Le député Kadidia Yanogo/Zongo du groupe parlementaire Rassemblement démocratique (RD), a voté contre la loi portant quota et modalités de positionnement des candidates ou candidats aux législatives et municipales au Burkina Faso. Pour elle, cette nouvelle loi «est un boulevard de l’impunité et une caverne d’Ali Baba pour les partis politiques». A l’adoption du texte visant à contraindre les partis politiques à donner plus de chance aux femmes dans les instances politiques lors des élections, l’élue Kadidia Yanogo, par la clarté et la profondeur de son intervention, a saisi plus d’un dans l’hémicycle qui a été pris d’assaut par des femmes. Nous vous proposons l’intégralité de son adresse dont nous avons obtenu copie.
Intervention
« Monsieur le ministre, le gouvernement a du mal à prouver aux femmes, qu’il est soucieux du respect des droits humains des femmes et travaille à promouvoir les textes internationaux, régionaux qu’il a ratifiés. En ratifiant ces textes, le gouvernement s’engage par là même, à prendre les mesures nécessaires pour y parvenir.
De déclarations tonitruantes, aux promesses non tenues, nous voilà face à un projet de loi qui risque fort de nous ramener plus de 10 ans en arrière, avant l’adoption de la loi n°010-2009/AN du 16 avril 2009.
Je ne reviendrai pas sur les questions soulevées au cours du débat général, questions pour lesquelles vos réponses sont restées vagues, ou si, elles ont fini de nous convaincre, que ce projet de loi, sans une sanction appropriée et contraignante, contrairement à celle en vigueur, que nous décrions déjà parce qu’insuffisante et inefficace, qui avait au moins le mérite de prévoir une sanction en cas de non-respect (art.5) ; confère les réponses à la question n°19 où l’Etat a pu engranger plus de 146 millions FCFA au titre des retenues. Ce Projet de loi est un boulevard de l’impunité et une caverne d’Ali Baba pour les partis politiques. On va s’appuyer sur la femme, s’enrichir et travailler contre elle !
L’article 10 du présent projet de loi, est une aubaine pour les partis politiques, pour siphonner le budget public tout en maintenant intelligemment la femme dans la précarité politique, en n’apportant rien à l’avancement de la démocratie : Ils ont le haricot et l’argent du beurre de karité.
30% de tête de liste ? Pas besoin d’être divin pour comprendre que les partis politiques vont positionner les femmes dans les circonscriptions où ils sont à 500% sûrs qu’ils ne pourront jamais avoir un siège ; pour brandir par la suite leur cuisante défaite et faire porter à la femme cette responsabilité : Une stratégie de démoralisation des femmes, un argument de plus pour nous tirer vers le bas.
Au lieu de distribuer gratuitement des fonds publics à des partis politiques qui en réalité, ne vont rien apporter à la démocratie, le gouvernement gagnerait à accorder ce bonus à tous ceux qui payent régulièrement leurs impôts (IUTS, Patente, BIC, BNC et j’en passe), en adoptant, ne serait-ce qu’une fois en passant, de les gratifier de bonus. Je rappelle que le déficit budgétaire de 2020 est de 285,140 milliards. Cette stratégie aurait pu inciter les mauvais payeurs à se mettre en règle et faciliter la compréhension du citoyen vis-à-vis de son devoir fiscal : Nous pourrions donc, par nous-mêmes, combler nos déficits budgétaires.
Je m’inquiète de la place qu’occupera la femme d’ici fin 2020, à la fin du mandat présidentiel, lorsque la première responsable, avec ses multiples chapeaux, défend le maintien du ministère en l’état, avec l’argument, oh combien pénible à entendre, que la femme ne peut être dissociée de l’action humanitaire ; j’ai vite compris, qu’il ya là, une difficulté à cerner la vision claire de la mission de promotion de la femme.
Ma mère, comme la grande majorité des femmes n’a pas été à l’école et ne savait ni lire ni écrire. Elle a été ménagère et a éduqué sa dizaine d’enfants. Jamais, au grand jamais, cette grande majorité de femmes burkinabé, ne peut être considérées comme des cas sociaux, à la charge de l’Etat.
La myopie, l’hypocrisie et l’ingratitude de la société, nous font croire que nos braves mères ménagères, d’ailleurs nous le sommes toutes à temps plein ou à temps partiel, n’apportent rien à la société et sont d’éternelles assistées. La femme est le pilier de notre société, elle joue un rôle noble qui mérite d’être reconnu et doit être respectée, parce que éducatrice à 200% d’hommes et de femmes de demain, parmi lesquels sortiront des ministres.
Face aux inconséquences des arguments avancés, je note des contradictions de taille dans les propos de mes collègues qui m’ont précédée : On reconnaît la mobilisation des femmes pour élire les hommes ; on est certain qu’en prévoyant des sanctions «positives» en cas de positionnement de femmes comme têtes de listes, cela encouragerait les partis politiques à le faire ; et paradoxalement on prétexte qu’il manque de femmes dans les états-majors des partis politiques pour être positionnées sur les listes ! Allez-y comprendre : si ce n’est une mauvaise volonté, cela y ressemble fortement.
Pour finir, M. le ministre, vous pouvez toujours dire que l’AN à la latitude de ne pas voter la loi. C’est sur cette note que j’invite les honorables députés à un vote judicieux prenant en compte leur électorat féminin, et à rester conséquents dans leur vision d’une AN soucieuse de l’équité et du respect des droits humains des femmes.
Cette législature qui a relu le Règlement de l’AN pour faire de l’application du quota de 30% une réalité au niveau des postes de responsabilité. Une 7ème législature qui a organisé avec brio le Forum national sur l’autonomisation des femmes, ne peut se dédire aux yeux de l’opinion publique.
Aux femmes, l’heure est grave. Le combat ne fait que commencer. Nous avons la responsabilité de faire mieux que nos devancières. »
Par Bernard BOUGOUM