Dans cette allocution prononcée le 19 mai à Niamey, à l’occasion de la présentation du prix Mo Ibrahim 2021 qui a été décerné à son prédécesseur et alter ego, Mahamadou Issoufou, le président nigérien Mohamed Bazoum, redis au lauréat, toute sa fierté et celle de tout le Niger. Il faut noter que l’ancien président burkinabè Roch Marc Christian Kaboré était présent à cette cérémonie.
Monsieur le Président,
Il y’a de cela un peu plus de 2 ans dans cette même salle, à l’occasion de mon investiture comme Président de la République j’ai eu pour vous des mots tellement élogieux qu’il me paraît difficile d’en dire davantage aujourd’hui, même à l’occasion d’une cérémonie spéciale d’hommages. Mais l’événement qui nous réunit cet après-midi est trop beau pour que je n’en saisisse pas l’occasion pour m’exprimer, dussé-je pour cela me répéter d’une certaine façon. En vérité, le risque que je me répète est peut-être peu probable, tant il est vrai que ces deux années m’ont permis de vous connaître encore plus et de découvrir combien vous êtes pénétré des valeurs de la démocratie et des idéaux de la République.
Je lis avec amusement les nombreuses théories développées par tous ceux qui ont fait de notre relation actuelle, vous et moi, une spécialité et qui jouent aux Cassandre. Je voudrais leur dire une fois encore qu’ils en seront pour leurs frais et que, tel Drogo du roman «Le désert des Tartares» de Dino Buzzati, ils s’épuiseront à scruter l’horizon et à attendre en vain.
En effet, Mesdames, Messieurs, le comportement du Président Issoufou dans son rapport au gouvernement et à l’Etat depuis avril 2021 est une autre contribution de sa part à l’établissement de mœurs politiques modernes dans notre pays, au diapason des valeurs de la démocratie et de l’Etat de droit. Cela parce que plus que quiconque il sait que là où les règles et les principes sont respectés, les tensions et les conflits sont exorcisés en leur principe. N’étant plus Président, il s’est assigné de nouvelles occupations qui lui demandent par bonheur plus de temps qu’il ne peut avoir. Et la chose qui le rend le plus heureux c’est de mener une vie où il est totalement maître de son agenda, loin, très loin des affaires de l’Etat.
À regarder de près, ce profil républicain tel qu’il en fait scrupuleusement montre en tant qu’ancien chef d’Etat ne devrait pas nous surprendre, nous autres qui l’avons connu dans le cadre de la vie de notre parti depuis qu’en fondant celui-ci en décembre 1990 nous l’avons mis à sa tête.
Il suffit de voir ce que sont devenus les trois autres grands partis protagonistes des élections de l’année 1993 pour comprendre la chance qu’on peut avoir de bénéficier d’un leadership avisé. La première des qualités d’un chef c’est en effet d’estimer et de respecter ses compagnons. C’est la condition de leur fidélité et de leur loyauté. Respecter et estimer ses compagnons c’est considérer que chacun a une place, un rôle, un mérite et des droits. C’est sur ce socle solide que nous avons bâti notre unité et affronté toutes les épreuves ensemble.
Mesdames, Messieurs,
Comme on peut bien le voir, les contraintes de la gouvernance d’un parti sont identiques aux exigences de la gestion d’un État en régime de démocratie. La loyauté pour un chef de parti vis-à-vis de ses compagnons est une figure de la loyauté pour un chef d’Etat vis-à-vis des institutions étatiques, consistant dans le respect des règles de fonctionnement de celles-ci. En pastichant le proverbe on peut sans risque de se tromper dire en l’occurrence «dis-moi quel dirigeant de parti tu as été, je te dirai quel chef d’Etat tu seras». Le Président Issoufou pour ne s’être jamais pris pour un homme providentiel était resté à la tête de son parti, un homme ordinaire, en harmonie avec ses camarades dans le cadre d’une relation fondée sur le respect des règles et des valeurs dont l’observance stricte a garanti la viabilité du projet commun.
Dans l’exercice du pouvoir, cette même éthique lui a servi de référentiel. C’est cette humilité axiologique pour ainsi dire qui va en effet le mettre à l’abri de toute forme de tentation déraisonnable. Au terme de ses deux mandats, il s’en est allé, non sans avoir favorisé les conditions d’élections libres, démocratiques et transparentes, laissant son pays doté d’institutions raffermies et de réelles capacités à faire face aux nombreux défis d’un contexte et d’un environnement particulièrement défavorables au Sahel, marqués comme on le sait par l’impact de la violence terroriste et du changement climatique. Il s’en est allé de façon totale, le cœur léger, la conscience tranquille, sans la moindre peur car ceux qui ont peur de quitter le pouvoir usent de tous les moyens de violence juridique et physique pour se maintenir.
Monsieur le Président, les Nigériens sont très reconnaissants de ce que vous avez fait pour notre pays; ils sont très fiers pour ce que vous représentez en Afrique. Cette alternance que vous avez facilitée a donné à notre pays notoriété et prestige sur le plan international. Sur le plan national, elle aura pour effet de dédramatiser la bataille pour la conquête du pouvoir, dès lors qu’il est désormais établi qu’on peut y accéder de façon pacifique. Votre nom est passé à la postérité pour avoir été associé à un geste tout d’élégance et de panache, et les générations futures en écriront la geste, fabuleuse. Votre geste restera un grand défi pour tous ceux qui viendront après vous. Ils n’ont plus d’autre choix que de respecter la constitution et éviter à notre pays les tribulations inhérentes à la tentation du pouvoir éternitaire.
Le prix Mo Ibrahim que vient de vous décerner la prestigieuse fondation éponyme est une belle consécration.
Je voudrais, au nom du peuple nigérien, exprimer mes sincères remerciements à cette fondation tout en vous souhaitant longue vie.»