«En effet, après avoir exprimé avec véhémence son mépris pour la France, après avoir fait la leçon à l’occident et à ses pairs africains, qu’est-ce qui change concrètement pour les Burkinabè? Cela allège-t-il leur souffrance? Faire allégeance à Poutine est-il le meilleur choix? Cela vous rend-il meilleur par rapport aux autres?» Autant de questions que se pose l’auteur de cette réflexion, le philosophe Jacques Batiénon qui passe à la loupe, le sentiment anti-français au Burkina Faso.
Les relations entre les hommes sont des relations compliquées à l’instar des sociétés humaines dont la complexité est à l’image de leur humanité. Des sociétés complexes non pas du fait de la nature qui est régie par le principe du déterminisme, mais du fait de la culture qui obéit au principe de liberté, la culture comme libre activité de l’homme. En effet, pour reprendre la formule de Claude Lévi-Strauss, «il n’y a pas de nature humaine, il n’y a qu’une diversité de cultures humaines». Cette vérité essentielle de l’humanité qui fait rimer culture et liberté ne semble pas avoir été toujours comprise et prise en compte au regard de l’histoire, quand on sait que certains hommes ont opprimé d’autres hommes pour de basses raisons d’intérêts matériels et de confort personnel. Ainsi des relations entre la France et l’Afrique dont la complexité est à la hauteur des enjeux politiques d’intérêts qui, à l’analyse, ont toujours été au détriment des peuples africains. Le sentiment anti-français auquel la France doit faire face aujourd’hui dans le sahel et particulièrement au Burkina Faso trouve sa raison d’être dans cette relation complexe séculaire, empreinte d’injustice, de mépris, de condescendance et peu respectueuse des droits de l’homme, de la part de la France. Il y a donc, de toute évidence, une légitimité historique (lointaine et récente) à ce sentiment anti-français. Mais on doit également s’interroger sur les moyens de son expression.
Une légitimité historique
Lorsqu’il y a quelques années, à quelques mois d’intervalle, des personnes très proches de moi (car il s’agit de la famille, un ex-ministre de la culture et une universitaire, tous deux Burkinabè), m’informaient d’une montée inextricable d’un sentiment anti-français au sein de la jeunesse du Sahel, et que lorsque ce sentiment anti-français atteindrait son paroxysme cela risquait fort de remettre en cause les relations entre la France et les pays du Sahel, et particulièrement le Burkina Faso, dans mon ignorance, j’ai osé émettre, face à une telle opinion, quelques réserves, expression d’un scepticisme naïf. Prémonition ou prophétie, l’histoire leur donne raison, les faits sont en leur faveur.
Une origine lointaine: esclavage et colonisation
Soit la phrase attribuée au Général De Gaulle qui dit que «les relations entre États ne sont pas des relations d’amitié, mais des relations d’intérêts». Vive tentation d’en parodier la forme: la rencontre entre cultures diamétralement opposées, telle qu’on l’a connue dans l’histoire entre la France et l’Afrique, n’est pas fondée sur l’amitié mais sur des intérêts. Sauf que cela n’a été qu’au seul profit de la France. C’est ainsi depuis l’esclavage et la colonisation où cette rencontre s’est faite dans la violence et la douleur pour l’Afrique. Si la France esclavagiste avait un dessein commercial, la France colonialiste avait des visées impérialistes, expansionnistes pour le bonheur d’une certaine bourgeoisie française (Hannah Arendt, L’impérialisme). Dans les deux cas, ce sont les intérêts français qui sont mis en avant. Dans les deux cas aussi, il n’y a ni conventions, ni accord, ni coopération ou accord de coopération. La France a tout simplement fait irruption en Afrique et en a fait ce qu’elle voulait.
S’il fallait se limiter à ces deux évènements majeurs de l’histoire de la France et de l’Afrique, et pour quiconque, Africain d’autant plus, a conscience de ce passé douloureux, comment ne pas donner raison à cette indignation qui prend la forme de ce sentiment anti-français en question? Comment étouffer sa rage contre l’occident en général, et la France en particulier? Il y a là, en effet, un crime contre l’humanité, tel que cela est reconnu (au moins pour ce qui concerne la traite et l’esclavage) par différentes instances et institutions de haut niveau dans ce même occident. Mais, qu’à cela ne tienne, cette indignation, cette colère, trouve encore aujourd’hui sa raison d’être. La meurtrissure que les peuples africains ont connue jusque dans leur âme, n’a d’égal dans l’histoire de l’humanité, et il n’existe aucun remède pour cicatriser cette plaie encore béante.
Plus récemment, le post-colonialisme
S’il est possible de trouver encore aujourd’hui, en tant qu’Africain, à travers l’esclavage et la colonisation, un motif raisonnable d’indignation contre l’occident en général et la France en particulier, que dire de ce que cette même France fait subir à ses ex-colonies depuis les indépendances? Ici aussi, pour dire les choses simplement, la France déconne. C’est l’époque des conventions et des accords de coopération. Mais tout cela, encore une fois, n’est fait qu’au détriment des peuples africains, contre les peuples africains. Un jeu de dupes qui n’a toujours été qu’en faveur de la France, dans son seul et unique intérêt et, accessoirement, dans l’intérêt de dirigeants fantoches, des vassaux que la France a pris soin de placer, d’imposer. Dans cette perspective, toute intelligence africaine qui, dans un sursaut de lumière, comprend ce jeu de dupes et s’y oppose est, soit éliminée, soit jetée aux oubliettes. Il faut savoir en effet que la France n’a jamais voulu le développement de ses ex-colonies, car cela n’est pas dans son intérêt. Il faut maintenir, coûte que coûte, ces ex-colonies dans le sous-développement, dans le besoin permanent et l’indigence, afin de mieux les soumettre et les exploiter. Tel est en réalité le mot d’ordre, l’esprit de la politique africaine de la France que chaque chef d’État français hérite de son prédécesseur. Pour elle, l’Afrique ne doit être et ne doit rester qu’une vache à lait lui fournissant les ressources naturelles nécessaires à son développement. Pour cela, il faut maintenir l’Afrique dans un rôle ancillaire.
C’est la même chose qui se passe des décennies après les indépendances, alors que l’évolution du monde impose une relecture de ces accords de coopération, la France ne daigne s’y soumettre, continuant de se comporter comme un maître avec son esclave, sur la base d’accords de coopération du type de ce que Rousseau décrit et dénonce à la fin du chapitre IV du livre premier du Contrat social: «Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit, que j’observerai tant qu’il me plaira, et que tu observeras tant qu’il me plaira». Drôle de convention qui est en totale contradiction avec le droit et, surtout, les droits de l’homme et des peuples. Pourtant, c’est avec ce genre d’accord de coopération que la France et ses ex-colonies fonctionnent dès les premières heures des indépendances.
L’analyse est la même au regard de la situation plus récente du terrorisme qui sévit dans le Sahel depuis une décennie. Il y a comme un statu quo faisant penser que, finalement, la présence de la France n’est d’aucun apport. La situation ne semble pas évoluer dans le bon sens, la menace est toujours présente et prégnante, et on se demande comment, avec une puissance militaire aussi importante que celle de la France, l’on n’arrive pas à endiguer le terrorisme. Comment ne pas faire l’unanimité avec l’argument qui dit que la présence de la France dans le Sahel a pour seul objectif de maintenir le statu quo, c’est-à-dire d’empêcher qu’aucune armée du Sahel ne prenne le dessus sur les Groupes Armés Terroristes (GAT). Il s’agit, ce qui fait bien l’affaire de la France, de maintenir les pays du sahel en état de déstabilisation permanente par le truchement des GAT qui, de façon directe ou indirecte, sont soutenus. La ruse de la raison politique machiavélique.
Fort de tous ces éléments argumentatifs, l’émergence et le développement d’un sentiment anti-français en Afrique, particulièrement au Sahel et, entre autres, au Burkina Faso devient une évidence. Un sentiment légitime et justifié. Les peuples du Sahel ont donc de bonnes raisons de s’indigner contre la France ou la politique africaine de la France. Il revient à cette France de revoir son comportement, il faut qu’elle sache parler aux Africains, surtout à la jeunesse d’aujourd’hui, car les temps, les hommes et les femmes ont bien changé. Dans cette perspective, demander le départ de l’armée française est dans la logique des choses, cela est dans l’ordre naturel des choses. Il est même dans l’intérêt de la France qu’il en soit ainsi, et elle aurait dû partir depuis longtemps déjà. Insister pour garder son armée dans ces États qui lui demandent de se retirer serait d’autant plus suspect. Toutefois, il ne faut pas se tromper sur la manière de s’y prendre pour exprimer ce sentiment anti-français. Surtout, il ne faut pas instrumentaliser ce motif légitime de colère à d’autres fins.
La passion contre la raison
A-t-on raison d’accuser la France des malheurs de l’Afrique? S’il fallait prendre en compte seulement la période post-coloniale, la France seule ne peut endosser la responsabilité du sort qui est réservé à ses ex-colonies.
Une responsabilité partagée
Une part de responsabilité est imputable, non pas aux peuples d’Afrique, mais à certains individus, hommes de pouvoir, qui ont toujours fait le jeu de la France au détriment de leur propre peuple. Ces pantins qui se sont fait complices de la France sont aussi condamnables que la France elle-même. C’est l’un des visages détestables de l’Afrique qui est incapable de parler d’une seule voix, même face à l’adversité. C’est peut-être cela le mal radical de l’Afrique. Ce qui a fait l’affaire de la France qui sait jouer de ce type de situation, diviser pour mieux régner. Ainsi, l’Afrique est complice de la mort de ses fils qui n’avaient d’autre objectif que son émancipation, sa liberté, son indépendance totale. Ces Lumières du panafricanisme, qui sont tellement connues qu’il serait superflu de citer leur nom ici, sont tous tombés par les mains complices des colonisateurs (dont la France) et de leurs valets locaux. Tous ceux qui avaient la fibre panafricaine ou panafricaniste, un panafricanisme qui aujourd’hui est un mythe, une vue de l’esprit, ont été sacrifiés sur l’autel des intérêts français par des Africains. L’Afrique a été troquée à la France par ses fils indignes qui ont négocié des situations de faveur pour eux, leurs proches et leurs amis au détriment de leur peuple. Telle est la part de responsabilité de ces hommes de pouvoir africains, ces laquais de la France, dans ce qu’il conviendrait d’appeler la catastrophe de l’Afrique.
La démocratie dans tout cela? un échec total, serait-on tenté de dire. Mais y a-t-il lieu véritablement de parler d’échec sachant qu’il n’y a jamais eu de démocratie dans ces États? De l’élection truquée au putsch en passant par le coup d’État constitutionnel, on peut s’interroger sur l’existence du véritable moment démocratique. Peut-être qu’il faut voir de la dissimulation, une supercherie dans cette démocratie vendue ou imposée aux pays africains comme une panacée. N’y avait-il pas un dessein caché de la France de François Mitterrand du fameux discours de La Baule? La démocratie, c’est le moins que l’on puisse dire, a davantage amplifié la division à l’intérieur des États; à tel point que l’on aurait tendance à penser que sous les oripeaux de la démocratie, il y avait un plan ourdit par la France et l’occident pour empêcher l’Afrique de décoller. Aussi, serait-on tenté de défendre la thèse d’un autre modèle de régime politique pour un pays comme le Burkina Faso. Il n’est pas opportun d’en faire ici le traitement. La certitude, c’est que la situation complexe qui est celle du Burkina Faso aujourd’hui, liée aux attaques des GAT et le sentiment anti-français qui en découle, est la conséquence de cette mauvaise gestion du pays, la mal-gouvernance.
Les errements d’un État-passion
La passion est mauvaise conseillère qui manque de lucidité conduisant à des décisions qui n’ont que l’apparence d’une bonne décision. Le sentiment anti-français est l’expression d’une colère, une indignation légitime qui, parfois, a pu conduire l’État burkinabè à prendre des décisions qui peuvent susciter quelques réserves, car c’est la passion qui s’exprime. C’est pourquoi il convient de s’interroger sur l’opportunité pour le chef de l’État burkinabè d’adopter la posture qui fut la sienne lors du dernier sommet Russie-Afrique à Saint-Pétersbourg les 27 et 28 juillet 2023. Fallait-il afficher officiellement son parti pris pour la Russie et son soutien à Vladimir Poutine dans la guerre que ce dernier mène contre l’Ukraine? La coopération nécessaire avec la Russie n’exclut pas de la retenue, eut égard à cette crise géopolitique, afin de défendre au mieux les intérêts des Burkinabè. S’il s’agit de remplacer la France par la Russie de Poutine, il y a lieu de se poser la question de savoir si le Burkina Faso gagne vraiment au change. N’est-ce pas passer de Charybde en Scylla? A moins que la position adoptée par le Président Burkinabè ne soit guidée par un agenda personnel caché. Qui plus est, on ne peut pas se réclamer de l’héritage de Thomas Sankara et soutenir quelqu’un qui bafoue complètement le droit pour un État de disposer de lui-même selon le principe de l’autodétermination des peuples. Il suffit, pour cela, de se souvenir de la position historique de Thomas Sankara sur le cas de la République Arabe Sahraoui Démocratique (RASD). Quoique l’on pense de Vladimir Poutine, nul ne peut contester l’attitude impérialiste, expansionniste qui est la sienne. L’histoire entière de cette région du monde à laquelle appartiennent la Russie et l’Ukraine, à plus forte raison son histoire récente, reste le meilleur argument à cet égard. Manifestement, le chef de l’État burkinabè fait preuve d’une contradiction idéologique absolue.
Les mêmes réserves sont émises à propos de la décision du chef de l’État burkinabè, puis du gouvernement burkinabè et enfin de l’Assemblée de Transition (cela pouvait-il en être autrement qu’une telle assemblée prenne une décision contraire à celle du Président du Faso et de son gouvernement ?) d’engager les hostilités avec la force de la Communauté Économique Des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en cas d’attaque contre le Niger. Est-il raisonnable, dans la situation actuelle, d’engager son pays dans un conflit armé pour défendre un putsch perpétré à l’étranger sur la base de raisons complètement fallacieuses? Le Général Tchiani est issu du sérail politique nigérien au pouvoir depuis un peu plus d’une décennie, et, on le sait désormais, son coup d’État n’a d’autres raisons que subjectives et personnelles. Aussi, a-t-il saisi l’opportunité du sentiment anti-français ravivé et exprimé par une certaine opinion publique nigérienne, elle-même adoubée par une population remontée contre la France, pour donner une sorte de légitimité de bon sens à son forfait. Il a bien compris l’adage qui dit «vox populi, vox dei», mais l’opinion publique peut être un mythe, une arme dangereuse au service du dictateur, car, comme dit Machiavel, «La corruption du peuple affermit le pouvoir absolu du Prince». De fait, il y a collision, conflit entre les véritables raisons qui ont poussé le Général Tchiani à perpétrer son putsch et les revendications de cette opinion publique nigérienne. C’est dire qu’il a été débordé par son putsch puisque les raisons initiales avancées pour le justifier ne sont plus les mêmes quelques heures après. Il n’est pas l’homme de la situation des aspirations de cette opinion publique, de cette population mobilisée contre la France, car il a toujours appartenu au camp politique qui gère le pays depuis une décennie au moins, et dont la politique et la gouvernance sont dénoncées par cette opinion publique anti-française. C’est donc un imposteur.
On voudrait alors comprendre la décision du chef de l’État burkinabè d’engager son pays dans cette crise. Est-ce pour permettre à la boucle d’être bouclée de voir le Sahel gouverné par des putschistes anti-français? Est-ce pour protéger son propre putsch? Faut-il considérer que le Capitaine Traoré met son coup d’État au même niveau de légitimité que celui de Tchiani? Y a-t-il équivalence entre les deux? Il faut y voir, tout simplement, une erreur politique fondamentale qui, dans ce cas, rabaisse bien le niveau de légitimité du sien, si tant est qu’il avait quelque légitimité que ce soit. Vive contradiction, incohérence politique majeure, car comment défendre un coup d’État à l’étranger alors même que dans son propre pays, des personnes sont condamnées à des peines importantes pour les mêmes raisons?
Parlant d’ailleurs de coup d’État, les militaires doivent comprendre que les armes qu’ils ont en leur possession ne sont pas des biens personnels, il ne s’agit pas de biens privés qu’ils peuvent utiliser à leur guise. Il s’agit de biens publics, les biens du peuple. Ces armes leurs sont confiées pour une mission précise et sans équivoque, défendre la patrie contre toute menace extérieure. Elles ne doivent pas servir à des fins personnelles, comme par exemple à perpétrer un coup d’État, surtout si celui-ci ne vise que des intérêts particuliers.
Revenir à la raison
La passion a sans doute sa raison, mais la passion n’a jamais raison, elle n’a jamais raison sur la Raison. Le pouvoir en place au Burkina Faso a le devoir de faire mieux que ses prédécesseurs qu’il fustige à longueur de sommets et de discours. Mais faire mieux que les autres, ce n’est pas entrer en rébellion contre la France, ce n’est pas faire la leçon aux partenaires comme on fait la morale à un enfant, ce n’est pas tenir un discours pseudo-révolutionnaire aux antipodes des actes que l’on pose (surtout lorsqu’il s’agit d’un discours parfois décousu, superficiel, simpliste, général, sans contenu et improvisé), ce n’est pas faire du populisme sous prétexte de parler au nom du peuple. Cela relève de la passion. Pis encore, ce sont parfois des intérêts individuels qui y sont à l’œuvre et non l’intérêt du peuple.
Il est question de ramener la France à la table des accords afin de les renégocier de fond en comble dans le sens d’accords gagnant-gagnant sur tous les chapitres. Comment faire? Telle est la question fondamentale, mais cela est du ressort de ceux qui sont au pouvoir. Est-ce naïf? Sans doute, mais il s’agit d’un naïf lucide. Il est possible de conduire des négociations avec la France sans entrer en belligérance et dans la diplomatie. Il y a d’autres moyens de pression que la force, la rivalité ou le chantage, voire la vengeance inutile. Il ne s’agit là que de solutions de facilité qui ne débloquent aucune situation politique. In fine, l’on ne gagne qu’à s’empêtrer dans l’immobilisme, chaque pays campant sur sa position. En effet, après avoir exprimé avec véhémence son mépris pour la France, après avoir fait la leçon à l’occident et à ses pairs africains, qu’est-ce qui change concrètement pour les Burkinabè? Cela allège-t-il leur souffrance? Faire allégeance à Poutine est-il le meilleur choix? Cela vous rend-il meilleur par rapport aux autres?
Il faut trouver le moyen de décanter l’atmosphère avec la France. On peut faire la révolution dans une coopération d’intérêt avec la France. On peut être ferme avec la France sans mettre à mal la diplomatie de son pays. Dans le même sens, la France elle aussi doit revoir sa position et trouver les moyens de revenir à des relations plus apaisées avec le Burkina Faso et les pays du Sahel. L’attitude qui est celle de la réponse du berger à la bergère qui semble dominer les relations entre la France et ces pays n’est pas digne d’une diplomatie qui se respecte. Il n’y a pas de diplomatie qui s’improvise, et la diplomatie est le cœur des relations internationales d’un État souverain. Il faut dépasser le stade de la susceptibilité pour revenir à des relations plus seines permettant aux différents pays de s’épanouir. Sinon ce sont leurs ressortissants qui en pâtissent et non leurs gouvernants. Le Burkina Faso et la France doivent, de concert, trouver l’artifice, le moyen de médiation permettant de retrouver une situation d’entente cordiale nécessaire au bonheur des deux peuples.
Gouverner, c’est être rationnel, c’est rester raisonnable et ne pas sombrer dans l’excès, c’est rester toujours lucide face aux évènements. Ce n’est pas agir au gré de ses humeurs. L’homme ou la femme politique, exerçant le pouvoir au nom d’un État souverain ne traite pas avec ses partenaires, les autres États, comme un syndicaliste s’adresse à son patron. L’homme ou la femme politique ne fait pas de récrimination aux autres États, mais il s’impose à travers la négociation et par la coopération avec toute la courtoisie qui s’impose. Une meilleure stratégie politique et géopolitique que la force, la guerre, l’affrontement, l’opposition rancunière ou la vengeance est possible. Tout est une question de volonté politique de part et d’autre.
Si le sentiment anti-français est légitime, nul ne peut en disconvenir, il doit s’exprimer de façon moins passionnelle et plus rationnelle, il doit être la source d’une meilleure coopération avec la France, pour défendre les intérêts du Burkina Faso, et non le motif d’un conflit ouvert contre la France. Il ne doit pas être instrumentalisé. C’est pourquoi ce gouvernement burkinabè doit montrer sa capacité à gouverner autrement avec des gages concrets de différence. Afin de s’en assurer, ce pouvoir doit s’interroger à son propre propos, dans une sorte d’autocritique, sur les questions suivantes: est-il corrompu? est-il népotiste, clientéliste? instrumentalise-t-il la justice? exerce-t-il de l’intimidation et de l’exclusion politique? remet-il en cause la liberté d’expression et la liberté de la presse? Si les résultats de ces analyses sont négatifs, qu’il en soit ainsi. En revanche, si les résultats sont positifs, alors il y a un défaut de gouvernance en totale contradiction avec le discours en vigueur, et il faut en tirer toutes les conséquences. D’autres questions, tout aussi essentielles, se font insistantes: Y a-t-il une amélioration dans la lutte contre le terrorisme? Peut-on constater une nette diminution du nombre des déplacés internes? Y a-t-il un retour conséquent de ces déplacés internes dans leur localité? Si la réponse à ces questions est positive, qu’il en soit ainsi. En revanche, si elle est négative il faut revoir la stratégie.
Paris le 22 septembre 2023
Jacques BATIÉNO
Philosophe