Cet article propose une base de réflexion sur la territorialisation de l’éducation au développement endogène par et pour les collectivités territoriales du Burkina Faso. Il nous importe d’étudier les conditions de mise en œuvre d’une éducation au développement endogène des collectivités territoriales qui prenne en compte les potentialités locales. Ceci pourra contribuer à réduire la migration sous toutes ses formes. Cette éducation au développement endogène doit parvenir à impliquer tous les acteurs concernés dans un but de mutualisation des compétences au service de projets locaux de développement, ce qui est d’ailleurs la seule condition de l’émergence des collectivités territoriales.
Introduction
Le Burkina Faso, autrefois appelé la Haute Volta, pays enclavé, a pendant longtemps constitué un réservoir de mains d’œuvre pour les pays côtiers comme la Côte d’Ivoire et le Ghana et ce jusqu’à une époque très récente. Cet état de fait n’a pas facilité le développement du Burkina Faso car bons nombre de ses bras valides ne reviennent plus. Cependant, ces dernières années, la tendance s’est inversée. La migration externe a fait désormais place à la migration interne couramment appelée exode rurale. Les jeunes qui quittent les zones rurales préfèrent migrer vers les zones urbaines ou les riches régions agricoles du pays.
La migration, dans un contexte de décentralisation, du fait qu’elle vide les régions ou zones de départ favorise la naissance de nombreuses difficultés liées au développement des collectivités territoriales. D’où la nécessité de réorienter notre système éducatif afin de tenir compte des réalités de nos collectivités territoriales et promouvoir par ricochet l’esprit d’entrepreneuriat au sein de la jeunesse.
Cette problématique relative à l’éducation nous amène à examiner le thème suivant : « Education et développement des collectivités territoriales au Burkina Faso »
Cette recherche vise à cerner le rôle joué par l’éducation dans le cadre de la réduction du nombre des candidats à la migration et du développement des collectivités territoriales.
C’est pourquoi, il convient de réfléchir sur la question à savoir : « quel rôle joue l’éducation dans le développement des collectivités territoriales avec le phénomène de la migration ?»
L’analyse de cette question nous oblige à faire d’abord le point sur la situation des collectivités territoriales au Burkina Faso. La valorisation des potentialités des collectivités territoriales sera l’objet du second point d’analyse. Le troisième point est relatif aux stratégies de développement de l’entrepreneuriat des jeunes au Burkina Faso. Enfin, alphabétisation et gestion des collectivités territoriales retiendront notre attention.
- Situation des collectivités territoriales au Burkina Faso : une jeunesse fortement migrante
La migration est l’un des phénomènes les plus importants que vivent les collectivités territoriales au Burkina Faso. Le phénomène migratoire regroupe les déplacements des individus d’une entité administrative à une autre pour un séjour d’au moins six (06) mois ou avec l’intention d’y résider pendant six (06) mois au moins (MEF, 2008).
Relativement aux migrations internes, sur une population de 14 017 262, l’on dénombre 1 505 078 personnes nées hors de leur région de résidence au moment du RGPH 2006, soit une proportion de 10,7 %. Ces échanges entre régions sont bénéfiques à certaines au détriment d’autres. On note ainsi que les régions du Centre, des Hauts-Bassins, du Centre-Nord et des Cascades ont reçu plus d’individus qu’elles n’en perdent. A l’opposé, les régions du Nord et du Plateau Central ont des soldes migratoires négatifs (MEF, 2008).
Tableau 9 : Migration interne durée de vie entre régions
Régions | Non migrants | Entrants | Sortants | Solde migratoire |
Boucle du Mouhoun | 1 278 474 | 104 198 | 141 458 | -37 260 |
Cascades | 405 389 | 89 320 | 40 080 | 49 240 |
Centre | 1 082 458 | 481 773 | 92 131 | 389 642 |
Centre – Est | 1 023 369 | 54 474 | 86 659 | -32 185 |
Centre-Nord | 920 108 | 185 287 | 133 975 | 51 312 |
Centre-Ouest | 1 014 536 | 95 542 | 142 419 | -46 877 |
Centre-Sud | 572 030 | 46 357 | 137 821 | -91 464 |
Est | 1 131 642 | 57 554 | 101 755 | -44 201 |
Hauts-Bassins | 1 124 356 | 243 488 | 123 642 | 119 846 |
Nord | 1 087 949 | 36 813 | 246 418 | -209 605 |
Plateau Central | 628 031 | 44 720 | 154 685 | -109 965 |
Sahel | 928 408 | 24 618 | 53 510 | -28 892 |
Sud-Ouest | 546 217 | 40 934 | 50 525 | -9 591 |
Source : RGPH 2006
Le mouvement migratoire est le principal facteur de la décroissance démographique de la plupart des régions au Burkina Faso. En effet, les migrants ruraux sont attirés par l’espoir de trouver du travail, d’être mieux scolarisés et soignés, de s’équiper en biens et de profiter des services urbains tout en restant en contact avec les flux mondiaux (MEF, 2009).
Ce phénomène migratoire qu’est l’exode rural vide donc les régions du pays de leurs jeunesses. En effet, au regard de la structure de la population active occupée, on constate qu’elle est jeune à l’image de la population de l’ensemble du pays. Les tranches d’âges 15-19 ans, 20-24 ans et 25-29 ans fournissent les effectifs les plus élevés avec des chiffres respectifs de 887092, 800507, 750484 (MEF, 2006).
Ces jeunes bras valides représentant la population active, s’en vont laissant la population inactive : femmes, enfants et personnes âgées. Cela constitue donc une véritable difficulté à la réalisation du développement endogène voulu par les autorités à travers la décentralisation qui a connu, en 2006, sa phase ultime avec la communalisation intégrale. Le développement endogène passera alors par une valorisation des potentialités locales.
- Valorisation des potentialités des collectivités territoriales au Burkina Faso
Le Burkina Faso étant un pays à vocation agropastorale, le secteur primaire absorbant l’essentiel des actifs occupés : 80,4% (MEF, 2006). Il est donc nécessaire de mettre en valeur, dans les communes rurales, les filières agro-sylvo-pastorales. On peut par exemple citer la maraîchéculture, les embouches ovine, porcine et bovine, l’aviculture et la pisciculture.
La valorisation des secteurs porteurs locaux des communes passe aussi par la dynamisation du secteur secondaire, même si ce dernier ne concerne que 3,6% des actifs occupés. Les filières de la manufacture des produits agro-sylvo-pastoraux sont à encourager. Il y a déjà la transformation des noix de karité en beure ou en huile pour le savon, des graines de Néré en soumbala et à cela s’ajoute, les différentes farines enrichies, les couscous qui se conservent bien et sont faciles à commercialiser en ville.
Enfin, les filières du tertiaire sont à prendre en compte. En effet, elles occupent les 16% restants de la population active au Burkina Faso. Les domaines porteurs dans ce secteur restent la mécanique auto et moto, la maçonnerie, les menuiseries bois et métallique et la coupe couture.
Ainsi, une meilleure valorisation des potentialités des collectivités territoriales passe inéluctablement par une formation à l’entrepreneuriat des jeunes orientés dans ces différents secteurs économiques. Mais quelles stratégies pour développer l’esprit d’entrepreneuriat chez les jeunes au Burkina Faso ?
- Stratégies de développement de l’entrepreneuriat des jeunes au Burkina Faso
L’entrepreneuriat peut contribuer à la sédentarisation des jeunes dans les collectivités locales et favoriser, de facto le développement endogène durable.
Cela passe d’abord par le renforcement des capacités des cadres du Ministère de la jeunesse, de la formation et de l’insertion professionnelles (MJFIP) dans le domaine de l’encadrement des jeunes en entreprenariat. Ainsi, les cadres du MJFIP, à travers la formation continue et la recherche, seront aptes à renforcer les connaissances et les pratiques des jeunes en matière d’entreprenariat. A cet effet, les expériences du Ministère de la jeunesse, de la formation professionnelle et de l’emploi (MJFPE) et celles de ses partenaires techniques et financiers seront mises à profit pour outiller les jeunes en entreprenariat économique d’une part, et d’autre part en entreprenariat social et solidaire (MJFPE, 2016).
La culture entrepreneuriale et le renforcement de l’employabilité des jeunes sont deux choses incontournables de nos jours. Il s’agit dès lors d’assurer l’encadrement et le suivi-évaluation des jeunes en entreprenariat. Aussi, elle vise à outiller les jeunes entrepreneurs pour leur permettre de mieux s’insérer dans le marché du travail et sur tout le territoire par l’organisation de stages et également par la dotation de kits d’installation aux jeunes formés aux métiers (MJFPE, 2016).
En outre, il faudra soutenir les initiatives d’insertion socio-économique et d’autonomisation des jeunes. Sur les plans techniques, matériels et financiers, les initiatives individuelles et collectives porteuses de développement durable sont à identifier, analyser et encourager (MJFPE, 2016).
Le transfert effectif des compétences et des ressources du MJFIP aux différentes mairies et conseils régionaux permettra un réel appui-conseil des cadres du MJFIP aux élus locaux en matière d’entrepreneuriat des jeunes. Pour cela, il faudra d’abord prévoir une redynamisation des institutions de jeunesse que sont les centres d’écoute et de dialogue des jeunes et les maisons de jeunes. Il est constaté un manque, voire une inexistence de ces institutions de jeunes dans la plupart des collectivités locales. Quand elles existent, elles sont utilisées à d’autres fins ou abandonnées à elles-mêmes sans buts précis. Ces institutions devraient se transformer en viviers de jeunes désireux d’aller de l’avant, de se projeter dans un avenir constructif dans le pays qui est le leur. Elles peuvent aussi être des centres de formations de courtes durées à la maîtrise des compétences comme par exemple : utilisation d’internet, petits travaux de réparations mineures, sports, jeux de société, préparation d’animation éducatives en ville ou au village. Le produit serait vendu au profit de la maison des jeunes ce qui permettrait de prévoir une cuisine autogérée et serait aussi éducatif. La formation des jeunes aujourd’hui doit tenir compte des réalités du monde contemporain. Pendant longtemps, l’école dans son format classique héritée de l’empire colonial était présentée comme la voie royale de la réussite. Il s’agissait d’une institution scolaire qui fabriquait des diplômés pour l’administration publique au service de la métropole. Déconstruire ce modèle historique et adapter la formation aux réalités de l’heure est un défi majeur pour les collectivités. En effet, des secteurs porteurs et pourvoyeurs de revenus tels que la mécanique, la menuiserie et les filières agro pastorales peinent à trouver place dans l’imaginaire d’un futur possible par les jeunes parce que ces secteurs ne sont pas prestigieux. Ils ne bénéficient pas d’accompagnements conséquents en termes de formations officielles et d’aide au démarrage de l’entreprise. Les pouvoirs locaux devront élargir leur exercice à des mécanismes et à des pratiques socioéducatives qui rendent les citoyens économiquement autonomes. Ainsi les rapports qui avec le temps étaient un rapport de distanciation pourront évoluer vers un rapport de solidarité à vivre en commun et en bonne harmonie sur un même territoire. Du coup, chaque membre des collectivités pourrait se reconnaître dans leur administration. Il est donc important que les collectivités locales censées être proches des populations mettent l’accent sur la formation des populations, surtout des jeunes et les incitent à s’investir dans des secteurs rémunérateurs utiles à tous et participant efficacement et concrètement au développement. De toute évidence, il faut remettre en cause le système scolaire actuel qui produit des diplômés d’un savoir non transférable dans la vie de tous les jours et qui sont non employables. Il faut dire que la décentralisation, n’est possible qu’à la condition qu’une culture de l’innovation, du risque, de la revalorisation des pratiques et connaissances anciennes correspondent à une volonté partagée. Il s’agit là de bouleverser des habitudes devenues des certitudes, de renoncer à un certain confort psychologique pour oser entreprendre. L’objectif de la décentralisation étant entre autres l’autonomisation économique et financière des collectivités, il va sans dire que cela n’est possible qu’à l’unique condition d’innover à travers la valorisation des savoirs locaux jusque-là peu pris en considération dans le processus du développement. La confection du beurre de karité par exemple dans de nombreuses communes du Burkina Faso traduit non seulement les potentialités économiques dont regorgent nos communes mais expriment ici l’impérieuse nécessité, de dynamiser les connaissances africaines et les promouvoir à la dignité de l’universel.
VI) Alphabétisation et gestion des collectivités
Pour que les citoyens d’une région composée de plusieurs ethnies, puissent voir les avantages à être plus autonomes par la décentralisation, il faut qu’il puisse le penser dans leur langue. Ne dit-on pas souvent que l’on parle comme l’on pense, l’on pense comme l’on parle et nos actions traduisent notre pensée à agir. L’obstacle le plus grand est le nombre de langue dites nationales parlées au Burkina, environ 70. Pour la scolarisation, il en a été retenu 13, et bien des villages se sentent lésés parce qu’ils comprennent mal, ou peut-être ne veulent pas comprendre, la langue du village voisin. C’est un problème pour le Ministère de l’Education Nationale (MENA).
Il serait tout de même important qu’à terme ces 13 langues soient utilisées pour alphabétiser la population. La décentralisation est un instrument de gestion de la communauté et non une fin en soi. Plus l’instrument est performant meilleure sera la gestion, meilleurs seront les résultats. Il est donc nécessaire de former les citoyens dans leur langue usuelle pour qu’ils saisissent pour eux les enjeux d’être unis à défendre leurs intérêts locaux inhérents à leur environnement géographique, ceci bien au-delà des clivages ethniques. Pour cela, il faut parler le même langage et s’affranchir des différences claniques qui affaiblissent. Pour se faire, il s’agit d’alphabétiser les populations afin qu’elles se comprennent et communiquent d’abord entre-elles puis se fassent comprendre à l’extérieur de leur région. Les responsables doivent être bilingues, le français qu’ils maîtrisent probablement déjà et la langue locale usuelle.
Savoir parler et écrire dans sa langue maternelle ou langue locale permet une participation citoyenne efficace à la vie de la collectivité. Dès lors, la traduction de la langue locale au français et vice versa, s’impose. Après les indépendances, de nombreux pays en Afrique ont choisi comme langues officielles, celles de l’ex-colonisateur et abandonner les langues locales en tant que langue enseignée et d’enseignement. Même dans l’administration publique c’est le français qui est utilisé. Il y a un réel danger d’extinction de ces langues dont les conséquences sont multiformes. En effet, la langue en tant que système de signes vocaux, de manières de s’exprimer sont propres à une communauté d’individus et constitue un élément d’identification, un vecteur de normes culturelles. Une société vidée de sa substance culturelle, ignorante des valeurs qui sont les siennes, ne saura comment se comporter dans ce monde globalisé et chronophage. Cette société risque de disparaître car étant incapable de réagir par un développement assumé et responsable.
La négligence des langues locales entraîne la disparition des savoirs locaux imbriqués dans la tradition orale. La langue étant le principal canal de transmission des connaissances dans une société donnée, le développement ne peut être durable qu’à la condition d’être adapté aux besoins actuels. De nos jours, le seul relais de survie pour ces langues au Burkina Faso est la rue où l’on ne parle probablement pas beaucoup de développement durable. Penser que « la rue » offre une garantie de survie aux langues locales est une erreur. Le langage de la rue est toujours vivace, court le risque de devenir pauvre, se déforme rapidement et est souvent truffé de mots étrangers. C’est au système éducatif de les intégrer dans les premières années d’école. Cela faciliterait l’intégration de l’Ecole dans les milieux ruraux autant qu’urbains. Cette prise en compte de la culture locale permettra un développement endogène respectueux des valeurs ancestrales et adapté à son époque.
Conclusion
Au terme de notre réflexion, nous convenons avec Nelson Mandela que « l’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour faire changer le monde ». C’est donc par l’éducation que le développement endogène voire durable des collectivités territoriales sera une réalité. En effet, l’éducation au développement durable des collectivités territoriales implique nécessairement une réorientation du système éducatif, désormais sur la formation professionnelle et professionnalisante des jeunes au Burkina Faso car seule une jeunesse occupée pourra ne pas être tentée par l’aventure. La multiplicité des initiatives locales et singulières en faveur des jeunes doit tenir compte des réalités locales et être conjuguée avec l’affirmation de projet pour les collectivités territoriales. L’éducation n’atteindra son objectif de développement endogène dans les collectivités territoriales que lorsqu’elle a pour cible toutes les catégories d’acteurs territoriaux. Ce qui permettra leur bonne gestion car tous les acteurs ont la même compréhension de la chose publique.
Dr POUSSOGHO Désiré
Attaché de recherche
Centre National de Recherche Scientifique et Technologique (CNRST)
Institut des Sciences des Sociétés (INSS)
Département des Sciences de l’éducation (DSE).
Mail : desirepoudiougo@yahoo.com
Références bibliographiques
- Ministère de la jeunesse, de la formation professionnelle et de l’emploi (MJFPE), 2016, Politique nationale de la jeunesse : plan d’action opératoire
- Ministère de l’économie et des finances (MEF), 2008, Recensement général de la population et de l’habitation de 2006 : résultats définitifs
- Ministère de l’économie et des finances (MEF), 2009, Rapport d’analyse des données du RGPH-2006, Thème 09 : La croissance urbaine au Burkina Faso
- AYISSI Lucien, 2008, Corruption et gouvernance, Paris, L’Harmattan.
- Commission économique des Nations Unies pour l’Afrique. 2011-216. Lutte contre la corruption, renforcement de la gouvernance en Afrique. Programme régionale pour l’Afrique en matière de lutte contre la corruption
- HABERMAS Jürgen, 1997, Droit et démocratie : entre faits et normes. Traduction
- OUATTARA Soungalo Apollinaire, 2007, Gouvernance et libertés locales. Pour une renaissance de l’Afrique, Paris, Editions Karthala