Dans une lettre ouverte adressée au Premier ministre burkinabè, Rimtalba Jean-Emmanuel Ouédraogo, ce jeudi 26 décembre 2024, les Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français/Histoire-Géographie, dénoncent «des arrestations de (leurs) collègues», en lien avec l’enseignement de l’éducation civique dans les écoles.
«Lettre Ouverte Des Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français/ Histoire-Géographie du Burkina Faso
À
Son Excellence Monsieur le Premier Ministre, Chef du Gouvernement
Objet : Dénonciation des arrestations de nos collègues
Son Excellence Monsieur le Premier Ministre,
Nous venons par la présente, vous féliciter pour votre nomination à ce nouveau poste de responsabilité. Nous prions Dieu et les Mânes de nos ancêtres afin que les défis qui se présentent à vous puissent trouver des solutions pour le bien-être de tous les Burkinabè. Nos prières et encouragements vont à l’endroit des FDS et les VDP qui se battent nuits et jours pour que notre pays retrouve son lustre d’antan.
Excellence Monsieur le Premier Ministre, au regard des nombreux maux qui gangrènent notre société tels la corruption, les détournements de deniers publics, l’incivisme sous toutes ses formes, les tensions sociales et la dépravation des mœurs, le précédent gouvernement a eu l’ingénieuse idée de réintroduire une nouvelle matière dans les programmes d’enseignement au Post-Primaire et au Secondaire. Cette nouvelle matière qu’est l’Education Civique (EC), devra en principe résoudre ces fléaux sociaux et former les jeunes à une meilleure citoyenneté. Nous saluons à sa juste valeur cette décision gouvernementale. Cependant, la manière de la réintroduction de l’Education Civique pose problème. En effet, l’arrêté n°2024/001/MESFTP/SG/DG-QEF portant réintroduction de l’Éducation Civique dans l’enseignement Post-primaire et Secondaire du 3 septembre 2024 stipule en son article 2 qu’elle est une matière à part entière et l’article 4 ajoute qu’elle devra être assurée par les Professeurs d’Histoire-Géographie et Français/ Histoire-Géographie. À la lecture de cet arrêté, les Professeurs concernés que nous sommes, se sont retrouvés pour mieux analyser l’arrêté.
C’est alors qu’un groupe WhatsApp fut créé pour rassembler les Professeurs concernés par l’arrêté en vue de faire des propositions pour une meilleure introduction de l’EC et pour un enseignement efficace des disciplines qu’ils enseignaient déjà notamment Histoire, Géographie et Français. Au cours des échanges, il a été proposé de la mise en place des bureaux provinciaux et la tenue d’une Assemblée Générale au cours de laquelle on désignera les membres de la coordination nationale qui serviront d’intermédiaires au cas où l’autorité chercherait à nous rencontrer, puisqu’étant les acteurs concernés directement. Un comité d’organisation fut mis en place et a convoqué l’Assemblée Générale le 05 octobre 2024 à la Bourse du Travail de Ouagadougou. Elle a réuni plusieurs membres venus de diverses provinces et a élu une Coordination Nationale composée de huit (08) membres.
Cette coordination née le 05 octobre 2024 n’a jamais été contre la réintroduction de l’Éducation Civique dans le système éducatif. Elle a non seulement apprécié positivement cette décision en phase avec les besoins actuels de notre nation et mieux, elle a fait des propositions pour une meilleure réintroduction de l’Éducation Civique dans le système éducatif par des médias interposés et par d’autres canaux. Elle a par la même occasion rédigé un mémorandum dans lequel des difficultés liées à l’enseignement de cette nouvelle matière ont été relevées par les acteurs commis à cette tâche.
Excellence Monsieur le Premier Ministre, au titre des difficultés liées à l’enseignement de l’Éducation Civique par les Professeurs d’Histoire et de Géographie et de Français/ Histoire et Géographie nous retenons :
- – La surcharge du travail et l’impact sur la qualité de l’enseignement.
Les Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français/Histoire-Géographie assument déjà une lourde charge. Cette charge se situe au niveau de la préparation des différentes fiches de cours en Histoire, en Géographie et en Français pour d’autres. Elle se ressent également au niveau de la préparation des évaluations et des corrections de celles-ci. Donc, l’ajout de l’Éducation Civique aux Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français/ Histoire-Géographie risque de compromettre l’efficacité de l’enseignement des matières déjà enseignées. Pour illustrer la surcharge, nous prenons en exemple des emplois du temps de quelques collègues. Ainsi, un Professeur d’Histoire-Géographie dans une province a sept (07) classes dont cinq (05) classes en Éducation Civique et deux (02) classes en Histoire-Géographie. En moyenne, il a soixante (60) élèves par classe. Ainsi, Il se retrouve avec quatre-cent vingt (420) élèves et donc, quatre-cent vingt (420) copies à l’évaluation. Pour les deux (02) devoirs et la composition, notre collègue se retrouvera avec mille-deux-cent soixante (1260) copies par trimestre. C’est énorme !
Un autre collègue tient une classe de cent-soixante (160) élèves en 6ème dans la province du Kadiogo. En Français pour cette classe, il aura quatre-cent quatre-vingts (480) copies par évaluation car le Français est composé de trois (03) sous disciplines dont la Dictée, la Langue et l’Expression. En plus des évaluations d’Histoire Géographie dans cette classe, ajouter une autre discipline à part entière comme l’Éducation Civique sera de trop pour un seul enseignant.
2– Du manque de formation spécialisée
L’enseignement de l’Éducation Civique nécessite des compétences spécifiques, comme l’animation des débats et la gestion des thématiques sociales et politiques sensibles. Or, la plupart des enseignants n’ont pas été formés à cet effet. A cela s’ajoute également le profil académique du Professeur d’Histoire-Géographie et de Français/ Histoire-Géographie qui n’a pas de lien avec la majorité des thématiques abordées dans les curricula d’Éducation Civique. Il apparait alors que l’enseignement de l’Éducation Civique par les Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français/Histoire-Géographie constituera une véritable difficulté.
3– De la diversité des thématiques à enseigner
L’Éducation Civique couvre plusieurs domaines à savoir : le droit, l’économie, l’hygiène, le secourisme, la politique, la connaissance de l’administration. Cela rend complexe la tâche des enseignants qui doivent jongler entre plusieurs disciplines sans préparation ou formations spécialisées suffisantes. Elle nécessitera également des recherches supplémentaires des enseignants quand on sait toute la difficulté qu’il y a à faire des recherches sans moyens financiers et sans documentation conséquente.
4– Des difficultés d’ordre juridiques
Les termes du communiqué pour le recrutement des Professeurs auxquels nous avions postulé, indiquaient clairement qu’il s’agissait du recrutement des Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français ou d’Histoire-Géographie. C’est ce contrat qui nous lie à notre employeur. S’il doit y avoir une modification de ce contrat, cela devrait se faire sur la base d’un consensus avec l’accord des principaux concernés et non sur la base d’une imposition. L’État a plutôt choisi la voie de l’imposition en sortant un arrêté qui nous oblige à enseigner l’Éducation Civique sans consultation préalable, ce qui n’a pas été favorablement accueilli au sein des Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français/ Histoire-Géographie que nous sommes. L’enseignement de l’Éducation Civique ne fait pas partie de notre contrat et nous ne devrions pas être forcés de l’enseigner en tant que matière à part entière.
5- De la remise en cause de la spécialisation disciplinaire
La tendance actuelle au niveau international et même national est à la spécialisation des enseignants dans une discipline dans l’objectif d’une plus grande efficacité pédagogique. Il s’agit de faire en sorte que chaque enseignant puisse enseigner une discipline en tenant compte de son profil académique et de sa formation professionnelle. C’est dans cet ordre d’idée que le corps des CAP-CEG est appelé à disparaitre conformément au nouveau statut des personnels de l’éducation (confère statut particulier des personnels de l’Education). L’option du couplage de l’enseignement de l’Éducation Civique avec Histoire-Géographie est une remise en cause grave de la politique de la spécialisation disciplinaire et un risque d’altérer la qualité de l’éducation. En associant plusieurs disciplines pour un seul enseignant, l’État est en contradiction avec la qualité de l’éducation même qu’il prône tant, car on ne peut pas enseigner plusieurs disciplines de façon large et approfondie et être efficace pour produire de bons rendements pédagogiques.
6- Des difficultés liées à la santé de l’enseignant
La surcharge de l’enseignant est sans doute source de nombreuses maladies (surmenage, AVC, fatigue…) dues aux insomnies liées à la correction des copies et à la préparation des cours.
Excellence Monsieur le Premier Ministre, Ainsi, afin d’assurer une meilleure intégration de l’Éducation Civique, nous formulons les propositions suivantes :
1. Sur le court et le moyen terme (1 à 5 ans) :
– Suspension temporaire de l’enseignement de l’Éducation Civique afin de procéder à un recrutement par mesure spéciale de la première promotion des professeurs stagiaires à former à l’ENS/UK.
– Produire et vulgariser des documents (manuels, guides, curricula) en lien avec l’Éducation Civique.
– Sélection d’établissements pilotes à travers les 13 régions du pays pour une phase pilote avec la première promotion des Professeurs de l’Éducation Civique. – Créer des supports numériques : Élaboration de plateformes en ligne et de contenus interactifs pour diversifier les méthodes d’apprentissage.
– Lancer des activités civiques pilotes dans chaque établissement scolaire (journées citoyennes, débats, projets communautaires) pour impliquer directement les élèves dans des initiatives citoyennes.
2. Sur le long terme (5 à 10 ans) :
– Création de centres d’excellence pour l’Éducation Civique afin de garantir la formation continue des enseignants et l’innovation dans les pratiques éducatives.
– Lancement d’une campagne nationale de sensibilisation sur l’importance de l’Éducation Civique, impliquant écoles, parents et sociétés civile pour renforcer la formation citoyenne des élèves.
Excellence Monsieur le Premier Ministre, depuis que nous avons créé notre Coordination Nationale, les membres sont victimes de menaces de la part des services de sécurité en témoigne l’arrestation de notre collègue Madi ZONGO, Coordonnateur National le 20 novembre 2024 et sa libération le 23 novembre 2024. Le 06 décembre 2024 quatre (04) autres membres de notre coordination sont sans trace à savoir Madi ZONGO pour une deuxième fois, Augustin ZOUNGRANA, Mahamadi OUÉDRAOGO et Hamadou SONDÉ. Récemment, à notre demande pour la tenue d’une Assemblée Générale (AG) prévue pour le 27 décembre à la bourse du travail, les autres membres de la Coordination Nationale en l’occurrence le responsable à information et à la communication M. GANSORE fait l’objet d’harcèlement et de menaces de la part des services de sécurité. Pour preuve, il a reçu trois appels rien que hier 24 décembre de la part de ces derniers. Certains pensent que nous sommes manipulés par des organisations syndicales pourtant nous ne sommes qu’un mouvement corporatiste plaidant pour une bonne réintroduction de l’Education Civique au post-primaire et secondaire. Voyez-vous son excellence Monsieur le Premier Ministre ?
Nous voudrions par la présente, solliciter son Excellence Monsieur le Premier Ministre, votre médiation pour la libération de nos collègues enlevés, la cessation des harcèlements et des menaces d’enlèvements auxquelles nous sommes victimes ces dix (10) derniers jours pour une meilleure réintroduction de l’Éducation Civique dans l’enseignement Post-primaire et Secondaire au Burkina Faso.
Nous vous prions d’agréer, son Excellence Monsieur le Premier Ministre, l’expression de notre profond respect.
Les Professeurs d’Histoire-Géographie et de Français/Histoire-Géographie du Burkina Faso»