Procès en justice. Congrès reportés. Sorties politiques de membres sans l’aval de la direction du parti. Et tout dernièrement, exclusions et suspensions à la pelle. C’est le lot du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), l’ancien parti au pouvoir, qui, après la chute de son géniteur Blaise Compaoré vit des moments bien tumultueux. Le courant passe très mal entre le président légal et légitime, Eddie Komboïgo, et les dinosaures du parti qui dont le siège a été incendié tout comme les domiciles de nombre de ses militants lors de la furie dévastatrice de l’insurrection populaire d’octobre 2014. Pire, le CDP semblait avoir été décimé, ses dépositaires, harcelés n’ayant trouvé pour la plupart leur issue que dans l’exil. Mais, malgré ses difficultés et la loi d’exclusion qui a frappé ses principaux ténors durant les élections présidentielle et législatives post insurrectionnelles, comme le phénix, le CDP a pu renaître de ses cendres. Mieux, l’ancien parti, alors qu’il était donné mort ou tout au moins grabataire par ses contempteurs et même certains de ses affidés déboussolés par le départ précipité de leur mentor, a fait un sore plus qu’honorable lors des élections législatives du 29 novembre 2015, plaçant 18 députés au sein des 127 élus de l’assemblée nationale. Cerise sur le gâteau, le parti s’érige en troisième force politique au parlement, juste sur la deuxième marche du podium occupée par l’Union pour le progrès et le changement (UPC, chef de file de l’opposition) avec ses 33 élus et le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP, parti au pouvoir) qui tient le perchoir avec ses 55 députés.
La prouesse de l’opposition et notamment du CDP contraint donc le MPP au jeu des alliances pour légiférer. Très vite, après des fortunes diverses, le putsch manqué de septembre 2015 ayant conduit certains d’entre eux devant le tribunal militaire, le CDP reprenait des couleurs sur la scène politique. Mais il aura visiblement bien de la peine à mener le jeu politique en maître car les démons de la division sont entrés dans la maison par le boulevard ouvert par la lutte du leadership. Si auparavant, le président du parti était «démocratiquement imposé» par Blaise Compaoré qui lui-même était le candidat naturel pour les présidentielles qu’il gagnait toujours haut la main, pas forcément en fraudant, mais surtout grâce à son aura et au travail de ses lieutenants sur le terrain, la donne a changé. C’est, par exemple, à l’issue d’un combat de gladiateurs que l’actuel président du CDP, Eddie Komboïgo, a arraché, presque sur le fil, le graal, devant un des bonzes du parti, Boureïma Badini. C’est également dans la douleur que le désormais parti de l’opposition connaîtra son représentant pour la présidentielle qui se profile en 2020. La déclaration de candidature de l’ancien premier ministre de Blaise Compaoré et ancien président de la Commission de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO), Kadré Désiré Ouédraogo (KDO) au palais de Kossyam, avec le soutien très ouvert de certains piliers du CDP est passée par là! Ainsi se durcira la passe d’armes entre Eddie Komboïgo, le président, rappelons-le, légal et légitime, et d’autres militants qui avaient leurs candidats, en l’occurrence KDO et Juliette Bonkoungou, troisième vice-président de l’Assemblée nationale.
Que va-t-il se passer maintenant après la démission encore toute chaude de KDO du CDP? Il sera sans doute suivi dans sa nouvelle vie politique par les exclus et autres suspendus, à moins que ceux-ci ne forment un CDP bis. La grande inconnue au tableau, c’est bien ce que pense «le beau» Blaise, le fondateur du parti, depuis les bords de la lagune Ebrié d’où il suit en arbitre très intéressé cette bagarre entre ses héritiers qui tous luttent pour son retour? Pour l’instant, c’est la carte politique qui connait de nouveaux coups de crayon, avec cette guerre au CDP et la naissance de nouveaux partis comme «Agir Ensemble» qui entend porter la candidature à la présidentielle de Kadré Désiré Ouédraogo et le Mouvement patriotique pour le salut (MPS) du Pr Augustin Gervais Loada, parti dont le président d’honneur n’est autre que l’ancien Premier ministre de la transition, Yacouba Isaac Zida, lui aussi prétendant au fauteuil de Roch Marc Christian Kaboré. En tout cas, ce tsunami au sein de l’ancien parti au pouvoir profite bien au nouveau parti au pouvoir qui boit son petit lait, dans l’attente de la présidentielle de 2020. Ainsi va la vie politique dans un Burkina secoué presqu’au quotidien par les attaques terroristes.
Par Wakat Séra