L’attaque armée qui a frappé une base de l’armée ivoirienne, dans la nuit de mercredi 10 à ce jeudi 11 juin, et mis sur le carreau, au moins 10 soldats ivoiriens, et fait des blessés, ressemble fort à une action terroriste, même si Abidjan, dans l’attente des résultats des investigations et du ratissage en cours, évite de privilégier la seule piste terroriste. Pourtant, sans être un expert de la chose terroriste, on ne peut accuser, vu le modus operandi, que ces hommes sans foi ni loi qui avaient déjà endeuillé la Côte d’Ivoire en ensanglantant la station balnéaire de Grand-Bassam, en 2016. Mieux, des notes de certaines représentations diplomatiques mettaient en garde leurs ressortissants sur des menaces d’attaques dans les régions frontalières du nord et du nord-est. Comme le dit le proverbe, l’assassin revient toujours sur les lieux du crime, et cette fois-ci, c’est le poste mixte de l’armée et de la gendarmerie de Kafolo, à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, en territoire ivoirien, qui a fait les frais de l’appétit vorace des barbares qui ont fait du Sahel africain, leur sanctuaire.
Si la piste terroriste se confirme, cette attaque serait un véritable pied de nez aux armées nationales ivoirienne et burkinabè qui ont salué, il y a une quinzaine de jours, la réussite de «Comoé», une opération conjointe antijihadiste qu’elles ont menée sur les deux pays et qui s’était soldée, par la destruction, en mai, d’un QG de jihadistes, faisant huit combattants tués et une quarantaine d’autres capturés.
Que s’est-il donc passé entre le temps des lauriers portés à l’opération Comoé, qui n’aurait, du reste, pas connu cette réussite dont se sont glosée les patrons des deux armées des pays «frères et amis» de la Côte d’Ivoire et du Burkina Faso? En attendant de répondre à cette question qui interpelle les experts de la lutte antiterroriste et les dirigeants des deux Etats, on peut, sans risque de passer à côté de la plaque, dire que les représailles à cette opération ont été sans commune mesure, faisant, selon un bilan provisoire, une dizaine de soldats tués et six blessés, contre un assaillant neutralisé.
En dehors des morts de la rébellion de 2002, des plus de 3 000 morts de la crise postélectorale de 2010 qui a réalisé une comptabilité macabre inédite et les 22 tués de Grand Bassam en 2016, l’attaque de Kafolo constitue une véritable hécatombe pour une Côte d’Ivoire en pleine ébullition politique. En effet, écartelée entre les affaires judiciaires, dont la plupart montées de toutes pièces pour écarter des opposants de la course à la présidentielle d’octobre 2020 et la symphonie inachevée de la réconciliation, la Côte d’Ivoire aurait bien pu se passer de cette attaque meurtrière.
Mais cet épisode de la série qui pourrait s’intituler «Peur sur la lagune Ebrié» était bien prévisible. Non pas parce que les terroristes ne se contentaient plus du Sahel, où ils sont, du reste, malmenés par la Force française Barkhane qui vient d’ailleurs de mettre hors d’état de nuire, le 3 juin dernier au Mali, le patron de Al-Qaïda au Maghreb islamique, l’Algérien Abdelmalek Droukdel, mais simplement parce que le terrorisme s’épanouit davantage sur le terrain de la division entre fils d’un même pays. La preuve, s’il en est encore besoin, est faite par le Burkina Faso, le Mali et dans une certaine proportion, le Niger, trois pays où la cohésion sociale est fortement mise à mal. De plus, la Côte d’Ivoire, coincée justement entre ses deux voisins du Burkina et du Mali, considérés comme les ventres mous de la lutte contre le terrorisme, pouvait difficilement échapper aux éclats de la déflagration.
En tout cas, il urge de sortir du schéma du G5 Sahel qui réunit le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, la Mauritanie et le Niger, et étendre les stratégies de lutte aux autres pays de l’Afrique de l’ouest. Si la Côte d’Ivoire, l’Eléphant d’Afrique, l’un des fleurons, en plus du Nigeria, de l’économie ouest-africaine, entre dans le tourbillon dévastateur du terrorisme, comme ses voisins du Mali et du Burkina, c’est l’avenir de toute la sous-région, voire de l’ensemble du continent noir, qui est menacé. Surtout en ces périodes où le Covid-19 est loin d’avoir capitulé dans ses ravages.
Par Wakat Séra