Elle c’est l’étoile burkinabè qui brille dans le ciel ouest-africain. Première femme astrophysicienne du Burkina Faso et de l’Afrique de l’ouest, Docteur Marie Korsaga est affiliée à l’Université Joseph Ki-Zerbo. Elle s’intéresse à l’étude de la dynamique des galaxies. Ses recherches portent sur la distribution de la matière à l’intérieur des galaxies, afin de mieux comprendre comment elles se forment et évoluent avec le temps. Docteur Marie Korsaga compte mener des actions pour vulgariser l’éducation de la science en général, et de l’astrophysique en particulier, dans les pays, comme le Burkina Faso, où l’accès à la science est limité.
Wakat Séra: Qu’est-ce que l’astronomie et qu’est-ce qui vous a inspiré à étudier l’astronomie?
Dr Marie Korsaga: L’astrophysique c’est l’étude scientifique des astres (planètes, étoiles, galaxies, etc.), de leur mouvement, leur formation et évolution avec le temps, à l’aide des lois de la physique. Je me suis toujours intéressée aux phénomènes de l’Univers à savoir l’apparition de la vie sur terre, les phénomènes d’éclipses, les étoiles filantes, etc. Mais je n’imaginais pas devenir astrophysicienne car l’astronomie était un domaine non connu au Burkina, et en plus je n’avais jamais rencontré un astronome, à plus forte raison échanger avec un, dans la vie réelle avant ma licence. Donc en grandissant, j’avais l’intention de devenir ingénieur en génie civil car j’aime aussi la construction. A ma licence, j’ai fait une licence de Physique Pure, l’astronomie venait d’être intégrée au Burkina. Je n’ai donc pas hésité à saisir l’opportunité. Aussi, mon intérêt pour les matières scientifiques m’a permis d’exceller plus facilement dans le domaine et éventuellement poursuivre des études de troisième cycle en Astrophysique.
Comment a été votre parcours? Passionnant et facile ou plutôt difficile?
Faire des études dans un domaine scientifique quand on est une femme est un peu compliqué, surtout que la majorité des gens pensent que les domaines scientifiques sont dédiés aux hommes et pas aux femmes. Par exemple, j’étais confrontée à des propos du genre, «la Physique est trop compliquée pour une femme, tu ne pourras pas faire carrière dans le domaine, tu risques de devenir folle si tu continues». Fort heureusement, ces propos ne m’ont pas influencée dans mon choix de carrière, car j’aimais les matières scientifiques et j’avais aussi le soutien de ma famille. Surtout mon père qui me faisait chaque fois savoir que les femmes peuvent aussi faire de longue études et faire carrière dans les domaines scientifiques. Cela me faisait avoir plus confiance en moi. J’ai aussi rencontré des difficultés durant ma thèse. Je me rappelle bien, pendant ma thèse, quand les résultats que j’avais trouvés n’étaient pas concordants avec les études précédentes, il fallait alors s’assurer durant de longues périodes de la fiabilité de mes résultats à travers un travail rigoureux et minutieux. Cela nous a permis de découvrir que les relations entre les paramètres de la matière noire et la luminosité des galaxies, n’étaient pas standards, comme on le pensait auparavant, mais dépendent de la structure de la galaxie (présence ou pas de bulbe dans les galaxies). Je suis très heureuse de n’avoir pas baissé les bras pendant ces périodes difficiles, même si à un moment donné j’avais l’impression que mon travail n’avançait pas.
Combien de femmes avez-vous rencontrées qui faisaient la même formation ou une formation similaire?
J’ai fait ma thèse de doctorat à Marseille (France) et à Cape Town (Afrique du Sud), donc j’ai eu la chance de rencontrer plusieurs femmes.
Vous avez soutenu avec succès une thèse de doctorat sur La distribution de la matière noire et de la matière lumineuse dans les galaxies spirales et irrégulières à l’Université de Cape Town en Afrique du Sud. Que faites-vous actuellement des résultats de cette recherche qui vous a permis d’obtenir le prestigieux rang de docteur et quelles peuvent être les retombées, à terme, de cette recherche, pour le Burkina Faso, l’Afrique et le monde?
Mes recherches ont clairement contribué à améliorer notre compréhension de la distribution de la matière noire dans les galaxies, donc à mieux comprendre l’influence de cette matière sur la formation et l’évolution des galaxies. Certains de mes principaux résultats ont déjà été publiés dans des revues scientifiques et cela permet à l’Afrique d’occuper une bonne place en astrophysique dans la communauté scientifique. De plus, mes connaissances dans la réduction, l’analyse de données et l’étude de la dynamique des galaxies pourront contribuer à atteindre les objectifs scientifiques du télescope Square Kilometre Array (SKA). Il faut noter que le SKA est un projet international incluant l’Afrique du Sud et de nombreux autres pays africains, visant à construire le plus grand radiotélescope du monde.
Combien de femmes peut-on compter dans le domaine de l’astrophysique en Afrique?
En Afrique je ne saurai vous dire mais en Afrique de l’Ouest, j’étais la seule femme il y a environ trois ans et maintenant nous sommes trois, si je ne me trompe pas.
Comment conciliez-vous l’enseignement, les recherches et votre vie de femme au foyer?
Je sépare ma vie professionnelle de ma vie personnelle. C’est-à-dire, faire ma recherche pendant mes heures de travail, et une fois à la maison me consacrer aux besoins de ma petite famille.
Jusqu’où comptez-vous aller dans les recherches et quels sont vos projets pour le Burkina Faso?
Mes projets pour le Burkina Faso: construire des planétariums afin de donner des présentations sur l’Univers ouvertes au grand public. Les planetariums permettent de vulgariser et montrer les découvertes récentes de l’Univers et valoriser la culture scientifique. Il y a aussi d’autres projets sur lesquels je mène des réflexions avec d’autres amis et collègues pour faire du Burkina Faso un pole d’excellence en astronomie/astrophysique, mais permettez moi de ne pas en parler pour le moment parce que nous sommes d’abord au début et les financements font défaut.
Quels sont vos projets professionnels en cours concernant l’astronomie?
Au-delà de la recherche, je contribue à la formation des jeunes au Burkina, à travers l’enseignement que je dispense à l’ université. Je travaille avec des collègues, au Burkina et à l’international, sur plusieurs projets visant à promouvoir les sciences de l’espace, dont l’astronomie, partout en Afrique afin de contribuer au développement socio-économique du continent. De ce fait, je suis coordinatrice scientifique pour l’astronomie sur des projets entre des pays africains et européens qui visent à renforcer le développement des sciences spatiales en Afrique. Aussi, en matière d’éducation des filles en Afrique, il y a une stigmatisation qui fait que les filles ne s’orientent pas généralement dans les filières scientifiques, car ce sont des filières dites adaptées aux hommes, car très difficiles. Donc déjà, ça crée une barrière pour les filles qui, dès les premiers obstacles, ont tendance à abandonner. De ce fait, je compte mener des actions en vue de vulgariser l’éducation de la science en général, et de l’astrophysique en particulier dans les pays où l’accès à la science est limité. Cela servira à motiver les jeunes filles et garçons, surtout les jeunes filles, à embrasser les filières scientifiques car nous avons besoin de femmes scientifiques pour contribuer au développement socio-économique du continent.
Quels conseils pouvez-vous donner aux jeunes qui aspirent à étudier l’astrophysique?
Je leur dirai d’avoir confiance en elles; c’est la clé de la réussite. Faire carrière en astrophysique nécessite un parcours en Physique et Mathématiques, donc il faut déjà cultiver l’amour pour ces matières scientifiques durant le parcours scolaire, pour pouvoir continuer en astrophysique. Je leur dirai aussi de développer un esprit curieux et un caractère résilient, car souvent dans la recherche les choses ne se passent pas comme prévu donc il faut à chaque fois s’adapter à la situation. Ce qui est bien aussi de savoir c’est que plus on avance bien dans les études, plus on peut choisir de faire ce qui nous plait réellement.
Et que dites-vous aux femmes qui ont le rêve d’aller loin dans les études, mais sont bloquées par différentes péripéties de la vie?
Ce que je peux dire à ces femmes c’est de lutter pour réaliser leurs rêves, car personne ne le fera à leur place. Je leur dirai aussi de trouver un environnement dans lequel elles peuvent s’épanouir, car c’est toujours facile d’apprendre et de réussir quand on aime ce que l’on fait. Il faut aussi noter qu’il n’y a rien de facile dans la vie, et ce n’est pas parce qu’on est une femme qu’on doit se mettre à l’idée de ne pas être capable de faire des choses dites difficiles.
L’astronomie étant une science relativement nouvelle pour l’Afrique, quel avenir peut-on lui prédire?
Aujourd’hui, l’Afrique commence à prendre conscience que le levier du développement se trouve au coeur des sciences exactes, donc dans les universités. Et beaucoup d’Etats africains commencent à faire d’importants investissements dans les domaines des sciences, technologie et innovation, surtout au niveau des sciences de l’espace dont l’astronomie. Vu les actions menées dans plusieurs pays africains, à savoir la construction de télescopes, la formation des étudiants, etc., je peux dire que l’astronomie est sur la bonne voie en Afrique. Elle avance lentement mais sûrement.
Propos recueillis par Dadavi Germaine pour Wakat Séra