L’ex-Premier ministre, Kadré Désiré Ouédraogo, dans une tribune, demande aux autorités de la transition d’«assainir» le processus électoral du Burkina Faso. L’ex-candidat malheureux à la présidentielle de novembre 2020, estimé que « la qualité du fichier électoral conditionne le succès où l’échec d’une élection ».
DE L’ASSAINISSEMENT DU PROCESSUS ELECTORAL AU BURKINA FASO
L’aboutissement proclamé de la transition est le retour à l’ordre constitutionnel, ce qui suppose des élections. Mais ce retour ne sera une réussite que si et seulement si des leçons sont tirées des défaillances du système électoral.
Organiser des élections n’est possible que dans un environnement de paix et de sécurité. C’est pourquoi, dès l’entame de ce propos, je réitère mon soutien et mes encouragements aux Forces de Défense et de Sécurité dans leurs efforts de sécurisation du territoire national. Sans le succès de leur action, il n’y a pas d’élection qui tienne. Tout en renouvelant ma compassion et ma solidarité avec toutes les victimes du terrorisme, je souhaite plein succès à nos forces engagées dans la lutte et exhorte les autorités à redoubler d’effort afin de garantir la sécurité de tous les citoyens et permettre ainsi le retour à l’ordre constitutionnel. Car la situation sécuritaire actuelle est inacceptable et doit être redressée.
Cela dit, l’un des objectifs principaux de la transition est la refondation des principes de notre vivre ensemble pour repartir sur de nouvelles bases porteuses d’espoir pour le citoyen. Cela implique donc une réflexion profonde sur la démocratie telle que nous l’avons vécue et essayé de consolider ensemble jusque-là.
La survenue du coup d’état du 24 janvier 2022, à peine Un an après les élections de novembre 2020 où un président a été élu dès le 1er tour avec près de 58% des voix, est la preuve que notre démocratie n’a pas été parfaite ou que la gouvernance post-électorale n’a pas été parfaite. Il convient donc que de l’expression plurielle des idées, nous corrigions ensemble ses travers pour rendre notre système de gouvernance plus solide.
La démocratie, c’est le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le peuple. Et le premier principe, c’est que les citoyens doivent élire librement et inclusivement leurs dirigeants et que ces dirigeants doivent les représenter dignement et leur être redevable.
L’on voit par là que la base de la démocratie, c’est le choix des dirigeants, et donc le processus électoral. D’où l’importance des élections pour la solidité des institutions d’une démocratie. De la qualité des élections, dépendent la paix sociale, l’unité nationale et l’adhésion du peuple aux décisions de l’Etat. Alors la question cruciale est :
Comment assurer un processus électoral crédible au Burkina Faso après la transition ?
Comme chacun le sait, une élection se construit avant tout sur la base du fichier électoral. La qualité du fichier électoral conditionne le succès où l’échec d’une élection. Nous sommes tous témoins de l’imperfection criarde de notre fichier électoral. Aux dernières élections de 2020 pour ne prendre que cet exemple, environ 6 millions de Burkinabè étaient inscrits sur les listes électorales sur un potentiel d’environ 11 millions d’électeurs (compte tenu de l’âge minimum pour voter). Bien sûr, il y avait une difficulté particulière cette année-là du fait de l’insécurité qui a empêché certaines contrées d’être prises en compte. Mais même en tenant compte de cet aspect, le nombre d’inscrits, quelque 6 millions sur une population de 20 millions, posait problème. Sur ces 6 millions, d’inscrits, quelque 3 millions sont allés voter. Le président du Faso a été élu avec environ 58% des voix, soit 1 580 000 votants. Il faut avouer que ces statistiques montrent déjà à quel point le socle électoral du pouvoir était étroit et cela le rendait évidemment vulnérable au moindre choc. Il faut donc travailler à élargir la base électorale de tout pouvoir qui sortirait des urnes.
Beaucoup de contraintes conduisent à ce fichier électoral étriqué. Et il faut travailler à mitiger ces contraintes. Il y a les contraintes objectives et naturelles telles que l’accessibilité de certaines zones, l’analphabétisme de l’électorat, le coût du recensement, etc.
Mais il y a aussi des contraintes voulues et créées pour des raisons politiques : stratagèmes pour empêcher l’inscription d’électeurs de certaines zones tout en favorisant d’autres zones, choix limitatif des pièces d’identité à présenter pour se faire inscrire sur les listes électorales. On a en mémoire le fameux débat entre l’ex majorité et l’ex opposition sur l’usage ou non de la carte consulaire pour les citoyens de la diaspora, l’acte de naissance, le livret de famille etc.
Il y a aussi la programmation de la révision du fichier électoral et les centres de recensement (surtout pour les électeurs de la diaspora). On se souvient que pour la Côte d’Ivoire par exemple, la mission de la CENI pour recenser les électeurs est arrivée avant celle de l’ONI censée délivrer les cartes nationales d’identité (CNIB) indispensables pour l’inscription, le tout sans attendre l’examen d’un projet d’amendement du code électoral attendu en fin janvier 2020 censé élargir le nombre de points de recensement pour la diaspora. Ainsi, les opérations d’enrôlement de la CENI ont débuté le 10 janvier 2020, et les missions de l’ONI pour délivrer les CNIB sont arrivées plus tard. De sorte que quand les gens avaient leur CNIB, la mission de la CENI avait déjà plié bagages. Il ne restait plus pour ceux qui le désiraient que l’option de prendre l’avion ou le bus pour aller au pays s’inscrire. Ils sont combien les Burkinabès de l’étranger à pouvoir se permettre cette option même s’ils le souhaitaient ?
A cela s’ajoute le nombre et la position des bureaux de vote et par conséquent des centres d’enrôlement plus près de l’électeur. Alors qu’un projet de loi était attendu pour être adopté le 23 janvier qui autorisait que les écoles et autres lieux publics autorisés par le, pays hôte puissent être considérés comme lieux d’enrôlement et de vote, la CENI a poursuivi l’enrôlement depuis le 10 janvier sur la base de l’ancienne loi qui prévoyait uniquement les consulats comme lieux d’enrôlement et de vote. Et le 26 janvier, elle clôturait l’enrôlement. La loi a été effectivement adoptée le 23 janvier mais elle ne pourra servir que pour les élections futures. C’est dire que le vote des Burkinabè de l’étranger pour la 1ere fois en 2020 n’a été qu’un leurre, rien qu’à voir le nombre insignifiant des inscrits, alors que des sommes énormes ont été dépensées à grand renfort de publicité. Ces résultats décevant n’ont étonné aucun observateur de bonne foi, même si certains responsables ont déclaré de façon hypocrite être surpris par « le peu d’engouement des électeurs de la diaspora ».
Il y a eu à l’intérieur du pays d’autres manœuvres qui ont favorisé le peu d’affluence des électeurs pour l’inscription sur les listes.
En plus de ces manœuvres, il y a le coût de la CNIB (2 500 francs) qui est assez dissuasif pour nombre de citoyens. Il faut donc, si on veut démocratiser les élections, que l’on élargisse la liste des documents d’identité à présenter pour l’inscription sur les listes électorales ou que l’on subventionne le coût de la CNIB pour le ramener à 500 francs par exemple. Cela serait du reste bénéfique pour le pays car en dehors des élections la CNIB contribue à une meilleure administration de la population et à la sécurité.
Une fois la problématique de l’inclusivité du fichier électoral résolu, il faut ensuite auditer celui-ci pour que le fichier soit débarrassé des doublons et autres erreurs et qu’il ait la confiance de tous les acteurs. Des Organisations internationales sont prêtes à assister le pays dans ce sens. Mais il faut que cet audit soit fait à temps et sous la supervision de tous les acteurs.
Il ne suffit pas cependant d’avoir un fichier électoral audité et propre. On sait que dans l’usage de plus en plus élargi des T.I.C. dans le processus électoral, il importe que le mode de saisie des données dans les centres de compilation des résultats soient aussi audités et que des informaticiens indépendants et des représentants des candidats assistent à la certification du logiciel qui ne pourra être modifié en cours de processus.
Il y a ensuite la localisation géographique des bureaux de vote. En principe elle doit être connue et validée par le Conseil Constitutionnel et ne peut être modifiée que sur accord de ce dernier. Or, durant les élections de 2020, la situation sécuritaire a été utilisée comme prétexte pour modifier à la dernière minute la carte des bureaux de vote, créant des confusions et des occasions de fraudes massives.
Il y a lieu aussi de revoir la disponibilité à temps du matériel électoral. On a vu aux élections de 2020 des erreurs de convoyage du matériel de vote tel que les urnes, l’absence de matériel électoral dans de nombreux bureaux de vote. A 30 minutes de la clôture des votes, plusieurs bureaux ne disposaient pas de formulaires de procès-verbal de dépouillement, ce qui rendait impossible la conformité avec la loi, ouvrant la voie à tous les abus possibles. Jamais la CENI ne nous a donné de voir un tel degré de cafouillage.
Il y a aussi la question de la représentation des candidats dans les bureaux de vote qui doit être revue. Compte tenu du coût exorbitant que cela représente, il convient de revoir la pratique actuelle.
Ensuite vient la question de la campagne déguisée. La loi actuelle a été vidée de son sens pour devenir un moyen de bâillonnement de l’opposition « 3 mois avant les élections alors que le parti au pouvoir déroulait tranquillement sa « campagne déguisée » par les bilans, les visites de terrain, les inaugurations, etc., bien sûr sous le couvert d’activités gouvernementales. En fait, cette loi qui était dans son esprit destinée à empêcher que ceux qui gouvernent ne fassent campagne sous le couvert d’activités officielles au détriment des autres partis, a tété retournée pour favoriser la campagne déguisée des gouvernants et réduire l’opposition au silence. Le caractère aberrant de cette loi a été perçu sur le tard et elle a été partiellement corrigée, mais c’était trop tard.
Pour l’égalité des candidats en matière de publicité, des efforts ont été faits en ce qui concerne la presse d’Etat. Mais qu’en est-il de la presse privée ? Il y a lieu de réfléchir à cet aspect.
La lutte contre la corruption électorale est aussi essentielle pour une élection. Celle-ci ne doit pas se transformer en un concours de moyens financiers comme on l’a vu malheureusement en 2020, mais en concours d’idées et de programmes. Il est indispensable de revoir cet aspect et introduire les balises nécessaires.
Les transports d’électeurs comme du bétail pour aller voter entrent dans cette logique de corruption et de concours de moyens financiers, de fraude électorale. Il faut les circonscrire.
De la réforme des institutions électorales :
Tous ces correctifs et bien d’autres sont nécessaires, mais seront de nul effet sans un fonctionnement efficace des organismes chargés des élections. Chez nous, il est nécessaire et indispensable de repenser la CENI dans sa composition et son fonctionnement. D’abord sa structuration actuelle à savoir : Majorité-Opposition- Société Civile ne tient plus dans une élection post-transition. Qui est majorité aujourd’hui et qui est opposition ? Quant à la société civile, il faut la dépolitiser afin qu’elle puisse jouer un rôle d’arbitre si tant est qu’on veut garder la philosophie actuelle de la CENI.
Le conseil constitutionnel qui est l’arbitre suprême doit être encouragé à avoir toute l’indépendance, nécessaire pour mériter la confiance des citoyens.
Ces réformes sont de la responsabilité de la classe politique et des citoyens dans leur ensemble. Mais il y a aussi un rôle à jouer par la Communauté Internationale qui s’emploie à observer les élections. Elle doit redoubler d’efforts pour intervenir comme observateur depuis l’adoption des lois électorales, la révision des listes et l’audit du processus. Car observer simplement le jour des élections donne certes une photographie ponctuelle de la situation, mais ne permet pas de détecter les failles dans plusieurs étapes-clés pour le succès d’une élection.
Pour une réussite dans le retour à l’ordre constitutionnel, la loi électorale doit être revue en profondeur avec la participation de tous les acteurs, dans un dialogue inclusif national, pas seulement entre les partis politiques, mais avec tous les « ayant-droit » de notre démocratie. Chaque citoyen a son mot à dire pour des élections inclusives et crédibles.
OUAGADOUGOU, le 17 août 2020
Kadré Désiré OUEDRAOGO
Grand-Croix de l’Ordre National