«Nous avons l’obligation d’avancer ensemble pour résister aux pouvoirs publics et économiques». C’est la conviction du président de la Société des Editeurs de la Presse privée (SEP), par ailleurs directeur de publication du bimensuel «Le reporter», Boureima Ouédraogo qu’il nous a confiée, dans un entretien accordé à Wakat Séra. M. Ouédraogo est aussi revenu sur les conclusions de l’Assemblée générale tenue le samedi 3 novembre dernier à Ouagadougou, qui a abordé les préoccupations liées aux médias dont la fragilité économique à laquelle font face les entreprises de presse.
Pouvez-vous revenir sur l’Assemblée générale que la SEP a tenu le samedi 3 novembre dernier ?
D’abord il faut préciser que c’est une AG ordinaire statutaire qui se tient chaque année. Elle a réuni une vingtaine d’éditeurs de la presse écrite et en ligne qui sont venus des différentes rédactions de Ouagadougou, de Bobo-Dioulasso et aussi de Koudougou. A cette rencontre, nous avons eu à l’ordre du jour deux points majeurs. Le premier c’est l’adoption du rapport d’activités, donc le rapport moral et financier du bureau, et aussi l’adoption et la validation du plan stratégique de l’ensemble des activités que la SEP compte conduire entre 2019 et 2023. Voilà un peu les principales articulations de cette activité qui s’est tenue en une journée à Ouagadougou.
Succinctement qu’est-ce qu’on peut retenir, entre autres, comme conclusions à l’issue de cette réunion ?
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’en 2018 la SEP a mené un certain nombre d’activités notamment en termes de plaidoyers auprès des autorités sur des questions relatives aux créances de l’Etat vis-à-vis des entreprises de presse. Nous avons aussi mené la réflexion autour d’un certain nombre de préoccupations dont les questions de l’impression et de la distribution. La réflexion sur ces préoccupations nous a justement amenée à rechercher les moyens pour l’élaboration d’un plan stratégique en termes de remobilisation de tous les acteurs pour qu’on puisse ensemble examiner tout ce qu’il y a comme problèmes qui touchent les entreprises de presse. Nous n’interférons pas dans les choix stratégiques internes de chaque organe de presse. Nous nous positionnons sur des questions stratégiques qui touchent l’ensemble des entreprises de presse. Nous essayons aussi de voir si un membre à des soucis, comment défendre sa cause parce que c’est ensemble qu’on est fort.
Ce qu’il faut souligner aussi, c’est que nous tenons cette AG à un moment où la plupart des entreprises de presse écrite et en ligne sont confrontées à une certaine précarité, une certaine fragilité au plan économique. Donc nous menons aussi la réflexion pour voir comment créer les conditions pour une relance économique de l’entreprise de presse. Voilà un peu les principales décisions que nous avons pu prendre lors de cette AG en disant que nous avons aujourd’hui, l’obligation d’avancer ensemble pour résister aux pouvoirs politiques et économiques qui ne sont pas forcément les amis de la presse. Nous avons aussi adopté le plan stratégique qui décline un certain nombre d’activités pour une période de quatre ans (2019 – 2023)
Vous avez aussi évoqué l’épineuse question de la cotisation des membres je présume, qu’est-ce qui a été arrêté à ce niveau ?
C’est une autre décision forte que nous avons prise, concerne effectivement cette question. Nous avons estimé qu’étant une organisation, ce qui fait notre force, c’est le respect des textes que les membres se fixent eux-mêmes. Or au niveau des statuts de la SEP, nous avons estimé que chaque membre doit payer ses cotisations qui sont de 10 000 FCFA par mois, soit 120 000 F par an. Et que les statuts disent clairement qu’à l’AG élective, seuls les membres à jour de leurs cotisations sont électeurs et éligibles. Déjà l’année dernière, nous avons abordé la question et nous avons estimé que comme il y avait beaucoup de membres qui traînaient des arriérés, il fallait laisser tomber les arriérés jusqu’en fin 2016. Du coup, tous les membres doivent payer leur cotisation depuis le premier janvier 2017 jusqu’à nos jours. Et ceux qui ne sont pas à jour ne pourront malheureusement pas être ni électeur, ni éligible à la prochaine AG qui est une assemblée élective pour le renouvèlement du bureau.
Au jour d’aujourd’hui, combien l’Etat doit-il à la presse privée de façon précise?
On en a parlé au cours de l’AG et on a estimé qu’il fallait qu’on réévalue parce que le souci qu’on a eu au cours de l’année 2016 suites à nos rencontres avec les plus hautes autorités y compris le chef de l’Etat (Roch Kaboré) lui-même, nous avions effectivement décliné le principe d’évaluer ce que l’Etat doit aux entreprises de presse écrite et en ligne. Nous avons demandé à tout le monde de faire le point de ce que l’Etat leur devait pour qu’on puisse le soumettre au gouvernement. Ce travail a été fait et la dette cumulée de l’Etat envers nos membres était évaluée à environ 300 millions francs CFA. Les autres organisations patronales aussi avaient évalué la leur et globalement pour l’ensemble des entreprises de presse, on était autour de 650 millions FCFA. L’Etat s’était engagé à apurer ses créances. Il y avait un certain nombre de factures qui avaient été réglées au niveau de certains organes mais le souci qu’on a eu, c’est qu’on n’a pas encore pu faire le bilan de toutes les créances pour voir combien a été réglé jusque-là, et combien il en restait.
Le problème, c’est qu’il y a de nouvelles créances qui sont venues s’ajouter à ce qui existait déjà. C’est un gros travail que nous allons entreprendre très prochainement. Nous allons travailler pour avoir une idée exacte sur le niveau de l’endettement de l’Etat vis-à-vis des entreprises de presse. Il y a une autre question et pas des moindre, à savoir le Fonds d’appui à la presse privée (FAPP) qui devrait aussi aider à financer des projets de développement des entreprises de presse, mais qui traîne à se mettre en place. Et l’Assemblée a décidé effectivement d’instruire le bureau afin qu’on rencontre les autres organisations pour reprendre les discussions avec le gouvernement parce qu’on a l’impression que ce gouvernement n’a pas compris l’esprit de ce fonds. Ce fonds existe déjà dans d’autres pays donc ce n’est pas une innovation en tant que tel. Nous avons commencé le combat pour la mise en place de ce fonds depuis sous le régime de Blaise Compaoré, sous l’ex-Premier ministre Luc Adolphe Tiao et heureusement la Transition a pris le dossier en main et a bouclé le processus.
Donc il est bon que les organisations professionnelles reprennent les choses en main afin de faire le plaidoyer pour expliquer davantage l’esprit et la lettre du Fonds aux autorités pour qu’elles comprennent que quand on veut construire un Etat de droit, il y a un minimum d’engagement dont il faut faire preuve. D’ailleurs, il y a une directive de la Communauté économiques des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui enjoint effectivement aux gouvernements de soutenir les entreprises de presse qui sont des acteurs à la fois de promotion de bonne gouvernance, d’interpellation des pouvoirs publics, mais également d’information, de formation, éducation et sensibilisation entre autres des populations dans nos contextes. S’il le faut, on prendra toutes les dispositions nécessaires, y compris aller même à des actions fortes en termes d’interpellations ou de protestations.
Le gouvernement est soucieux du traitement de l’information sécuritaire actuellement, raison pour laquelle son porte-parole, le ministre de la Communication Rémis Dandjinou a initié une rencontre avec la presse sur ce sujet. Quelle est l’appréciation de la SEP ?
Je n’y étais pas parce que j’étais hors du pays mais de ce qui m’est revenu, c’est qu’effectivement le traitement de l’information sécuritaire en cette période a été le sujet phare de cette rencontre. Mais au niveau des autorités gouvernementales et militaires, j’ai l’impression qu’on laisse l’ombre pour la proie. Le traitement de l’information sécuritaire est fonction aussi de tous les dispositifs en termes de communication que le gouvernement met en place pour accompagner les médias. Aujourd’hui, quand vous voulez parler des questions sécuritaires, vous avez du mal à trouver un interlocuteur, au niveau de la haute hiérarchie de l’armée pour expliquer ce qui se passe sur le terrain. Au lieu de convoquer les journalistes à une rencontre pour s’apitoyer sur des détails, moi je pense qu’il faut plus mettre l’accent sur notre responsabilité collective par rapport à ce qui se passe aujourd’hui pour voir comment on peut construire avec les médias, un système d’information et de communication qui satisfait les préoccupations déontologiques des médias mais également qui permet d’éviter qu’on fasse l’apologie du terrorisme. Le plus important aujourd’hui doit être qu’est-ce qu’on fait pour que les médias puissent accéder à l’information crédible et qu’il y ait un traitement professionnel de l’information. Si toutes ces mesures étaient prises et que l’on constate qu’il y a des dérives, là effectivement, le gouvernement est fondé à se plaindre.
Sinon, quand on regarde de façon globale, je crois que la presse burkinabè a été jusqu’à présent très responsable dans le traitement des questions sécuritaires. Avec ce qu’on a connu et ce qu’on vit, si c’était dans d’autres pays on allait assister à des dérives extraordinaires. Moi je pense qu’il faut même féliciter ceux qui font bien leur boulot pour ne pas faire l’apologie des terroristes et inviter les confrères à redoubler d’ardeur et d’effort. Enfin, il faut rappeler que l’information est un droit constitutionnel et que le gouvernement et la haute hiérarchie militaire ont le devoir de communiquer au peuple les informations relativement à la situation sécuritaire actuelle.
Le citoyen lambda estime également que le journaliste d’aujourd’hui ne fait pas plus qu’hier ?
Je ne crois pas. Je crois plutôt que la matière du journaliste, c’est l’information. Il faut un cadre où les acteurs qui sont les protagonistes de l’information puissent donner les informations. Or, nous sommes dans une situation où ces acteurs ne donnent pas l’information aux médias. Prenons par exemple l’état-major général des armées qui est sensé piloter tout le dispositif. En dehors de quelques communiqués laconiques, qui peut dire exactement qui est le porte-parole de cette institution-là. Or, toutes les rédactions devaient avoir des entrées, des contacts joindre en cas de besoin. Le citoyen a raison de reprocher au journaliste de ne pas lui donner l’information qu’il attend mais ce n’est pas faute d’avoir essayé puisque le journaliste ne produit pas les évènements et les faits mais rend compte. Si le journaliste se met à inventer les faits, c’est le même citoyen qui va commencer à se plaindre et à un moment ça va être très grave. Donc il faut faire comprendre aux gens que, si aujourd’hui, les journalistes n’ont pas les informations, c’est parce que ceux qui sont sensés communiquer ne le font pas. En ce moment, le journaliste ne peut pas faire autrement. Et comme c’est une matière sensible aussi, notre responsabilité sociale en tant que journaliste nous impose d’éviter d’aller chercher des choses qui ne sont pas forcément vérifiées et qui peuvent porter préjudice à la cohésion sociale nationale.
Une fois que ces questions-là seront levées, je suis sûr que la plupart des journalistes feront l’effort d’aller à l’information pour pouvoir en retour la porter à l’attention des populations. Et à ce moment, vous allez voir que même les populations vont mieux collaborer dans cette lutte. Est-ce qu’il y a des dispositions qui sont prises pour leur sécurité quand ils (citoyens) viendront faire des dénonciations ? Or, on ne voit rien de tout ça pour rassurer les gens et ça c’est extrêmement grave.
Que pensez-vous de la nouvelle équipe du Conseil supérieur de la communication (CSC) ?
Moi je fais partie de ceux qui pensent que c’est au pied du mur qu’on reconnait le vrai maçon. C’est vrai que la nouvelle équipe, notamment, son président part déjà avec des préjugés défavorables parce qu’il vient directement de la présidence où il était Conseiller spécial du chef de l’Etat. Du coup, il ne peut pas empêcher les gens d’avoir des doutes sur sa neutralité. Pour le moment, il n’a pas encore posé un acte qui nous permet de douter de sa capacité à transcender ce lien partisan qu’il a avec le pouvoir en place. Donc moi j’attends de voir qu’est-ce qui va être fait ou pas, parce que c’est les deux. En effet, il peut être tenté de faire des choses pour arranger le pouvoir. Mais du fait de sa posture politique, notamment sa proximité avec le pouvoir, peut l’amener à être tenté à ne pas agir même quand il y a des dérives pour éviter qu’on l’accuse d’être en mission pour son camp politique. Mais c’est à eux de faire en sorte que chaque action qu’ils vont poser soit au-dessus de tout soupçon en termes de parti pris, vis-à-vis des chapelles politiques. Donc nous attendons de voir jusqu’où ils vont aller et à partir de là on avisera. Le jour où on va voir qu’il y a des initiatives qui sont prises et qui semblent être mues par des relents politiciens, nous ne manquerons pas de prendre nos responsabilités parce que dans tous les cas, à l’heure où nous sommes, il n’est plus possible de brimer un organe de presse et nous n’allons pas l’accepter.
Les plagiats des articles de presse sur les réseaux sociaux sont devenus excessifs actuellement, qu’est-ce que la SEP compte mener comme action pour lutter contre ce phénomène ?
Cette question a été abordée au cours de l’AG. Actuellement ce qui se passe ce n’est même pas du plagiat mais c’est du piratage. Même nous qui ne sommes pas en ligne mais en support papier, vous faites un article sur une enquête et pendant que vous êtes sur le marché pensant bien vendre, il y a un quidam qui scanne tout l’élément et le met sur Facebook juste pour avoir des « j’aime » et ça c’est extrêmement grave. Nous avons pensé qu’il faille entreprendre des démarches auprès des autorités compétentes pour que les gens sachent que les réseaux sociaux ne sont pas des espaces de non droit et qu’on ne peut pas impunément porter préjudice aux intérêts économiques de l’entreprise de presse. Nous allons nous donner les moyens de pouvoir engager un certain nombre d’activités dans ce sens-là de sorte à ce que nous puissions poursuivre ceux qui se livrent à ce genre de pratique-là devant les juridictions compétentes. Il faut effectivement, ne serait-ce que pour dissuader les gens dans une démarche pédagogique, que nous engageons une action dans ce sens. Il faut même qu’on se sensibilise entre nous parce qu’au niveau de la presse, il y a n’en qu’on dit qu’ils sont une presse en ligne mais dans la réalité se contentent de reprendre ou de copier les textes des autres. Ça également ce ne sont pas des pratiques professionnelles et il faut le dénoncer aussi.
Une autre préoccupation concernant toujours la presse en ligne, c’est la floraison de création des médias en ligne qui ne respectent pas les textes en vigueur. Selon vous qu’est-ce qui doit être fait pour réguler ce milieu ?
Cette question relève en premier chef de la responsabilité du CSC puisque la loi a prévu des conditions pour la création d’une entreprise de presse en ligne. Selon les textes, quand vous créez un organe, c’est d’abord une entreprise et il y a un minimum de conditions qu’il faut remplir. Quand c’est la presse écrite, vous avez l’obligation d’avoir trois journalistes professionnels. Quand c’est la presse en ligne, il vous faut obligatoirement au minimum deux journalistes professionnels. Pour les médias audiovisuels, il faut avoir trois professionnels dont un technicien. Après tout ça, il faut avoir forcément un siège et une adresse. Et ce n’est pas de notre ressort de veiller au respect de ces textes. C’est au CSC et toutes les institutions compétentes de l’Etat en matière de veille à l’application de ces textes.
Ce que nous pouvons faire, c’est seulement sensibiliser et dénoncer. Il va falloir peut-être qu’à notre niveau, nous ayons le courage de dénoncer certains de nos confrères parce que ce n’est pas parce qu’on est journaliste que je me lève un matin et je dis que je ne veux plus faire de la presse écrite et je crée une presse en ligne. Ça demande beaucoup plus de choses que ça. Si nous ne dénonçons pas à l’interne, il ne faut pas qu’on s’attende à ce que les institutions étatiques s’auto-saisissent de cette question et fassent le nettoyage autour de nous.
Par Bernard BOUGOUM