesures énergiques soient prises par les gouvernants pour mettre fin aux cycles de représailles :
- en apportant assistance et protection à toutes les victimes ;
- en retrouvant les auteurs de la tuerie ;
- en actionnant l’appareil judiciaire pour juger tous les meurtriers ;
- en criminalisant tous les actes xénophobes ou racistes ;
- en organisant des rituels de purification sur tous les sites où l’on a violé le pacte entre Peuls et Moose ;
- en érigeant des stèles funéraires sur les sites des drames humains ;
- en instaurant les alliances et les parentés à plaisanterie comme une matière à enseigner dans le système éducatif.
L’Association Racines invite toutes les autorités traditionnelles, coutumières et religieuses à s’impliquer dans la lutte contre le terrorisme afin d’épargner à notre pays les affres de l’intolérance et de la guerre civile. Elle exhorte les populations à un sursaut patriotique et invite les dirigeants à afficher une plus grande détermination à combattre le terrorisme à travers des actes efficaces. Enfin, elle interpelle la communauté internationale à un engagement sincère contre la vente et la circulation des armes illicites en provenance des pays développés.
Fait à Ouagadougou, le 4 janvier 2019
Racines