Le 19 octobre 2023 au petit matin, des médecins, dans leur blouse blanche, constatent, impuissants et avec amertume, la mort d’Aïda. Dans son lit d’hôpital, le corps frêle de cette jeune de 14 ans est religieusement observé par deux membres de sa famille. Elle rend l’âme quatre jours après son « hospitalisation tardive », au Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo. Les signes cliniques que présentait Aida, montrent un cas suspect de dengue, selon le major des urgences pédiatriques, Robert Tionsa. Plusieurs enfants ou adolescents se battent contre cette maladie au Burkina Faso qui enregistre de milliers de cas. Si certains se rétablissent après quelques jours d’hospitalisation, d’autres comme Aïda, dans un état critique, y perdent souvent la vie. Reportage!
Lundi 9 octobre 2023. Il est 10h20 (GMT). Nous avons rendez-vous avec le chef de service de la pédiatrie du Centre hospitalier universitaire Yalgado Ouédraogo, le plus grand hôpital du Burkina Faso, le professeur Fla Koueta, à la suite de plusieurs reports. Après avoir traversé des vieux quartiers, comme Nonsin, Ouidi, Sankar-yaré et Paspanga où il est constaté des flaques d’eau sale stagnante, dans plusieurs six-mètres et caniveaux, nous voilà dans la file à l’entrée principale de l’établissement sanitaire. Ces flaques d’eau nous rappellent l’entretien téléphonique préalable avec le professeur Koueta. « Cette épidémie, ces flambés de dengue dans (les) deux grandes villes (Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, NDLR), viennent nous rappeler l’insalubrité croissante dans ces deux villes ». Ses mots trouvent écho à ce que nous constatons sur notre trajet.
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Dans le rang à l’entrée de la structure hospitalière, devant l’équipe de Wakat Séra, se trouve une dame de la trentaine portant au dos, son fils Oualïd de deux ans. « Je viens avec mon enfant qui est malade », lance-t-elle, l’air angoissée, au vigile en poste qui filtrait l’accès. Oualïd vêtu de pullover et d’un chapeau, a le corps chaud et, selon sa mère, il souffre du paludisme. Après avoir franchi l’entrée, nous voilà dans la cour de l’hôpital où grouille du monde ce 9 octobre. Des patients et leurs accompagnants sont assis sous des hangars et certains sous des arbres. Les incessants va-et-vient des agents de santé sont souvent interrompus par des accompagnants qui les accostent. La maman de l’enfant malade s’est dirigée vers les urgences pédiatriques qui se trouvent tout droit devant elle. Quant à nous, nous continuons vers les bureaux du professeur Koueta, à quelques pas de là. Il nous attend pour parler de la dengue chez les enfants.
« Il y a actuellement une flambée de cas de dengue, une maladie infectieuse qui est transmise à l’être humain par la piqure des moustiques du genre Aedes qui piquent à priori dans la journée », nous fait savoir le professeur Fla Koueta dans sa blouse blanche. Pour lui, ces moustiques, encore appelés moustiques tigres, ont la particularité d’avoir des rayures de couleurs blanches. Le chef de service de la pédiatrie appelle à ne pas confondre le paludisme, qui est dû à un parasite, et la dengue qui est une maladie virale, donc due à un virus. « Au-delà des modes de transmission, il y a beaucoup de similitudes au niveau des symptômes, ce qui fait que souvent, en dehors des examens que nous réalisons, il est souvent très difficile de faire la différence sur le plan clinique entre la dengue et le paludisme », nous dit-il.
Visuel sur les cas de dengue au Burkina Faso à la date du 29 octobre 2023
En ce temps de pic de paludisme, de dengue et de Chikungunya, il n’y a pas de repos pour les agents de santé. Aux urgences pédiatriques de l’hôpital Yalgado, il n’y avait plus aucun lit vide pour accueillir des malades, au moment de notre deuxième passage, le 20 octobre 2023 vers 11h30 (GMT). Cela a été possible après plusieurs démarches entreprises auprès des agents de santé et des accompagnants des patients. Il y a même des lits qui sont occupés par quatre à cinq nourrissons en soin. Parmi ces patients à la pédiatrie, on y trouve des cas confirmés de dengue et des cas suspects. « Actuellement, nous avons deux cas d’enfants malades de dengue et quatre cas suspects », nous confie le major des urgences pédiatriques Robert Tionsa, au cours de ce rendez-vous à nous accorder. C’est un major qui est toujours au soin des enfants internés à son niveau. « On fait tout ce qu’on peut mais ce n’est pas facile », lâche-t-il.
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Aïda était l’une de ses patients. Elle a été admise au Centre hospitalier Yalgado Ouédraogo, le 15 octobre « en mauvais état », selon le major Tionsa. Son dossier médical indique qu’elle avait une forte fièvre, 42°C et des courbatures. Des signes cliniques qui montrent un cas suspect de dengue. Elle était dans le coma et agonisait également. N’ayant pas été hospitalisé tôt, Aïda, adolescente, a perdu la vie quelques jours après en laissant derrière elle, son bébé de deux mois.
« On fait ce qu’on peut », nous dit le major, déplorant le fait que beaucoup de malades s’adonnent à l’automédication et ne viennent dans les centres de santé que si leur état s’aggrave. « Des cas comme Aïda constituent environ 80% des malades que nous recevons », regrette-t-il.
Au cours de ce passage à l’hôpital Yalgado Ouédraogo, le 20 octobre, nous constatons qu’en plus de Aïda, il y a des cas confirmés et des cas suspects de dengue aux urgences pédiatriques. Ceux-ci sont au soin du major Tionsa.
« Après trois jours de souffrance des symptômes », Issouf Niampa, 12 ans, élève, a été reçu à l’hôpital le 19 octobre 2023. 39°C ! C’est ce qui est marqué sur son dossier d’admission. Souffrant d’une forte fièvre, Issouf était agité et présentait des douleurs, des céphalées, accompagnés de vomissements et épistasie (saignements du nez, NDLR). Il lui a été confirmé un cas de dengue. Le prélèvement, envoyé à Bobo-Dioulasso au laboratoire au Centre Muraz pour des examens, est revenu positif. En plus de la dengue, il souffre du paludisme. Le test fait sur place s’est révélé également positif.
Venu du quartier Tampouy (Sortie Nord de Ouagadougou), il lui a été immédiatement placé un sérum avec des produits contre l’hypoglycémie, le paludisme et la fièvre. Il lui a été administré également des vitamines et des antibiotiques, indique sa fiche de traitement que nous avons pu consulter. Selon le major, les soins ont pu le tranquilliser, « mais toujours est-il que quand il se lève, il est un peu agité et il faut au moins deux personnes à ses côtés sinon il risque de tomber du lit ». Le major Robert Tionsa félicite, par ailleurs, les parents pour leur bravoure et leur accompagnement. « Sans eux, nous, on ne peut rien faire », soutient-il.
La maman d’Issouf, voilée, la mine serrée et abattue par l’état de santé de son fils, est à son chevet. Faible, Issouf torse nu est allongé sur le lit et se tord de douleur au moindre mouvement que l’agent de santé lui fait faire. Dans sa salle d’hospitalisation, y sont également internés quatre autres patients qui partagent deux lits.
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Un autre cas, plus grave que celui de Issouf, nous le rencontrons dans une autre salle à notre passage le 20 octobre. Mais, celui-là reste encore un cas suspect car toujours en attente des résultats des examens de la dengue. Couché, couvert presque en entier par un pagne, Cheick, élève en classe de CE1, est en coma stade 3, et est placé sous respirateur, un extracteur d’oxygène.
Agé de 10 ans, 28 kg, venu de Kamboinssin (dans le Nord de Ouagadougou), il a été hospitalisé le 18 octobre 2023. A son arrivée, sa température était de 39°C et il présentait des céphalées, des douleurs abdominales, la fièvre, convulsait à cause de la fièvre et saignait des gencives, selon le major Robert Tionsa.
« Docteur, sa maladie n’est pas grave ? », interroge sa mère, Diaouarada Soré, en langue nationale mooré, la voix nouée. « Non, ce n’est pas grave », dit le major Tionsa pour rassurer la mère du patient. « Nous les médecins, on soigne et c’est Dieu qui guérit. Comme vous avez pu venir ici, nous ferons de notre mieux », poursuit-il.
Selon la mère de ce patient, c’est après plus d’une dizaine de jours de maladie, qu’ils sont venus à l’hôpital Yalgado. « C’est hier (19 octobre, NDRL) vers 14h (GMT, NDLR) que ça s’est aggravé. Je lui ai même donné de la soupe avec du pain, il a mangé du poisson et a bu l’eau. C’est après qu’il a convulsé et est devenu raide et depuis, il ne parle plus », raconte Mme Soré le visage triste et inquiète. Selon elle, sa maladie a commencé avec des maux de tête et des nausées. « Et je lui donnais du paracétamol. Par la suite, on a constaté que ça devenait grave. Nous sommes allés dans un centre de santé et on a eu des produits, mais malgré les traitements, ça s’aggravait. On est reparti dans le centre de santé, on lui a fait une perfusion et c’est après cela que les vomissements ont commencé », explique-t-elle.
Pour avoir le « cœur net », un test de paludisme a été réalisé dans une clinique qui s’est révélé négatif et il leur a été recommandé de faire le test de dengue. Ce dernier a confirmé la présence de virus de dengue, selon la mère. « On nous a dit d’aller à Paul VI. Arrivés là-bas, on nous a fait savoir qu’il n’y a pas de place et qu’il faut qu’on continue à Yalgado. En tout cas, quand on est arrivé ici, ça allait de mieux en mieux. C’est seulement hier qu’il se plaignait de forte fièvre et depuis, … le voilà comme ça », conclut sa génitrice, chagrinée par la situation sanitaire de son fils.
Vidéo – Pr Fla Koueta : « la dengue est très fréquente chez l’enfant »
Encadré sur les formes de dengue
« Les formes de dengue que l’on peut retrouver chez l’enfant sont superposables à celles de l’adulte. Il s’agit des formes sans signe d’alerte, des dengues simples. Ce sont des dengues qui vont s’exprimer par la fièvre essentiellement, avec des douleurs et quelque fois des troubles digestifs.
Ensuite nous avons des dengues avec des signes d’alerte qui sont souvent les saignements que le patient peut avoir, des douleurs au niveau du ventre et des fois des troubles digestifs. Ce sont des signes qui alertent déjà les praticiens et le patient également.
La troisième forme c’est la dengue sévère et cette dengue sévère, c’est la dengue compliquée et les complications les plus fréquentes sont naturellement le choc. La circulation sanguine de la personne n’est pas suffisamment forte pour irriguer tous les tissus du corps. Cela est dû au fait que le liquide qui circule dans les vaisseaux fuit hors des vaisseaux. C’est la forme avec choc. Dans cette situation quand on prend le pouls de la personne, le pouls est faible, les extrémités deviennent froides, la tension est affaissée.
Il y a la dengue également avec hémorragie. Là vous avez des saignements et ces saignements également sont des risques. Toutes ces formes compliquées, malheureusement, l’évolution c’est souvent le décès.
Ensuite il y a la forme avec des atteintes des organes nobles, notamment le rein, le cœur mais également le foie et le cerveau. Ces complications de ces organes nobles constituent une hantise non seulement pour le patient mais également nous praticiens parce que ça évolue très souvent, malgré les thérapies qu’on fait, vers le décès.
Mais il faut qu’on sache également que la majorité des dengues sont des formes non compliquées et lorsqu’on prend 100 cas, les 95% sont des formes non compliquées. Ce sont des formes mineures qui vont naturellement fatiguer le patient mais il va finir par se rétablir. Et ce sont les 5% qui se compliquent et c’est sur ces 5% que nous risquons malheureusement de perdre le patient malgré le traitement que nous allons appliquer. » (Pr Fla Koueta)
PODCAST-Les types de dengue au Burkina Faso, les plus fréquents actuellement et le type qui sévit le plus, évoqués par le Dr Ahmed Sidwaya Ouédraogo, directeur de la protection de la santé de la population (DPSP)
La flambé des cas de dengue inquiète beaucoup plus d’un Burkinabè. Cela a suscité des rumeurs et relayés sur les réseaux sociaux. Ceux-ci pointent d’un doigt accusateur, la Direction Régionale de l’Ouest de l’Institut de Recherche en Sciences de la Santé (IRSS-DRO) et ses installations et dispositifs expérimentaux notamment les cases expérimentales et la malaria sphère de l’IRSS à Bama (VK7) dans la région des Hauts-Bassins comme étant à l’origine de la flambée des cas de dengue. Ces informations ont été démenties par le Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (CNRST). Il a rassuré les populations que les installations de l’IRSS ainsi que les recherches développées ne sont en rien dans cette épidémie de dengue.
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Malgré ce démenti, des Burkinabè restent toujours campés sur leur position. « Ce sont les expérimentations qui ont provoqué ça. Tout ce qui vient de l’extérieur, nous, on accepte car c’est nous qui savons faire des expérimentations », soutient un homme de la quarantaine, guéri de la dengue après quelques jours d’hospitalisation. Ayant requis l’anonymat, nous lui avons opposé le démenti du CNRST. Mais ce dernier semble bien confortable dans ses convictions. « Ils (ceux qui font les expérimentations) ne vont jamais accepter de dire la vérité », lance-t-il en s’esclaffant.
Par Daouda ZONGO