L’Association des Chefs et Cuisiniers du Burkina Faso (ACC-BF) a vaillamment représenté le pays des «Hommes intègres» à Hammamet en Tunisie du 10 au 12 février 2023 où six de ses membres ont remporté neuf médailles dont quatre en or, à la Coupe du Monde des Arts Culinaires et de la Pâtisserie. Dans cet entretien exclusif accordé à Wakat Séra, le président de l’ACC-BF, Maître Benjamin Lucien Kiswendsida Compaoré, nous plonge dans le secteur de l’art culinaire. «Ce n’est pas parce qu’on a échoué qu’on vient dans l’art culinaire», a affirmé M. Compaoré qui a souligné que sa structure «cherche à professionnaliser» leur secteur au Burkina Faso. Des difficultés de l’art culinaire, à la perception du citoyen lambda en passant par le sacre des Burkinabè en Tunisie et des perspectives de l’ACC-BF, Benjamin Compaoré, Maître restaurateur et formateur en cuisine, entre autres, répond, à cœur ouvert, aux questions de Wakat Séra.
Wakat Séra : Parlez-nous de votre association ?
L’ACC-BF a vu le jour officiellement le 14 janvier 2023 suite à son Assemblée générale (AG) consécutive qu’elle a organisée à Loumbila. De nos jours, nous frôlons les 300 membres. En janvier nous étions, à l’Assemblée Générale, 176 membres.
Vous avez conduit une délégation en Tunisie pour la Coupe du monde des Arts Culinaires et de la Pâtisserie en Tunisie. Parlez-nous de cette aventure?
Avant de voir le jour officiellement, en début décembre 2022, notre association a reçu une invitation de Golden Falcons culinary association dont le siège est en Tunisie pour participer au nom du Burkina, à la Coupe du Monde des Arts culinaires et de la Pâtisserie de Tunisie qui devait se dérouler du 10 au 12 février 2023 à Hammamet. Donc, pour ce faire, nous nous sommes organisés pour participer au nom du Burkina. Six personnes dont moi-même, membre de jury international désigné par cette association et cinq autres personnes dont deux femmes de l’ACC-BF étaient à ce rendez-vous. Alors, nous avons pris part à la compétition dans plusieurs disciplines culinaires. Ce qui nous a valu des médailles.
La moisson a été bonne alors?
La moisson a été bonne. Au total, nous avons ramené neuf médailles dont quatre médailles d’or, trois médailles d’argent et deux médailles de bronze. La toute première médaille d’or a été remportée par cheffe Léïla Yago qui est pâtissière. Elle a eu le 1er prix de la meilleure pâtissière 3D de sa catégorie. Ce qui lui vaut la médaille d’or et la médaille d’or de la catégorie Cake 3D. Les deux autres médailles d’or ont été remportées pour le dessert en individuel et le dessert en groupe. Nous avons participé aussi à la discipline des entrées. Ce qui nous a valu une médaille d’argent et une médaille de bronze dans la gastronomie traditionnelle où nous avons eu deux médailles d’argent et dans la gastronomie moderne où nous avons eu une médaille de bronze.
Comment vous appréciez l’organisation de cette coupe du monde d’art culinaire dans l’ensemble?
Elle était très bien ficelée. Je remercie encore les organisateurs de cette compétition. Mais, qu’on sache qu’en réalité nous étions novices dans cette compétition. C’est la toute première fois que le Burkina participe à une telle compétition. Donc, cela va de soi que nous ne soyons pas aussi outillés que les autres pays qui ont l’habitude de participer à cette compétition. C’était l’occasion pour nous d’aller nous familiariser à de telles compétions pour qu’éventuellement pour d’autres compétitions à venir, nous puissions nous montrer aussi professionnels que les autres pays. La moisson aurait pu être meilleure si la délégation burkinabè était encore plus forte. Je donne l’exemple de la délégation algérienne qui a amené des compétiteurs et des supporters.
Parlez-nous des deux prix qui vous ont été décernés à cette compétition?
Un trophée m’a été octroyé pour l’encadrement de l’équipe, pour le management en tant que «team nanager». Pour les entraînements, il fallait faire des essais et je pourrais dire que j’étais au four et au moulin pour l’organisation du voyage et pour la supervision, l’encadrement des différents compétiteurs avant qu’on ne parte. Et j’ai reçu un autre trophée pour le fait d’être membre de jury international. Je rappelle ici que je suis le tout premier Burkinabè à être membre d’un jury international en art culinaire. Ces distinctions récompensent aussi mes 24 ans de services dans le métier si je compte les années d’école professionnels aussi puisque je suis issu d’écoles d’hôtelleries où je me suis penché pour me professionnaliser en restauration-cuisine.
Quel sentiment cela vous procure d’avoir obtenu ces distinctions à cette compétition?
Un sentiment de fierté dans un premier temps d’être Burkinabè et d’être résilient face à tout ce qui arrive au pays. Notre volonté était de véhiculer en fait une autre image de notre pays à l’extérieur. C’est ce qui m’a amené surtout à convaincre les uns et les autres à venir avec moi en Tunisie pour qu’on montre au monde entier une autre image du Burkina. Qu’on montre au monde entier que notre pays est une destination touristique qui peut être aussi agréable que les autres pays qui font de leur tourisme une économie.
Que pouvez-vous nous dire sur l’art culinaire au Burkina Faso ou de la perception que le citoyen lambda a de ce que vous faites comme travail?
Effectivement, vous faites bien de le dire parce que jusqu’à un passé récent, la gastronomie burkinabè vivait une précarité que nous cherchons à effacer et montrer que ce qu’on produit ici peut être compétitif sur le plan international. Le gâteau 3D qui a été présenté à Hammamet et qui a reçu le premier prix sur le plan mondial, a illustré les dômes de Fabédougou dans les Cascades. Et on a eu le prix parmi 40 pays qui étaient en compétition. Notre gâteau 3D était composé essentiellement de poudre de jujube, de farine de pain de singe et de farine de petits mils. Il y a d’autres produits modernes qui sont rentrés en ligne de compte mais les matières premières les plus utilisées pour cette compétition, étaient à 70% des produits locaux burkinabè.
Et comme je disais, la cuisine burkinabè est riche d’une culture ancestrale mais qui n’a pas été valorisée jusqu’à présent. Il faudra qu’on arrive à mettre en exergue ce qu’on connait pour que le monde entier sache que la gastronomie burkinabè fait sa part belle dans tout ce qui rentre en ligne de compte de la cuisine universelle.
Comment voyez-vous l’avenir de l’art culinaire au Burkina?
Notre travail repose essentiellement sur la formation. Notre association est plus axée sur la formation des professionnels et de ses membres déjà en fonction, et aussi des plus jeunes qui veulent embrasser ce secteur. D’autre part, c’est de travailler à une éducation d’une alimentation saine pour toutes les populations, toutes les couches sociales du Burkina pour les aider à mieux se nourrir afin d’éviter certaines pathologies telles les cancers et d’autres maladies liées à la mauvaise alimentation.
Pensez-vous qu’il y a de l’engouement de la part des jeunes vers votre corps de métier? Est-ce qu’il y a des jeunes qui vous approchent parce qu’ils veulent apprendre votre savoir-faire?
Oui, il y a des jeunes qui veulent apprendre comme il y a aussi des personnes qui pensent avoir échoué leur vie et qui cherchent une porte de sortie. La deuxième catégorie de personne dont je viens de parler ne pourra pas réussir vu que ce n’est pas une vocation pour elle. Quand tu veux venir dans la cuisine ou l’art culinaire, il faut que ce soit déjà une passion, une chose qu’on aime vraiment. L’art culinaire avant tout est une passion et quand on est pas amoureux de ce qu’on fait, il ne faut pas s’y aventurer. On ne vient pas dans la cuisine ou dans la gastronomie pour se faire de l’argent. On vient d’abord parce qu’on aime ce qu’on fait. Les autres aspects viennent après.
Sinon, en réalité, l’art culinaire au Burkina Faso, comme ce que je disais tantôt, a été relégué à un plan que je ne saurais dire exactement. Mais nous, nous cherchons à amener les uns et les autres à comprendre que ce n’est pas parce qu’on a échoué socialement qu’on vient dans l’art culinaire. Nous cherchons à professionnaliser notre secteur afin qu’un jour on voit sortir une académie d’art culinaire ici au Burkina Faso.
Quelles sont les difficultés auxquelles font face votre secteur de métier?
Notre secteur fait face à beaucoup de difficultés dans ce sens où c’est un secteur plus ou moins émergent. C’est un secteur d’avenir qui malheureusement est très peu connu du public burkinabè. Nous, notre travail, c’est d’amener le public à connaître mieux ce secteur-là et savoir que sur le plan économique, c’est un secteur qui pourvoit beaucoup d’emplois et qui est un des maillons obligatoires dans l’économie et l’épanouissement des personnes. Sans cuisine, que ce soit à la maison, au travail ou pour les détentes, on ne peut pas vivre. Donc, on a besoin de cuisinier partout, même si ce ne sont pas des cuisiniers professionnels pour nous faire à manger. On est soi-même cuisinier de naissance mais tant qu’on ne perfectionne pas son savoir-faire, on ne saura jamais qui on est réellement.
Vous vous inscrivez dans quel registre du modernisme ou du traditionalisme dans l’art que vous pratiquez?
Je m’inscris dans le tradi-moderne. Je fais la jonction entre cuisine ancestrale traditionnelle et cuisine moderne pour trouver le juste milieu. Nous travaillons à promouvoir les produits ancestraux en produits finis modernes.
Etes-vous satisfaits du soutien des autorités dans cette aventure?
Connaissant la situation du pays je peux dire que les autorités ont fait de leur mieux. Par contre j’attends plus de soutiens de la part des opérateurs économiques car cela fait en même temps leur promotion en donnant de la visibilité à leurs entreprises. Ce qu’on a vu là-bas, il y a pleines d’entreprises privées qui ont accompagné leurs équipes nationales à venir prendre part à cette compétition. Le cri de cœur que j’aurai à donner, c’est surtout de demander à des annonceurs de pouvoir nous accompagner dans les activités d’art culinaire les prochaines fois. Avec les difficultés actuelles auxquelles est confronté le gouvernement et tout ce qui s’en suit, je ne peux pas blâmer l’autorité dans ce sens. Notre ministère de tutelle bien que n’ayant pas un budget fort n’a pas manqué de nous accompagner.
Avez-vous eu des contacts dans le sens du soutien à votre secteur afin que l’art culinaire au Burkina Faso s’épanouisse davantage?
Nous avons signé un partenariat avec Golden Falcons culinary, pour devenir membre de cette association. L’association des arts culinaires de la Palestine a profité de cette occasion aussi pour signer une convention avec notre association. Pour d’autres activités qu’on aura ici au Burkina, cette association pourra participer et vice-versa. Il y a l’association des chefs de l’Espagne qui prépare une convention qu’on va signer. Il y a également l’association des chefs du Maroc, de l’Algérie, de l’Inde et bien d’autres pays avec qui nous allons signer des partenariats pour éventuellement communier quand il le faut en art culinaire.
Le prince Abu Saïd Mohammadv Alzahrani, parrain de Golden Falcons culinary association qui a organisé cette coupe du monde d’art culinaire-l, a l’ambition de promouvoir les cultures culinaires des différents pays du monde pour un brassage ou diversité culinaire. Il a promis de venir en aide à plusieurs associations culinaires de par le monde afin de mettre des académies d’art culinaire dans leur pays dont le nôtre. Aussi, le Burkina Faso devient le dix-huitième pays au monde à être membre de Golden Falcons culinary association (en abrégé AGFC) parce que jusqu’à ce que nous rejoignons Tunis la dernière fois, il n’y avait que 17 pays au monde et le siège de l’Afrique Subsaharienne de Golden Falcons culinary se trouvera au Burkina Faso. Donc, nous avons cette mission d’ambassadeur d’aller vers tous les autres pays d’Afrique noire à rejoindre cette prestigieuse association mondiale.
Entretien réalisé par Bernard BOUGOUM