Accueil Société Burkina/Abolition de la peine de mort: des étudiants pour, d’autres contre

Burkina/Abolition de la peine de mort: des étudiants pour, d’autres contre

0

Les députés de l’Assemblée nationale ont adopté le jeudi 31 mai 2018, un nouveau Code pénal qui abolit la peine de mort en droit. Si certains Burkinabè ont approuvé le vote de ce nouveau texte, d’autres par contre ne vont pas du dos de la cuillère pour montrer leur désapprobation vis-à-vis de ce document juridique, qui, à les en croire, ne permettra pas de lutter efficacement contre la grande criminalité et les attaques terroristes. Au vu de l’intérêt de cette actualité, votre site citoyen Wakat Séra a recueilli les avis d’étudiants de l’université de Ouagadougou sur ce sujet.

Selon Amnesty international sur l’adoption du nouveau Code pénal burkinabè, le nouveau texte qui élimine la peine de mort de la liste des sentences possibles, est une « victoire de haute lutte ». Comme cet instrument international de droit de l’homme, Inoussa Bamogo, étudiant en master 1 de physique, option énergie, estime que l’abolition de la peine de mort « est une bonne chose parce que c’est une lutte que beaucoup d’organisations de droits de l’homme dont le Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) menaient depuis longtemps ». Cet étudiant note que l’abolition de cette loi qui crée la controverse est « une bonne chose dans la mesure où (elle) permet de rendre justice pour pouvoir corriger la personne ».

« Pour ma part je pense que l’abolition de la peine de mort est quelque chose de très positif, c’est une avancée au niveau des droits de l’homme qu’il faut saluer parce que pour certaines situations, l’opinion est amenée à penser qu’elle est la solution pour pouvoir ainsi éloigner de la société certaines personnes qui ont des comportements déviants mais quand on voit plus loin, la vie c’est quelque chose de sacré, et aller jusqu’à la ôter je pense que ce n’est pas normal », avance également Abass Tamboura, comptable de formation. Il considère à cet effet, « les erreurs qui peuvent survenir lors des jugements et procès (car) c’est vraiment très dommage qu’on en vienne à ôter la vie de quelqu’un par suite d’erreur de jugement ». C’est pourquoi, poursuit-il, « comme on ne peut pas exclure les risques d’erreurs à 100%, je trouve qu’il est très important qu’on puisse trouver d’autres moyens de corrections mais ne pas aller jusqu’à la peine de mort ».

Contrairement à M. Bamogo et M. Tamboura, l’étudiant en troisième année de Physique, Amadé Tinta, pense qu’« on ne peut pas dire en ce qui concerne l’abolition de la peine de mort que c’est une bonne chose parce que cette loi devait faire l’objet d’une concertation nationale pour voir ce qu’en pensaient les uns et les autres ». Il estime même que les députés ont pris la décision au « mépris » de la population. M. Tinta part au-delà de cette idée pour se poser des questions à savoir si « les autorités ne sont pas en train de vouloir faire exécuter un plan puisqu’il y a l’extradition de François Compaoré (frère cadet de l’ex-président Blaise Compaoré accusé dans l’assassinat du journaliste d’investigation Norbert Zongo) qui est d’actualité » ou « est-ce que cela ne va-t-il pas bâcler le jugement » du dossier du putsch manqué de septembre 2015 dont l’audience, plusieurs fois reportées, reprendra le 12 juin.

Pour M. Bamogo, si c’est vrai que beaucoup de gens lient l’abolition de cette loi à l’actualité concernant l’extradition de François Compaoré, il pense qu’il faut prendre « le contexte général sinon on manquera notre analyse puisqu’avant même ce régime (Mouvement du peuple pour le progrès, MPP), les mécanismes pour l’abolition de cette loi étaient enclenchés ».

Sur cette question, l’appréciation de Jean-Philippe Bertrand étudiant en faculté de droit, première année, part au-delà de l’aspect juridique, évoque la morale religieuse. Pour lui, « la peine de mort n’est pas légale d’abord sur le plan religieux parce que la vie appartient à Dieu et non aux humains et donc un individu ne peut pas allègrement décider de la vie d’un homme » quelle que soit la faute qu’un accusé a commise. Le jeune juriste propose qu’« on mette le coupable en prison et essayer tout en le corrigeant de le rééduquer ».

Le terrorisme s’invite dans l’adoption du nouveau Code pénal…

L’abolition de la peine de mort intervient à un moment donné où le Burkina vient de subir sa dernière attaque terroriste qui a ciblé l’ambassade de France au Burkina et l’enceinte de l’état-major général des armées située en plein cœur de Ouagadougou, faisant huit militaires tués dont deux officiers supérieurs. Pour certaines personnes, leur désapprobation vis-à-vis de la nouvelle loi notamment en son point portant sur l’abolition de la peine de mort se justifie justement par les nombreuses attaques armées répétées.

« Moi je trouve que quoiqu’on dise la peine de mort va toujours exister parce qu’il y a des gens qu’on ne peut pas arrêter et juger. Quand je prends l’exemple des terroristes, la peine de mort existe parce qu’un terroriste qui est en action, on ne cherche pas à mettre la main sur lui », fait remarquer Fousséni, étudiant en année de licence de psychologie. Pour cet étudiant qui est pourtant d’accord qu’on abolisse la loi à controverse, face à un assaillant en action, « on lui applique systématiquement la peine de mort sous une autre forme ».

Avec notamment les attaques armées, l’étudiant en psychologie se dit que « chaque pays à un moment donné doit s’assumer et éviter d’être de simples suivistes. Il faut avoir des juridictions qui tiennent compte de nos réalités parce qu’on a l’impression que c’est une pression extérieure qui a poussé notre Etat à abolir la peine de mort », regrette-il en soutenant que face à la montée du terrorisme, « le Burkina Faso aujourd’hui ne peut pas ne pas appliquer la peine de mort ». Raison pour laquelle il appelle les gouvernants à faire en sorte que le pays des « Hommes intègres », « ait une juridiction libre qui est à même de pouvoir adapter nos lois en fonction des réalités du terrain sinon on va rester toujours dans une juridiction ou la population ne s’y retrouve pas ».

Sur cette même question, Inoussa Bamogo, affirme que « quand on se réfère à certains maux dont le terrorisme, on peut dire tout de suite que la peine de mort est une bonne chose », voulant que nos juridictions « puissent mettre dans nos dispositions pénales les lois qui pourront permettre de sanctionner les gens jusqu’à la perpétuité mais pas aller jusqu’à décider de la vie de quelqu’un (car) ce n’est pas bon ».

Abass Tamboura, quant à lui se demande si la peine de mort est réellement un moyen « dissuasif » contre des phénomènes dont le terrorisme. Pour lui, « le problème va plus loin et on doit chercher à résoudre les problèmes des gens pour éviter qu’ils aillent se donner à la radicalisation ». Pour lutter efficacement contre le terrorisme, « il faut aller en avant des choses et empêcher les gens d’être prêts à se donner la mort », propose-t-il, tout en souhaitant aussi que dans les prisons, les juridictions «puissent trouver d’autres formules pour rendre utiles les assaillants et autres bandits, comme les amener à produire gratuitement pour la société ».

Par Bernard BOUGOUM