Ceci est une tribune des universitaires Yoporeka Somet et Ollo Mathias Kambou sur les audios qui appellent à des exactions dans le Sud-Ouest du Burkina Faso. « Ces appels réitérés au meurtre, à l’épuration et au nettoyage contre une communauté considérée comme allogène (c’est-à-dire autre que soi-même, même si elle nous ressemble tellement par ailleurs) est d’abord l’expression de (la) haine de soi », lit-on dans leur écrit qui soutient que cela est « la résultante de violences sévères ».
GUÉRIR DE LA HAINE DE SOI…
Nous avons reçu et écouté, comme beaucoup de compatriotes, en cette fin de semaine, deux enregistrements audio dans lesquels s’expriment deux hommes s’identifiant comme des ressortissants du Sud-Ouest. Ressortissants et non pas résidents : ce qui signifie, selon la logique des auteurs eux-mêmes, qu’ils résident actuellement dans une région, ville ou localité dont ils ne sont pas « ressortissants ». L’autre point commun entre ces deux personnes est que l’une et l’autre se définissent d’abord comme étant lobi. Lobi, et non pas Burkinabè ou encore simplement Africain…. Peut-être considèrent-elles que cette dernière identité va tellement de soi qu’elle n’a plus besoin d’être affirmée ou revendiquée. Ce en quoi nous disons qu’elles ont eu bien tort pour la bonne et simple raison que la revendication de cette identité les aurait, au contraire, certainement tenus à l’écart des errements particulièrement graves contenus dans les audios concernés. La gravité des propos et provocations est telle que le gouverneur de la région du Sud-Ouest a réagi promptement et publiquement en publiant, le 14 Août 2022, un communiqué administratif dans lequel il met en garde « les auteurs de ces déclarations xénophobes » et prévient que « des mesures sont déjà prises par les services techniques compétents pour que les auteurs de ces messages répondent de leur forfait ».
Eu égard à cette réaction de l’autorité administrative qui s’est saisie de la question, il ne nous appartient plus dès lors d’insister sur le contenu des propos tenus, assumés et réitérés, que bien évidemment, nous réprouvons et condamnons sans aucune ambiguïté. Mais cela, c’est l’affaire de la justice, in fine. Nous nous bornerons donc simplement à n’aborder que ce que nous considérons comme les symptômes du mal dont il s’agit ici ; un mal chronique et profond qui a certes touché d’autres peuples, mais qui frappe en particulier le peuple noir avec une particulière dureté. Ce mal, cette maladie même s’appelle la HAINE DE SOI. Bien qu’elle soit liée à des causes historiques évidentes, cette maladie qui nous touche, encore une fois, beaucoup plus que d’autres peuples, ne nous dédouane pas pour autant de nos responsabilités personnelles et collectives, aussi bien en tant qu’individus qu’en tant que peuples.
Comment cela se manifeste-t-il ? Précisons encore que cette maladie chronique, la HAINE DE SOI, est elle-même la résultante de violences sévères, symboliques ou réelles exercées pendant si longtemps sur le corps et l’esprit de ceux qui en sont victimes (nous Africains en particulier), au point que ceux-ci finissent par les accepter comme tout à fait naturelles et donc normales. Les effets à long terme de cette violence extrême, comme l’est par principe la violence coloniale est d’amener celles et ceux qui la subissent à la reproduire à leur tour, contre leur propre corps ou tout ce qui lui ressemble. Par conséquent, ils ne peuvent, en fin de compte, que détester ce corps noir, devenu le réceptacle de la violence et de toutes les formes de mépris. Ayant donc ainsi intégré cette violence et ce mépris de soi comme partie intégrante de leur personnalité, ils ne peuvent, dès lors, que le reproduire à l’infini contre tous ceux qui leur ressemblent et qui, pour cette raison, doivent aussi être objets de mépris. Voilà, en quelques mots, ce qu’est la HAINE DE SOI.
Ce que nous voulons donc dire et redire encore ici c’est que ces appels réitérés au meurtre, à l’épuration et au nettoyage contre une communauté considérée comme allogène (c’est-à-dire autre que soi-même, même si elle nous ressemble tellement par ailleurs) est d’abord l’expression de cette HAINE DE SOI. Seul celui qui n’a aucune considération pour lui-même et sa propre dignité peut ainsi « naturellement » appeler à s’attaquer à la dignité et à la vie d’autrui. Seul celui qui ne s’aime pas d’abord lui-même au sens où il n’a aucune considération pour sa personne (et pour sa propre vie) et aucun sens de l’honneur peut aussi tranquillement inciter à s’en prendre la vie d’autrui. Il est étonnant que les auteurs n’aient pas vu que tout cela, paradoxalement, va à l’encontre de l’esprit même du peuple dont ils se réclament dans les enregistrements en question.
La HAINE DE SOI et le mépris de la vie humaine (celle des nôtres en particulier) sont devenus une constante dans nos sociétés africaines postcoloniales où s’exercent une violence et un mépris autoproduits de la vie humaine. Il n’y a qu’à voir le peu de valeur attaché à la vie des nôtres dans nos contrées (où des dizaines de vies sont arrachées chaque semaine), et à plus forte raison ailleurs dans le monde, pour prendre toute la mesure de la profondeur de ce mal chronique. Et l’exemple qui nous occupe en ce moment n’est malheureusement pas un cas isolé.
Pour autant, ce mal n’est pas un mal incurable. Pour le soigner et en guérir définitivement, il n’y a pas d’autre médicament que nous-mêmes, ensemble. Un proverbe wolof dit bien que l’être humain est un médicament pour son semblable : « nit nit ay garabam », autrement dit, et littéralement : l’être humain, c’est l’être humain son médicament.
En autres termes, il n’y a pas de salut pour un peuple qui s’autodétruit continuellement. Il est donc temps qu’en tant que peuple, nous prenions enfin cette affaire de nous-mêmes au sérieux, pour soigner et guérir, une fois pour toutes, cette maladie chronique qu’est la haine de soi, qui nous affaiblit, divise nos sociétés, sape les bases même de l’idée de Nation et menace de nous anéantir tous collectivement.
Joseph KI-ZERBO a écrit que « Les guerres ethniques constituent au même titre que les guerres de religion des conflits particulièrement graves. Or la paix (inter et intra ethnique) est comme la santé, le bien des biens : le bien par lequel on peut jouir des autres biens » (2008, p. 170). C’est pourquoi nous invitons les BURKINABÈ de toutes les communautés résidant au Sud-Ouest à se démarquer de cet appel aux tueries massives de nos compatriotes sur la base unique de leur appartenance réelle ou supposée à des communautés qui seraient « étrangères au Sud-Ouest. »
Nous rappelons en passant qu’aucun Africain ne peut (et ne doit) être considéré comme un étranger au Burkina Faso, a fortiori des Burkinabè. En outre, nous invitons l’ensemble des Burkinabè, et en particulier ceux et/ou celles de la « communauté LOBI » à ne pas céder au piège et à la tentation de la STIGMATISATION MEURTRIÈRE de citoyen.ne.s sur la base de leur appartenance réelle ou supposée à une (ou des) communauté (s) dont certains membres sont impliqués dans des attaques terroristes. Pour aucune raison, nous ne devons céder au piège que le terrorisme nous tend, à savoir la stigmatisation, le repli identitaire et par conséquent les conflits inter-communautaires.
Au contraire, nous avons le devoir de cultiver l’esprit de la citoyenneté républicaine et la cohabitation pacifique entre les différents particularismes identitaires (ethnie, religion, région…) en dépit de l’épreuve que nous traversons. Car la diversité ethnique (qui n’est pas une différence de nature) doit être perçue plutôt comme une richesse, et surtout le ciment pour la construction d’une nation burkinabè paisible et prospère. Joseph KI-ZERBO le note encore : « La multiplicité des ethnies est une charge mais aussi une richesse pour ce continent et le monde, au moment où l’uniformisation et le nivellement culturel menacent la planète ainsi que la pensée politique et économique uniques » (KI-ZERBO, 2008, p. 118)
En somme, aucune communauté ne saurait être tenue pour responsable du comportement d’un individu ou de groupes d’individus membres de celle-ci. Le combat contre le terrorisme et ses différents complices exige de nous une approche inclusive de toutes les ethnies et diversités culturelles dans le respect des principes de l’État de droit et des valeurs républicaines, gages de cohésion et de progrès du Faso.
Pour finir, nous invitons le (s) Procureur(s) du Faso près le (s) tribunal (aux) de Gaoua et de Diébougou à diligenter une enquête, et le cas échéant, des poursuites judiciaires contre les auteurs de ces audios appelant ouvertement à l’extermination, au génocide et au nettoyage ethnique.
Notre conviction est que nous constituons un seul et même peuple africain : que nous soyons Lobi, Peul, Moose, traditionaliste, musulman, chrétien, athée ou autre…
Ont signé :
- Yoporeka SOMET (PhD en Philosophie, PhD en Egyptologie, Director, Centre for African Renaissance Studies, Dedan Kimathi University of Technology, Kenya)
- KAMBOU Ollo Mathias (Assistant de Recherche, doctorant en Sciences de la Population à l’Université Joseph KI-ZERBO)