Le jugement du dossier de l’affaire de détournement de fonds publics au ministère burkinabè de l’Action humanitaire, soit plus de trois milliards de francs CFA qui étaient destinés aux victimes du terrorisme, repris ce mardi 3 décembre 2024, a été, à nouveau, renvoyé « fermement » au 9 décembre 2024, à 9H00. Ce renvoi vise à permettre, au principal prévenu, Amidou Tiégnan, de se constituer une nouvelle défense, après que ses conseils qui le défendaient depuis le début, se sont déportés.
Après deux renvois suite à l’état de santé du principal prévenu, Amidou Tiégnan, gestionnaire au ministère en charge de l’Action humanitaire, le procès retransmis en direct à la télévision nationale a repris, ce mardi 3 décembre 2024, à la salle 1 du Tribunal de Grande Instance (TGI) Ouaga I. Mais, la défense de M. Tiégnan, accusé d’avoir détourné plus de trois milliards de francs CFA, destinés aux Personnes déplacées internes (PDI), s’est déportée à la reprise du procès. Raison pour laquelle le tribunal a renvoyé l’audience au 9 décembre prochain en vue de permettre à M. Tiégnan de se constituer une nouvelle défense.
Elle a soulevé une exception d’inconstitutionnalité qui remet en cause « l’indépendance » du juge à statuer à travers l’article 118 de la loi n’°016 de 2016 portant sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Ce qui a été suivi par les observations des autres parties constituées dans ce dossier. Le tribunal, après une pause qu’il s’était donnée pour statuer, a décidé de saisir le Conseil constitutionnel pour qu’il se prononce sur l’exception soulevée par la défense. Mais, il a voulu poursuivre les autres infractions. La défense « déporte aux côtés parce qu’elle n’est plus en mesure d’assurer sa défense », a déclaré Me Généviève Ouédraogo face au tribunal.
Pourtant, Amidou Tiégnan, appelé à la barre ce matin, le prévenu, a répondu au tribunal qu’il est apte à être jugé. Ce qui fait dire au président qu’il n’est plus besoin d’évoquer les conclusions du rapport qui avait été commandité sur son état général de santé. Pour le juge, cette question n’étant pas le fond du dossier, il a demandé que les parties ne s’étalent pas sur le sujet pour que le jugement puisse avancer. Mais, la défense de M. Tiégnan a souhaité avoir lecture du rapport de santé de son client.
Selon les avocates du présumé cerveau de l’affaire qui a choqué plus d’un après qu’elle a été révélée par le président du Faso, le capitaine Ibrahim Traoré, la dernière infraction, à savoir le financement du terrorisme, viol le principe « d’égalité » et de celui de la « séparation des pouvoirs ». En clair, elles ont pointé « l’indépendance » des juges à statuer. L’article 118 de la loi n’°016 de 2016 portant sur la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme prescrit le prévenu reconnu coupable « ne peut pas bénéficier du sursis ».
Pour les Conseils de Amidou Tiégnan, cette loi est en contradiction parce qu’elle remet en cause le principe de la séparation des pouvoirs et l’égalité des droits de tout citoyen devant la justice que la Constitution a garantie.
Pour le procureur du Faso, la prescription de l’article 118 de la loi 16 de 2016 ne « rompt pas légalité constitutionnelle ». « Il faut noter que cette loi est spéciale. Entendez par là qu’elle instaure un régime donc de procédure dérogatoire à la procédure de droit commun. Elle instaure également des répressions qui sont dérogatoires à un certain point de vue au régime de droit. Il faut noter également que cette disposition n’enlève rien à l’indépendance du juge parce que l’article ne prescrit pas un quantum de peine ». Sur ce, le parquet ne voit pas de problème.
C’est pourquoi il a fustigé un énième « dilatoire » que veut user la défense comme stratégie de défense.
Pour le représentant de l’Agent judiciaire de l’Etat (AJE) aussi, les Conseils du prévenu sont dans une « logique du pur dilatoire ». Il a suivi le parquet en invitant le tribunal d’apprécier la demande de la défense, si possible de l’écarter pour éviter de casser le jugement.
Quant à l’avocat du Réseau national de lutte anticorruption (Ren-Lac), Me Prosper Farama, interrogé sur la question soulevée, il dit être un « peu embarrassé » parce que pour lui également, les parties allaient connaitre le fond du dossier aujourd’hui. Mais, sur la demande de ses confrères de la défense, il a clairement dit que le tribunal n’a pas compétence à trancher pour des questions de constitutionnalité.
Avant que les la défense ne soulève son exception, le tribunal avait notifié les charges aux quatre prévenus qui ont reconnu certaines infractions et rejeté d’autres.
Par Bernard BOUGOUM