Un monument de la presse africaine vient de tomber, dans la plus grande discrétion à Paris. Bechir Ben Yahmed, le fondateur de JA, 93 ans, est décédé, ce jour des suites du Covid 19 pour lequel il était hospitalisé depuis fin mars. Usant une fois de plus de ces clins d’œil dont il a seul le secret, le destin a arraché BBY à l’affection de sa famille de la presse, ce 3 mai, journée consacrée à la commémoration de la liberté de la presse. Ce n’est pas rien, car BBY était un véritable pionnier de la presse africaine. «C’est une certaine Afrique qui s’en est allée à travers ce grand témoin de notre histoire», dira, d’ailleurs, le président nigérien, Mohamed Bazoum, rendant hommage à l’illustre disparu. De L’Action, magazine qu’il a créé en 1956, le journaliste et éditorialiste qui a milité pour l’indépendance de la Tunisie alors sous protectorat français, passera, en 1960, à l’Afrique Action, l’ancêtre direct de Jeune Afrique dont les colonnes ont été animées par des plumes célèbres comme Frantz Fanon et l’académicien et Prix Goncourt Amin Maalouf, citées par nos confrères de RFI. Celui qui était aux côtés de Habib Bourguiba, a rencontré, dans sa vie de journaliste, la plupart des grandes figures de l’histoire politique contemporaine, de Gamal Abdel Nasser à Léopold Sedar Senghor, en passant par Patrice Lumumba, Ho Chi Min et le révolutionnaire Che Guevara,
Si son géniteur a, lui, accusé le poids de l’âge, Jeune Afrique, elle, est restée…jeune. Journal de symbole, la bible de la presse africaine, qui a vu le jour en 1960, année d’indépendance de la plupart des pays africains, n’a pas pris la moindre ride. Même qu’elle s’offre régulièrement des cures de jouvence à travers de nouveaux créneaux médiatiques comme le magazine et surtout son édition en ligne. Jeune Afrique ou JA, c’est la référence pour les intellectuels et surtout les politiciens africains. A l’époque, et même de nos jours, figurer sur l’une des pages de Jeune Afrique, a fortiori en faire la UNE, n’était pas donné au premier venu. Certes, les publi-reportages dont les coûts, à JA, ne sont pas non plus à la portée de tous, offrent de plus en plus, et première de couverture et pages intérieures entières, à des dirigeants et autres personnalités qui misent gros. Ce fut, d’ailleurs, l’une des récriminations portées par bien de confrères locaux contre JA, ceux-ci étant délaissés par leurs dirigeants en quête d’une certaine audience internationale et de côte auprès de leurs partenaires techniques et financiers, alors qu’ils sont vomis par leurs peuples.
Toute chose que les contempteurs de JA, n’hésitent pas, parfois à raison, à brandir comme une dérive de l’information. En tout cas, sans doute à cause de l’audience et la notoriété que JA s’est taillées, non sans difficulté, bien des chefs d’Etat africains se refont, facilement, une virginité à travers les colonnes du bébé porté depuis des décennies par BBY et son cercle rapproché, composé de membres de sa famille. Rien de plus normal, surtout en ces temps de vaches maigres pour la presse, notamment celle écrite, pour qui compter sur la vente des journaux pour vivre, que dis-je survivre, est simplement suicidaire. Sauf qu’il est important de bien mettre en évidence, la démarcation entre l’information journalistique et la communication pure. Ce qui n’est pas toujours le cas, et c’est loin d’être l’apanage de JA, la recherche du gain prenant aisément le pas sur le devoir d’informer, que ce soit dans la presse internationale ou nationale.
BBY a donc cassé la plume pour de bon, laissant derrière lui, une entreprise de presse qui, il faut l’espérer, survivra à son géniteur, et fera des émules, dans un monde où la viabilité des organes de presse est devenue une problématique.
Salut l’artiste!
Par Wakat Séra