La Côte d’Ivoire est dans l’œil du cyclone. C’est le moins qu’on puisse dire, suite aux attaques armées qui ont frappé, dans la nuit du 10 au 11 et le 12 juin, le pays où la paix était la chose la mieux partagée à la belle époque de Nana Houphouët. Si le Vieux lui-même doit certainement se retourner dans sa tombe depuis la rébellion de 2002 et la crise postélectorale de 2010-2011, particulièrement mortelles pour la Côte d’Ivoire, les nostalgiques de son règne doivent être encore plus dans le désarroi. Qui aurait cru qu’autant de sang coulerait sur les berges de la lagune Ebrié dans des guerres fratricides et maintenant à cause d’attaques terroristes? L’insécurité se limitait aux braquages de route, de magasins, de voitures et de domiciles.
Mais le diable terroriste est désormais dans la maison et visiblement, ne se contente pas de l’attentat sanglant contre la belle cité balnéaire de Grand-Bassam en 2016. L’assaut contre la base de l’armée ivoirienne de Kafolo, frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, soldé par la mort d’une douzaine de soldats, l’agression contre le poste de sécurité avancé de Gbéya, frontière entre la Côte d’Ivoire et le Mali et l’attaque contre le village de Digoualé dans l’ouest du pays qui a fait deux blessés dans les rangs des Forces de défense et de sécurité ivoiriennes et des habitations incendiées, viennent de démontrer à souhait qu’il est plus qu’urgent pour la Côte d’Ivoire de faire de la lutte contre le terrorisme, sa priorité.
L’heure est d’autant plus grave que le système de défense a montré de grosses lacunes. L’attaque de Kafolo ne devait pas être une surprise compte tenu des informations qui ont circulé autour et devaient alerter même le plus piètre des services de renseignement du monde. Mieux, les représentations diplomatiques comme celles des Etats-Unis et de la France avaient mise en garde, leurs ressortissants sur les menaces sécuritaires, notamment dans le Nord ivoirien, aux frontières avec le Burkina Faso. Même que l’opération dite «Comoé», conjointement menée par les armées burkinabè et ivoirienne, et qui a été émaillée de fuites, devait amener les armées de la Côte d’Ivoire et du Burkina à s’attendre à des représailles de la part des terroristes. Pourquoi rien n’a été fait pour anticiper et déjouer ces attaques et, le cas échéant, neutraliser les assaillants en faisant refermer sur eux leur propre piège mortel?
Pour le bien de l’Afrique de l’ouest, il est temps de sortir du schéma trop réducteur du G5 Sahel qui rassemble le Mali, le Niger, le Burkina, le Tchad et la Mauritanie, et étendre la lutte contre le terrorisme à toute la sous-région, à travers des mécanismes militaires et des plans de développement élargis à l’espace de la Communauté économique et de développement des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) par exemple. Surtout que la mort, le 3 juin dernier de l’émir d’Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), Abdoulmalek Droukdal, tué par les forces françaises au Mali, ne peut qu’entraîner, elle aussi, des actions de représailles de la part de ses combattants. Qui plus est, partageant des frontières avec le Mali, où deux casques bleus de nationalité égyptienne ont été tués samedi 13 juin, et le Burkina, territoires sur lesquels les attaques armées font rage et endeuillent au quotidien l’armée nationale et les civils, la Côte d’Ivoire, convoitée par les terroristes en quête d’une ouverture sur la mer, ne peut qu’être une cible de choix.
Les autorités ivoiriennes obnubilées par les élections, notamment la présidentielle d’octobre prochain qui crée une guerre de positionnement sans précédent et une concentration disproportionnée des forces contre les opposants, doivent recentrer leurs priorités sur la lutte contre le terrorisme pour ne pas laisser le phénomène s’enraciner. Il n’est jamais tard pour bien faire, dit le dicton. Du reste, le déploiement dans les semaines prochaines des Forces spéciales européennes dans le Sahel, par le biais de l’opération Takouba, annonce de la ministre française des Armées, Florence Parly, pourrait également donner de l’espoir dans cette lutte qui, malgré les succès que s’arrogent les Forces Barkhane et du G5 Sahel et les armées nationales, est sans fin, pour le plus grand désespoir des populations massacrées et exilées dans leur propre pays.
Par Wakat Séra