Accueil Opinion Burkina/Houet: femmes, sécurité foncière et pratique agroécologique, quelles perspectives ?

Burkina/Houet: femmes, sécurité foncière et pratique agroécologique, quelles perspectives ?

0
(Ph. d'illustration Mides Niger)

Félix Ouédraogo, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso et Amado Kaboré, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso, s’interrogent, dans cet article, sur la situation des femmes par rapport à l’accès à la terre dans une perspective de production agroécologique dans la province du Houet (Ouest du Burkina Faso).

Introduction

En Afrique, la terre a toujours suscité des conflits au sein des communautés rurales (Bagré A. S., & Hilhorst T. 2003). Au Burkina Faso, l’accès durable à la terre est principalement lié à l’héritage, ce qui crée des frustrations et des conflits d’intérêts au sein des familles et entre les différentes catégories de genres (FAO, 1999). En dépit de la loi n° 034-2009/AN du 16 juin 2009 portant régime foncier rural et le code des personnes et de la famille, la situation des femmes rurales reste précaire par rapport à l’accès aux terres familiales à cause de leurs exclusions du droit d’héritage (Yoda F. B. 2009). Cependant, certaines femmes peuvent se voir léguer des terres en cas de non-existence d’un héritier masculin. Elles peuvent également louer, acheter ou avoir un droit d’exploitation temporaire sur un périmètre grâce à leurs maris (Gislain, K.T. R. et al, 2018). Ces réalités évoquées par les défenseurs de l’agroécologie sont à même de limiter les investissements durables dans l’agriculture en général et en particulier dans le maraîchage (Mathieu P. et al 2000). Toutefois, selon De Sardan J.P (2001), les régimes fonciers traditionnels sont très dynamiques et peuvent s’adapter aux pressions démographiques et foncières.

Devant la réalité ci-dessus, nous nous posons la question de recherche suivante :  quelle est la situation des femmes par rapport à l’accès à la terre dans une perspective de production agroécologique ?

  1. Méthode adoptée

Dans le cadre de la présente recherche, nous avons adopté une méthode qualitative de collecte et d’analyse de données afin de saisir la réalité matérielle, les perceptions des maraîchères sur la question de la sécurisation foncière favorable aux investissements maraîchers durables. Des entretiens semi-directifs ont ainsi été menés auprès des maraîchères dans la province du Houet sur la problématique de la sécurité foncière en contexte de production maraîchère et dans une perspective d’inclusion des femmes dans la perspective d’une agroécologie durable. (Combessie J. C. 2007). Des entretiens informatifs ont également été menés auprès de personnes-ressources.

Pour le traitement des données, la technique de l’analyse de contenu a été utilisée. Ce qui a permis de mettre les informations en relation les unes aux autres et de les organiser de sorte qu’elles puissent donner du sens (Campenhoudt LV. et al. 2017 ; Nda P. 2006).

  1. Résultats et Analyses

Au Burkina Faso, la production maraichère n’est pas seulement l’affaire des hommes. En effet, aux abords des grandes exploitations familiales, les femmes rurales prennent l’habitude d’exploiter de petites unités de terrain. Généralement les produits issus de ces petites exploitations servent à améliorer la qualité nutritionnelle des repas ou sont tout simplement vendus. Il apparait de ce fait que le maraichage est une activité économique importante pour les femmes des milieux ruraux.

Selon nos données, les femmes affirment qu’au sein du ménage, elles sont les plus défavorisées par rapport à l’accès aux terres cultivables pour le maraîchage. Elles n’accèdent à la terre qu’à travers ces trois conditions : la location de la terre, le prêt à une tierce personne, et souvent l’héritage au cas où le père n’a pas de fils à même d’hériter. Dans tous les cas, l’acquisition des terres pour leurs exploitations n’est pas définitive. Généralement, les parcelles sont cédées par les maris en saison sèche (3 à 4 mois maximum) et retirées en saison pluvieuse pour la production céréalière. Ce qui ne permet pas aux femmes de produire des spéculations à cycle long ni planter des arbres fruitiers. Aussi, cela ne permet pas une réelle transition agroécologique, car, lorsque les parcelles infertiles exploitées deviennent fertiles, les propriétaires les retirent aussitôt. Pour les maraîchères du Houet, toutes ces situations sont de nature à freiner tout investissement durable sur les périmètres aménagés. Pour la plupart d’entre elles, investir durablement sur une terre louée ou sollicitée est une perte, car on n’est jamais à l’abri d’un retrait brusque.

L’organisation du foncier au Burkina Faso a un fondement traditionnel, encadré les déterminants religieux et culturels de la société. En référence à ce système, la terre a une dimension collective (la terre est un bien commun), elle est inaliénable et imprescriptible (la terre ne peut être vendue) et elle se transmet de génération en génération. La possession définitive de la terre relève du fait d’être membre du lignage de chef de terre (FAO, 1999). Cette conception de la terre subsiste dans les mentalités des communautés rurales malgré les modifications observées dans le cadre de la colonisation et de la monétarisation des économies locales traditionnelles. Ainsi le mode dominant d’acquisition des terres cultivables est l’héritage qui se déroule usuellement de père en fils (Ouédraogo S. & Millogo M. C. S. 2007). C’est également cette pratique sociale qui défavorise les femmes par rapport à l’accès aux terres cultivables. Elles ne peuvent user de la terre que par location ou prêt, excepter celles dont les parents n’ont pas de fils. Dans le Houet, les femmes rurales bénéficient de terres cultivables grâce à leur mari et les exploitent généralement sur une période déterminée ne dépassant pas une année. Cette acquisition de la terre qui n’est pas définitive pour la femme ne permet pas une réelle pratique de l’agroécologie dans le maraîchage puisque les terres leur sont retirées par moment. Ce qui corrobore les propos d’une maraîchère du Houet : « l’accès non durable à la terre cultivable ne permet pas une réelle transition agroécologique, car, lorsque les parcelles infertiles exploitées deviennent fertiles, les propriétaires les retirent aussitôt ». Or la sécurité foncière est une étape importante vers l’agroécologie (FAO, 2017). Comme le souligne Droy I. (1990), en société rurale africaine, les femmes ne bénéficient que d’un droit d’exploitation annuel ou saisonnier et ce droit est soumis à l’autorité du propriétaire terrien. C’est la raison pour laquelle la présidente de l’union des maraîchères de Dandé explique qu’investir à long terme sur un périmètre maraîcher revient à investir pour un propriétaire terrien quelconque. Nos entretiens ont également montré que les femmes sont moins enclines à répondre à la question de savoir pourquoi les femmes ne revendiquent pas un accès durable à la terre ? Beaucoup de femmes sont moins motivées a en parler pour éviter de se heurter à leurs maris ou à la tradition. Ce qui pourrait nuire à leurs foyers et à leurs tranquillités dans la communauté. Cette situation mérite qu’on travaille à l’exploitation des cadres juridiques existants pour favoriser une meilleure sécurisation foncière des exploitations tenues par les femmes. En outre, les maraichères affirment qu’avec un soutien financier, elles peuvent s’octroyer des terres pour une exploitation durable. Consciente réalité, certaines femmes nanties arrivent à s’acheter des périmètres pour leurs activités de maraîchages. Toutefois, il est important de revoir les textes en la matière pour une exploitation équitable et un accès sécurisé aux terres pour les productions agricoles et maraîchères des femmes.

Conclusion

Au Burkina Faso, l’accès à la terre est une question d’héritage dont

En milieu rural burkinabè, l’accès aux terres cultivables par les femmes est restreint. Généralement, les femmes louent ou prêtent les terres aux chefs de terre, aux propriétaires terriens ou à leurs maris qui ne leur permettent pas une exploitation durable ou agroécologique. Cette situation empêche les maraîchères dans la province du Houet de pratiquer l’agroécologie malgré les avantages qu’elles y trouvent.  Si certaines femmes arrivent à s’acheter des terres pour une exploitation agroécologique, la majeure partie des maraîchères du Houet n’ont pas les moyens de s’en offrir.

En somme, la nécessité de l’accès sécurisée à la terre et du contrôle des ressources par les femmes se présente comme un défi pour tous et un impératif fondamental pour les pouvoirs publics.

 

BIBLIOGRAPHIE

Bagré A. S., & Hilhorst T., 2003, « Enjeux et viabilité des communes rurales au Burkina Faso ». In AGRIS. Institute Royal des Tropiques (KIT). 86 p.

Campenhoudt L.V., Marquet, N., & Quivy, R., 2017, Manuel de recherche en sciences sociales. 5ème édition. Dunod, – 379 p.

Chauveau, J. P., Le Pape, M., & Olivier de Sardan, J. P., 2001, La pluralité des normes et leurs dynamiques en Afrique. Inégalités et politiques publques en Afrique. Pluralité de normes et jeux d’acteurs, Paris, Karthala, 145-162.

Combessie J. C., 2007, « L’entretien semi-directif ». Repères, 5, 24-32.

Droy I., 1990, Femmes et développement rural. Ed Karthala.184 p

FAO., 1999, Réformes agraires : colonisation et coopératives agricoles, p1-2.

FAO., 2017, Rapport des rencontres régionales sur l’agroécologie en Afrique sub-saharienne Dakar, Sénégal, 5-6 novembre 2015.

Gislain K. T. R., Ibouraima, Y., Théodore, A. T., Parfaite, K., Grégoire, S. S., & Sègbè, H. C., 2018, « Influence Des Modes D’accès A La Terre Sur La Production Agricole » Dans Les Communes De Dassa-Zoumé Et De Glazouè Au Centre Du Bènin. European Scientific Journal, ESJ, 14(6).

Mathieu P., Delville P. L., Ouédraogo H., Paré L., & Zongo M.,2000, Sécuriser les transactions foncières au Burkina Faso. Étude sur l’évolution des transactions foncières au Burkina Faso.

N’Da P., 2006, Méthodologie de la Recherche De la Problématique à la Discussion des Résultats. Comment réaliser un mémoire, une thèse d’un bout à l’autre, Collection Pédagogie, 3e édition revue et complétée, éditions universitaires de Côte d’Ivoire, 154p.

Ouédraogo S., & Millogo M. C. S. (2007). “Système coutumier de tenure des terres et lutte contre la désertification en milieu rural au Burkina Faso ». Natures Sciences Sociétés, 15(2), 127-139.

Yoda F. B.,2009, « La sécurisation foncière en milieu rural au Burkina Faso ». In L’accès à la terre et ses usages : variations internationale Access to land and its use: Differing international approaches

OUEDRAOGO Félix, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso, felixouedraogo99@gmail.com

KABORÉ Amado, Chargé de recherche à l’Institut des Sciences des Sociétés (INSS)/CNRST/Burkina Faso, kabore_amado83@yahoo.fr