Accueil L'ENTRETIEN Burkina Faso: trois types de virus de dengue sévissent dans le pays...

Burkina Faso: trois types de virus de dengue sévissent dans le pays (Dr Vincent Nikièma)

0

Le Dr Vincent Nikièma, médecin généraliste, promoteur de la clinique médicale «Les Opportunités» située à Dassasgho, un quartier populaire au Centre-est de Ouagadougou, a dit dans un entretien accordé à Wakat Séra, que trois types de virus de la dengue, une maladie virale, sévissent au Burkina. Dr. Nikièma a appelé les populations à « assainir » leur cadre de vie pour lutter contre la dengue qui progresse d’année en année au Burkina.

Wakat Séra: Comment peut-on définir la dengue?

Dr Vincent Nikièma: La dengue est une maladie virale classée parmi les fièvres hémorragiques virales. Cette maladie est due à un virus transmis à l’homme par un moustique du genre Aedes. Dès que la personne est infectée, elle peut présenter des symptômes comme des céphalées, ce sont des céphalées dites douleurs rétro-orbitaires ou « douleurs derrière les yeux », avec souvent une forte fièvre et aussi des douleurs musculaires et articulaires. Ces signes peuvent s’accompagner aussi de troubles digestifs comme les nausées et les vomissements. Malheureusement il peut y avoir des signes hémorragiques c’est-à-dire des saignements au niveau des orifices tels que le nez, la bouche, les yeux… voilà ce qu’on peut dire succinctement de cette maladie infectieuse virale qui sévit dans les régions tropicales et subtropicales.

Comment s’y prendre pour prévenir la dengue qui présente des similitudes avec le paludisme?

C’est vrai que la dengue et le paludisme présentent quelques points de similitude, surtout au niveau des symptômes que j’ai cités plus haut. Ce ne sont pas des signes qui sont spécifiques à la dengue puisque qu’il y en a qui se retrouvent aussi au niveau du paludisme. C’est pour cela que la population confond la dengue au paludisme d’où même le terme «palu dengue». Et il faut le souligner, au passage, ce n’est pas un terme médical.

Au niveau des moyens de prévention, ces deux maladies (dengue et paludisme) se rejoignent en ce sens que ce sont pratiquement les mêmes moyens de prévention parce que ce sont des moustiques qui transmettent aussi la dengue. Donc la prévention est identique à savoir qu’il faut mettre l’accent sur l’assainissement.

Dr Vincent Nikièma, médecin généraliste, promoteur de la clinique médicale «Les Opportunités»

Il faut éviter les contacts avec les moustiques en utilisant des répulsifs comme les crèmes anti-moustiques, les insecticides, en plaçant des grilles anti-moustiques au niveau des portes et fenêtres, et en dormant sous moustiquaires imprégnées d’insecticides à longue durée d’action (MILDA). Il faut aussi souligner que contrairement au paludisme, le vecteur de la dengue sévit plus dans la journée. Donc ça veut dire qu’il faut être prudent à tout moment même dans la journée.

C’est vraiment mettre l’accent sur l’assainissement parce que le genre de moustique aedes a la spécificité de se développer dans ce qu’on appelle les gîtes artificiels isolés du sol. Ça veut dire qu’on peut même élever ce genre de moustique dans sa cour sans se rendre compte parce qu’il se multiplie dans l’eau qui est retenue soit par la pluie ou même l’eau que nous retenons dans nos pots de fleurs, objets abandonnés comme les bidons, les pneus usagés, ou tout récipient exposé à la pluie que nous laissons traîner. Quand il pleut, ces objets retiennent l’eau et c’est dans ces petits récipients que ce genre de moustique se développe contrairement à l’anophèle qui transmet le paludisme, qui se développe dans l’eau au contact du sol telle que l’eau des marres, les petites flaques d’eau.

Donc on peut lutter efficacement contre cette maladie en observant un minimum d’assainissement et en renouvelant l’eau des jarres et canaris (entre autres) au moins chaque semaine et en évitant aussi que l’eau stagne dans les cours pendant longtemps.

Y a-t-il une période réputée où cette maladie sévit le plus?

Comme je l’ai déjà dit, au niveau de la transmission et de la prévention, ces deux maladies (dengue et paludisme) se rejoignent. On rencontre cette maladie tout au long de l’année comme le paludisme. Mais le pic est observé chaque année à la même période, c’est-à-dire pendant la saison des pluies surtout en août, septembre et octobre en allant jusqu’en novembre. Et c’est lié à la saison pluvieuse où il y a beaucoup plus de retenues d’eau, en plus nos caniveaux sont toujours remplis tout au long de l’année. Ce qui favorise la multiplication des moustiques.

Quelles sont les conditions qui favorisent la propagation de la dengue?

La condition c’est plus l’insalubrité puisqu’on connait le vecteur et ses gites. La propagation se fait généralement quand les moustiques sont entretenus dans les milieux où vivent les hommes. Il y a d’autres voies de contamination aussi que je n’avais pas évoquées vu qu’elles sont négligeables. Par exemple la transmission de la mère à l’enfant est possible pendant la grossesse. Il y a aussi la transmission par la transfusion sanguine. Il faut aussi souligner que lors des transplantations d’organes, on peut aussi être contaminé. Mais le moyen de transmission le plus souvent fréquemment rencontré se fait par le vecteur aedes dont les moyens pour s’en débarrasser sont en premier lieu l’assainissement.

Quels sont vos conseils à l’endroit de ceux qui souffrent de la dengue ?

Nous avons cité des signes qui orientent vers la dengue parce que même le médecin qui est en face de patients qui présentent ces signes, les considère comme des cas suspects. La confirmation va venir des examens de laboratoire. Avant cette confirmation ce sont des cas suspects parce que nous pouvons retrouver ces signes dans d’autres maladies. Donc le premier réflexe quand on présente ces signes-là, c’est d’aller consulter dans une formation sanitaire. Et l’agent de santé va essayer de voir en fonction des signes s’il y en a déjà qui sont graves parce que les signes vont des plus simples aux plus compliqués avec des signes de gravité qui peuvent conduire à la mort. C’est l’agent de santé qui va pouvoir détecter très tôt ces signes de gravité et proposer la conduite à tenir ou référer à un niveau supérieur pour que la prise en charge soit optimale et éviter les complications qui peuvent conduire à la mort.

Les conseils que je peux donner à la population, c’est ceci : dès l’apparition d’une  fièvre, il ne faut pas toujours  dire que c’est un paludisme et commencer une automédication. On est dans un contexte où la dengue est installée avec des signes qui s’apparentent à ceux du paludisme à quelques différences près.

Donc j’insiste, le premier réflexe c’est de se présenter dans une formation sanitaire quand on présente justement ces signes pour qu’on puisse investiguer pour savoir si c’est le paludisme, la dengue ou d’autres infections et proposer une prise en charge adéquate.

Il faut aussi éviter l’automédication. Parce que quand vous êtes en face de la dengue, il y a des médicaments à éviter tels que les anti-inflammatoires (ibuprofen, diclofenac…). Même les médicaments traditionnels que certains conseillent de plus en plus aux gens, à savoir par exemple les décoctions à base de feuilles de papayer qui sont sensés soigner la dengue sont à éviter.

Quelle dose il faut prendre pour que ça soit suffisant sans que cela n’ait des effets néfastes sur le rein, le foie ou tout autre organe ? Beaucoup en prenant ces produits se retrouvent à l’hôpital après non pas à cause de la dengue mais à cause des effets néfastes de ces produits qui ont dû les intoxiquer. Ce qui est grave puisque cela aboutit souvent à des insuffisances rénales ou à des insuffisances hépatiques pouvant conduire à la mort.

Quels conseils avez-vous à donner aux malades de dengue qui portent des tares de cette maladie ?

Avec la dengue, on a remarqué que ceux qui ont des tares connues, succombent plus facilement. Ceux qui ont des maladies chroniques comme l’hypertension, le diabète, la drépanocytose, les gens qui sont obèses, les femmes enceintes, les nourrissons entre autres, toutes ces personnes sont plus vulnérables face à la dengue. Donc ceux qui ont ces maladies, doivent nécessairement consulter rapidement parce que leur maladie initiale peut avoir un effet sur l’évolution de la maladie en créant des complications.

Y a-t-il des séquelles que des malades de la dengue peuvent traîner?

Normalement non. Mais avec les complications que nous pouvons constater, c’est possible. Vous avez vu qu’on a parlé du fait que la dengue peut aboutir à l’insuffisance rénale, à insuffisance hépatique ou à d’autres complications. Mais c’est vraiment rare.

Combien de temps dure le traitement de la dengue ?

D’abord il faut dire que la dengue est une maladie avec plusieurs formes dont des formes asymptomatiques. C’est-à-dire des gens qui peuvent avoir le virus mais qui ne développent pas les signes de la maladie. Ce sont les cas les plus nombreux, environ 50 à 90 pour cent. Une partie de ces gens qui sont infectés vont présenter des formes pauci-symptomatiques avec des signes légers comme la fièvre, les céphalées qui peuvent facilement être gérées par des médicaments comme le paracétamol. Mais ce qu’on redoute ce sont les formes symptomatiques qui évoluent en plusieurs phases dont celle fébrile, critique et la phase de convalescence. On observe souvent des formes sévères avec des complications redoutables.

Devant les formes sévères, la prise en charge est différente par rapport à la forme simple où il faut gérer juste les symptômes et l’immunité de la personne arrive à éliminer le virus. Donc la prise en charge est fonction de la forme de la maladie et de la phase dans laquelle on se trouve.

Dans la forme symptomatique simple, la prise en charge aussi est simple. Comme c’est une maladie virale, il n’y a pas un traitement spécifique, c’est-à-dire qu’il n’y a pas un médicament qui va aller tuer le virus. Contrairement au paludisme qui est dû à un parasite et c’est connu puisqu’il y a des médicaments contre les parasites.

Selon les phases, s’il n’y a pas de complications et que ce sont des symptômes simples, on met des traitements symptomatiques contre la fièvre, les maux de tête, les vomissements… Au bout d’une semaine à dix jours, tout au plus deux semaines, l’organisme arrive à éliminer le virus et à se restaurer. Mais si c’est dans un cas sévère c’est-à-dire s’il y a des hémorragies, la prise en charge est différente parce qu’il faut gérer toutes ses complications dont l’évolution peut être fatale.

Y a-t-il plusieurs types de virus de la dengue ? Cette maladie varie-t-elle d’une région à une autre ?

Il y a quatre types de virus de la dengue (appelés sérotypes) mais on n’a pas encore fait des études pour comparer et dire que quand on est en face de tel sérotype voilà les signes qui vont avec. Les études ont montré depuis les dernières flambées de dengue au Burkina, que trois types ou sérotypes (DENV1, 2 et 3) circulent au Burkina. Il faut noter que la dengue est une maladie immunisante, c’est-à-dire qu’une fois que vous avez eu à faire la dengue vous êtes immunisés et vous n’allez plus refaire la dengue. Mais malheureusement l’immunité n’est pas croisée, c’est-à-dire l’immunité pour un type ou un sérotype donné n’est pas valable pour un autre. Et comme il y en a jusqu’à quatre types, il faut avoir rencontré les quatre sérotypes pour être totalement immunisé. En fonction des régions, il n’y a pas de différences mais peut être des différences en fonction de l’individu ou en fonction peut être de la virémie, c’est-à-dire la quantité de virus qui se trouve dans l’organisme de la personne au moment de l’infection. Il faut noter que présentement au Burkina Faso on note beaucoup plus de cas dans la région du centre.

Faut-il s’alarmer du nombre de cas enregistrés par les centres de santé au Burkina? Ou est-ce que cette maladie est-elle maîtrisée?

On ne peut pas parler de maîtrise pour le moment de la dengue. C’est vrai que je n’ai pas encore les statistiques de cette année parce que généralement c’est pendant les mois d’août et septembre que nous avons les pics.

Mais en comparant l’évolution de la situation épidémiologique de 2016 à 2017, nous avons remarqué qu’il y a un accroissement du nombre des cas de malades. Par exemple en 2016, on avait répertorié au plan national un peu plus de 2 000 cas suspects et en 2017 on avait plus de 12 000 cas voire 15 000 cas, donc vous voyez bien que le nombre s’accroît.

Au vu de ces chiffres, l’Etat (burkinabè) a engagé un certain nombre d’actions avec les différents acteurs intervenant dans la santé, les partenaires et le ministère pour pouvoir contrer la maladie. Entre autres il y a le volet information et communication qui a été pris en compte. Il y a eu de la sensibilisation qui a impliqué des collectivités locales.

Rien que l’année passée, près de 5 000 jeunes ont été recrutés dans la ville de Ouagadougou pour qu’ils sillonnent les quartiers de la ville pour sensibiliser et détruire les différents gîtes des moustiques. Ils ont ramassé les pneus usagers et détruit les gîtes qui pouvaient contenir des larves.

Il y a eu des pulvérisations à grande échelle avec des programmes de sensibilisation continue. Il y a le Comité National de Gestion des Epidémies (CNGE) qui regroupe le ministère de la santé, les acteurs qui travaillent dans le domaine santé, les partenaires comme l’OMS, l’UNICEF en autres qui se réunit chaque trimestre et une fois par semaine en période d’épidémie. Ce comité travaille à trouver les moyens pour prévenir et lutter efficacement contre la dengue. Donc à travers tous ces efforts, je peux rassurer les populations qu’il y a de l’espoir que cette maladie soit maîtrisée.

Par Bernard BOUGOUM