Awa, fille de 23 ans, aurait aimé croquer la vie comme la plupart des filles de son âge. Victime de l’excision dès l’âge de cinq ans, elle découvre en elle, après plusieurs années, des conséquences de l’excision en plus du traumatisme qu’elle a subi. Aujourd’hui, ne se sentant pas femme, par manque de plaisir en allant avec un homme, elle n’en finit pas de verser des larmes à chaque fois qu’elle y pense. Nous l’avons rencontrée et elle livre son vécu.
« Est-ce la peine de se marier si je ne sens rien de femme ? ». C’est la phrase que n’arrêtait pas de balbutier l’étudiante de 23 ans, le bas du visage caché derrière un masque, une des mesures barrières à la Covid-19, cette maladie qui a conduit la plupart des pays à adopter des mesures de confinement qui n’est pas sans conséquences pour des femmes, notamment celles victimes d’excision qui souffrent de douleurs pendant l’acte sexuel. Awa a été excisée dès le bas-âge et aujourd’hui, elle vit avec des conséquences de cette pratique qui est d’ailleurs passible de poursuites judiciaires. Elle a gardé une rancune tenace envers la personne qu’elle juge en partie coupable de ce qui lui arrive : sa mère. Lui en voulant, elle n’adresse plus la parole à sa génitrice.
Il était vers 6h00 (GMT) d’une matinée de l’année 2002, quand la mère de Awa lui annonçait qu’elles devaient aller passer la journée chez sa grand-mère. Une nouvelle qu’elle a prise avec joie. Mais à sa grande surprise, sa maman l’a amenée dans une cour qu’elle ne connaissait pas. Elle s’y retrouve avec beaucoup d’enfants. « Je lui ai demandée ce qu’on faisait là. Elle m’a répondu que c’est chez son amie et que ça faisait longtemps qu’elles ne se sont pas vues », relate avec peine, la jeune fille, la gorge presque nouée.
« … des lames et des taches de sang… »
Awa qui ignorait ce qui se tramait, a été conduite auprès des autres enfants qui eux aussi ne savaient pas ce qui les attendait. Une à une, les petites filles étaient invitées à entrer dans une maisonnette. Les cris qui s’y dégageaient créaient la panique dans le groupe des enfants. Les pleurs se généralisent peu à peu. Les filles assissent ne comprenaient pas ce qui se passait dans la maisonnette en face, narre Awa assise sous un arbre à au moins un mètre de nous dans le respect des mesures barrières de la pandémie du coronavirus. « Quand mon tour est arrivé, des femmes m’ont appelé de venir répondre à ma mère. C’est en entrant dans cette fameuse maisonnette que j’ai commencé à avoir vraiment peur (…) Il y avait des lames et des taches de sang un peu partout », raconte l’étudiante de 23 ans.
Dans ses souvenirs, Awa relate avoir commencé à pleurer en réclamant sa mère, mais la porte s’est refermée derrière elle. Une vielle femme lui dit de se déshabiller. Une « robe très large » lui a été tendue à cet effet pour qu’elle la porte.
« Les femmes m’ont attrapée et je me débâtais de toute ma force. Elles m’ont déshabillée et par la suite, elles m’ont allongée de force sur une table tachetée de sang et deux d’entre elles m’ont attrapées de telle sorte que je ne pouvais pas bouger. La vielle femme a pris une lame et a commencé à couper une partie de mon sexe », explique la jeune fille qui confie qu’elle ignorait la raison pour laquelle on lui coupe une partie de son corps. « Je ne savais pas ce que c’était. Ça me faisait mal, je sentais une douleur atroce », dit-elle, les yeux luisant de larmes. « C’est dur à expliquer », indique Awa après un long silence. « La douleur était trop forte, intense, de telle sorte que je pensais mourir ce jour-là », poursuit-elle.
Après l’acte d’excision, Awa a été consolée par sa mère et son père qui lui ont signifiée que c’était pour son « bien », que « c’est la tradition » et que maintenant « elle est devenue femme ». « Mon père m’a félicité », affirme-t-elle en écrasant quelques gouttes de larmes. Mais Awa était loin de se douter des lourdes conséquences de cet acte sur sa future vie de femme. Une fois adulte, elle s’est rendue compte qu’elle n’a pas de vie.
L’amertume d’Awa
Sous l’arbre qui nous a accueilli pour écouter Awa, le silence était roi et pesant. Les fins rayons de soleil qui transperçaient le feuillage verdâtre tombaient sur les mains de Awa qui recouvraient sa tête. La douleur de la jeune dame est vive et vivante. Des larmes coulent par saccade, accompagnée de soupires. De temps à autre, elle ôte son masque pour stopper les larmes qui descendaient sur ses joues. Déjà, une dizaine de mouchoirs jetables ont été abandonnés çà et là. Awa s’apprête à livrer le récit de sa vie de femme et elle n’est guère reluisante à l’écouter.
« Aujourd’hui, je ne me sens pas femme, je ne ressens pas de plaisir quand je suis avec un homme. Au contraire ça me fait mal souvent. J’en ai honte de moi. Cela me rend, tout le temps, nerveuse. Je me sens différente des autres filles », se lamente la jeune fille. Elle se demande d’ailleurs si « c’est la peine » pour elle « de se marier ». « J’ai envie de ressentir le plaisir d’être avec un homme. Je veux sortir de ce cauchemar », fait-elle savoir.
Awa dit souffrir dans sa chaire et a honte de parler de sa situation même à ses proches. Dans sa souffrance, la jeune fille a trouvé son bouc-émissaire. Sa mère. Celle qui l’a conduite très jeune dans le traquenard. « J’en veux à ma mère car elle est d’une part à la base de ce qui m’arrive. On ne se parle plus, d’une part à cause de ce que je vie actuellement », marmonne-t-elle, le visage serré.
Awa fonde l’espoir de se sentir femme
La quête actuelle de la jeune fille est de trouver les voies et moyens pour se sentir femme. Dans cette lancée, elle a fait des recherches qui ont montré qu’il existe des procédés pour reconstituer les séquelles de l’excision. « Je ne savais pas qu’on pouvait faire une opération pour faire une reconstitution clitoridienne, jusqu’au jour où j’ai vu sur YouTube que c’est possible », confie Awa qui dit espérer qu’un jour elle pourra être bénéficiaire de cette opération. « Je me suis renseignée avec un docteur dont sa clinique pratique l’opération. Je pensais que c’était à ma portée. On parle de près de 400 000 F CFA pour l’opération, si je ne me trompe pas. Ce jour, j’ai été encore plus découragée car c’est une somme que je n’en ai pas », narre-t-elle en réajustant son masque.
Prenant son cas en exemple, aujourd’hui, Awa plaide pour l’abandon de la pratique de l’excision. « Je plaide vraiment qu’on arrête la pratique de l’excision. Les parents qui continuent d’exciser leurs enfants sont entrain de foutre en l’air leur bonheur. C’est pas du tout humain », laisse-t-elle entendre.
Selon les données émanant de 30 pays citées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 200 millions de filles et de femmes dans le monde ont été victimes des mutilations génitales féminines. Et 91,5 millions de femmes et de filles de plus de neuf ans vivent actuellement avec les conséquences de ces pratiques, dont les causes sont ancrées dans les traditions. En Afrique, la Somalie, la Guinée et le Djibouti, restent les pays qui ont le taux de mutilation le plus élevé. En Somalie, 98 % des filles subissent la pratique de l’excision, 97 % en Guinée et 93 % à Djibouti.
Au Burkina, même si des efforts sont fournis et des avancées notables sont enregistrées, il n’en demeure pas moins qu’il y a toujours des poches de résistance. En octobre 2019, 24 personnes ont été condamnées par le Tribunal de grande instance de Gaoua (Sud-Ouest du Burkina Faso) pour des faits de complicité d’excision sur plus d’une centaine de filles.
Par Daouda ZONGO