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Burkina 2014, rappel sur une insurrection exemplaire

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photo d'archives

L’insurrection d’octobre 2014, au Burkina Faso, et la transition qui a suivi, méritent encore une fois qu’on y revienne, tant elles restent mémorables. Nous prenons ci-dessous le temps d’en rappeler la genèse, le déroulement des événements et d’ajouter quelques analyses. Nous terminons par quelques réflexions sur ce qui se passe actuellement au Burkina.

L’aspiration des peuples à la liberté est une constante de l’histoire. Dans le monde d’aujourd’hui, dans de nombreux pays, les unes après les autres, éclatent des révoltes populaires, des insurrections. Beaucoup tournent à l’échec pour des raisons propres à chaque pays. Mais lorsqu’une insurrection est exemplaire, il est impératif de la valoriser et de partager les analyses. L’espoir doit être préservé. En expliquer les succès, les insuffisances, les contradictions qui ont émergé, et les obstacles qui ont entravé ses avancées. Les différentes expériences nationales, ne sont pas toujours conservées d’une insurrection à l’autre au sein d’un pays. Les insurrections c’est ce que redoutent le plus les dictatures. Elles ne nourrissent pas l’expérience internationale ou trop peu. La mémoire des luttes des peuples du monde est nécessaire. Elle est très insuffisante.

Aujourd’hui, par exemple, une récente insurrection au Bangladesh, à l’initiative des étudiants, a permis la mise en place d’une transition qui résulte d’un accord entre les insurgés et les militaires. Qu’en savons-nous? Que savent les insurgés du Bangladesh de l’insurrection burkinabè ? Il n’y a pas de modèle, mais les insurrections peuvent toutes susciter des réflexions instructives.

Voilà pourquoi nous voulons rappeler quelle a été l’insurrection de 2014 au Burkina Faso. Une insurrection que j’ai qualifiée moi-même d’inachevée dans un ouvrage publié après enquêté sur cet évènement. (Voir https://www.thomassankara.net/linsurrection-inachevee-burkina-faso-2014-un-livre-de-bruno-jaffre/). Elle reste de mon point de vue exemplaire, comme l’a été la transition qui a suivi.


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Une insurrection dont la puissance s’est construite dans le temps long

Blaise Comparé dirigeait le pays depuis 27 ans. La population, avide de changement n’en pouvait plus. La pauvreté restait endémique, la corruption omniprésente, et les riches affichaient une arrogance provocante.

Sans doute inquiet de ce qui pourrait lui arriver, être poursuivi en justice par exemple, s’il délaissait le pouvoir, il a cru bon de tenter de modifier l’article 37 de la constitution. Il voulait faire sauter la limitation à deux mandats successifs, pour pouvoir se représenter aux élections à venir. La provocation de trop !

Le pays vivait comme une cocotte minute qui ne demandait qu’à exploser à la moindre occasion. C’est ce qui va se passer. Le peuple burkinabè, longtemps abasourdi par l’assassinat de Thomas Sankara, puis par une dictature impitoyable reprend le chemin de la lutte pour les libertés après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo en 1998. Ce dernier enquêtait sur la mort de David Ouedraogo, le chauffeur de François Compaoré, le petit frère de Blaise Compaoré. Il l’avait livré aux mains des militaires de la sécurité présidentielle. Il en était mort sous la torture.

C’en était trop. Pendant plus de 2 ans, de nombreuses manifestations massives vont être organisées pour demander justice pour Norbert Zongo et obtenir plus de liberté. Blaise Compaoré est contraint de négocier et va devoir céder en ouvrant quelques espaces de liberté dans lesquels vont s’engouffrer le mouvement social et les partis politiques. Une relative liberté de la presse, notamment, et la création de nombreuses associations de société civile qui vont lutter pour plus de démocratie, de liberté et contre la corruption.

D’autres révoltes populaires, accompagnées d’émeutes, vont éclater puis s’étendre rapidement dans le pays notamment après la mort de jeunes lycéens, à la suite d’autres exactions des forces de l’ordre, ou contre la vie chère, en 2003, 2007, 2008 et 2011. Des mutineries ont aussi éclaté au sein de l’armée, parfois pour des primes ou des soldes détournées, mais aussi pour proteste contre la prépondérance du régiment de sécurité présidentielle.

Les prémices de l’insurrection

C’est ainsi, ce qui semble oublié aujourd’hui, que les premières manifestations massives, contre la modification de l’article 37, ont été organisées, en 2013, par le CFOP (chef de file de l’opposition)[i]. Il s’agit d’une institution légale et subventionnée, regroupant les partis se réclamant de l’opposition. Elle est chargée du dialogue de l’opposition avec la majorité. Le Chef de file étant le parti de l’opposition le plus important à l’assemblée nationale. Sa création faisait suite à une proposition qui avait émergé lors des négociations à l’issue du mouvement exigeant la vérité et la justice pour Norbert Zongo. En 2013 encore, dans la foulée vont être créés d’une part le Balai citoyen, autour de deux artistes « rebelles » très populaires Smockey et Sams’K Le Jah, et de Guy Hervé Kam, avocat, aujourd’hui détenu par le pouvoir d’Ibrahim Traoré. Un apport déterminant, puisqu’ils apparaissaient comme les portes paroles de la jeunesse. Jeunesse, qui pour l’essentiel, ne se reconnaissait pas dans les partis politiques. Et d’autre part le MPP, mouvement du peuple pour le progrès, issu d’une scission du CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès), le parti de Blaise Compaoré. Le MPP va lui aussi jouer un rôle important le jour de l’insurrection, largement sous estimé aussi, aujourd’hui. Il emmenait avec lui, tout un réseau de militants implantés dans les quartiers, expérimentés dans l’art de mobiliser, contre de modiques rétributions, lors des grandes occasions. Il semble bien que ce soit ce parti qui ait organisé des réunions avec ses jeunes militants pour apprendre à confectionner des cocktails Molotov et à s’en servir le jour J.

Source: mediapart.fr