Plus d’une vingtaine de journalistes burkinabè, à travers une caravane de presse organisée par l’ONG « Voix de femmes », ont touché du doigt les réalités dans lesquelles vivent les personnes accusées de mangeuses d’âme du 29 mars au 3 avril 2021. Cette activité a concerné les régions du Plateau-central, du Centre, du Nord et du Centre-nord du Burkina Faso. La caravane vise à mieux outiller les hommes de médias sur le sujet de l’exclusion sociale par allégation de sorcellerie afin de les impliquer dans la lutte contre la marginalisation, notamment le bannissement des femmes accusées de mangeuses d’âme et des difficultés de leur réinsertion sociale.
Dans certains pays africains comme le Burkina Faso, des pratiques traditionnelles peu recommandables comme les Mutilations génitales féminines (MGF), les violences basées sur le genre, le rapt, le sororat, les mariages forcés et le lévirat, entre autres, qui subsistent et perdurent malgré la modernisation, entravent gravement l’épanouissement de la société, particulièrement la vie des filles et femmes vulnérables. Mais, parmi tous les fléaux cités, l’exclusion sociale des personnes de troisième âge par allégation de sorcellerie a la peau très dure.
C’est pour lutter vigoureusement contre ce phénomène qui détruit des vies essentiellement des vieilles personnes dans nos sociétés, que Voix de femmes appuyée par son partenaire TrustAfrica, a organisé cette caravane de presse pour permettre aux journalistes de rencontrer sur le terrain, des leaders coutumiers et religieux, des responsables de la société civile investis dans ce combat et des autorités administratives. Les échanges avec ces différents acteurs ont pour objectif de mieux connaitre la réalité de l’exclusion sociale basée sur la sorcellerie à savoir les types de victimes, leur défenseurs, l’ampleur du phénomène, les conditions de resocialisation des pensionnaires des centres d’accueil, les négociations pour leur retour dans leurs villages, etc.
De Ouagadougou, les caravaniers ont sillonné les localités de Boussé, Yako, Tema-Bokin et Kaya. La sortie s’est terminée dans la capitale burkinabè où les femmes et hommes de médias ont visité le Centre Delwendé sis à Sakoula et le Centre de solidarité sis à Paspanga, deux centres qui accueillent des personnes victimes d’exclusion sociale pour allégation de sorcellerie. A ce niveau les chiffres sont ahurissants. Le centre Delwendé à lui seul accueille 190 personnes de troisième âge dont 5 hommes.
Dans tous les centres, les témoignages se ressemblent et permettent, à la fin de l’exposé des victimes dont les histoires diffèrent l’une à l’une, de dire, que généralement ceux ou celles qui sont bannis pour une raison quelconque sont des personnes vulnérables et sans défense. Des gens devenus à un moment de leur vie, une charge sociale ou tout simplement victimes de la jalousie ou de l’orgueil de leurs détracteurs ou ennemis.
Cette réalité montrant la mesquinerie et la méchanceté de certains hommes ressort dans les multiples témoignages recueillis auprès des acteurs avisés. Que ce soit chez Me Frédéric Titinga Pacéré, homme ressource, chez le Tingsoba de Boussé, à la Paroisse de Yako, au centre Sainte-Anne de Téma-Bokin, chez les autorités administratives de Yako et Kaya, chez des leaders d’organisation de la société civile et des chefs traditionnels de Kaya, dans le centre de Sakoula et de Paspanga à Ouagadougou, les mêmes renseignements ont été recueillis par les journalistes qui avaient bénéficié d’une formation sur la même thématique.
Mais que dire du sujet lui-même. C’est quoi la sorcellerie ? A cette question, les différents acteurs concernés par cette affaire ont du mal à donner une réponse exacte ou satisfaisante. Où du moins, la réponse varie d’une sensibilité ou d’une position sociale à une autre. Toute chose qui montre la complexité du fléau qui est pratiqué malgré les multiples sensibilisations et les textes de lois votés pour décourager le phénomène.
Selon les explications des coutumiers, cette pratique ancestrale, à savoir détecter une personne mangeuse d’âme, visait à défendre les plus faibles qui peuvent être accusés à tort. Mais, dans la pratique, certaines personnes ou le cas général qui se dégage, montre que ce sont justement les plus faibles qui sont quasiment accusés et bannis manu militari de leurs communautés.
Outre le centre d’accueil de la Paroisse de Yako qui présente une vieille infrastructure d’une capacité d’hébergement de seulement 15 femmes accusées de sorcellerie, pleine de fissure et de manque de conditions d’hygiène, les victimes hébergées dans les autres centres du pays visités lors de cette sortie se présentent relativement bien. Les conditions alimentaires et sanitaires sont assurées à minima selon notre constat. Mais, pour les pensionnaires de ces lieux de fortunes, « rien ne leur manque » à part le regard de la société qui les a mis à l’écart de leurs communautés. Ce qui ronge surtout les victimes d’exclusion sociale pour allégation de sorcellerie, c’est leur bannissement de leur communauté d’origine et le fait de penser qu’on les a accusées à tort pour quelque chose qu’elles n’ont pas fait.
Selon leurs propos, avec les différents plaidoyers et les nombreuses luttes des organisations étatiques et civiles, le phénomène régresse même s’il est important de souligner que c’est avec lenteur. Les petits enfants et leurs enfants leur rendent visite à leur site d’hébergement sans complexe. Or, dans un passé récent, cela n’était pas imaginable. Si certaines victimes souhaitent un jour revivre chez elles en parfaite harmonie avec leur communauté, d’autres par contre, par peur de représailles ne veulent plus retourner d’où elles sont venues.
Pour les différentes autorités administratives qui interviennent dans cette lutte de l’exclusion sociale, il faut plus de sensibilisation et de durcissement dans l’application de la loi. Aussi, l’Etat doit revoir les fonds alloués dans ce combat parce qu’ils sont en deçà des besoins exprimés sur le terrain. Ces besoins se résument en termes d’infrastructures, de prise en charge sanitaire et sociale (surtout lors d’un décès), de déplacements, d’alimentation, de réinsertion sociale et de financement d’activités génératrices de revenus communément appelés AGR.
Nous vous reviendrons plus en détails avec des articles pour vous faire part des témoignages et autres informations recueillies sur le fléau lors de cette caravane de presse qui a touché les quatre régions où le phénomène sévit plus au Burkina Faso. Déjà, il faut noter que la seule province du Passoré dont la ville est Yako, totalise à elle seule plus de la moitié des victimes accusées de sorcellerie, hébergées dans des centres d’accueil.
Par Bernard BOUGOUM