Ceci est une lettre ouverte qu’adresse le juriste Amadou Traoré au président français Emmanuel Macron qui sera à Ouagadougou du 27 au 29 novembre 2017.
Monsieur le Président de la République Française,
Je vous souhaite la bienvenue au Burkina Faso. Votre bref séjour dans notre pays, dans le contexte d’une visite officielle, ne vous permettra certainement pas de toucher du doigt la réalité de la vie des burkinabè. Vos hôtes du pouvoir burkinabè vous donneront sans doute une image positive de leur action à la tête de l’État. En tant que représentant d’un pays qui entretient des relations étroites de partenariat avec le Burkina, il est bon que vous ayez aussi une autre vision de sa situation, de ses difficultés et de ses perspectives.
J’ai choisi de vous exposer, en des termes francs et directs, quelques aspects de la situation qui prévaut dans notre pays. Il s’agit entre autres : de la question de l’équité en justice et des droits de la défense, du respect des droits de l’homme et de l’exercice des libertés publiques, de la cohésion sociale et de la réconciliation nationale, de la sécurité des personnes et de la défense du territoire national, et enfin, de la bonne gouvernance et de l’instauration du dialogue politique.
Je crois pouvoir dire que les points de vue que j’exprime sont largement partagés par la majorité des partis de l’opposition politique burkinabè, ainsi que par une grande frange de l’opinion nationale.
- De l’équité en justice et des droits de la défense
La justice burkinabè, saisie de dossiers à caractère politique, peine à donner des gages sur sa capacité à dire le droit dans ces affaires, dans le respect de la légalité et des principes d’équité applicables en la matière. L’indépendance de la justice, le devoir d’impartialité du juge et la transparence dans le traitement des dossiers demeurent des aspirations insatisfaites. Ce constat ne met pas en cause la compétence et la probité des magistrats de profession. Il est plutôt le résultat de la manipulation de la justice par le pouvoir.
Dans un État qui se veut démocratique, régi par la primauté du droit, la justice constitue un rempart contre les abus et l’exercice arbitraire du pouvoir d’Etat par l’exécutif. Or la situation actuelle du Burkina Faso se caractérise davantage par les tentatives d’instrumentalisation du pouvoir judiciaire aux fins de neutraliser les adversaires que par la volonté de rendre une justice fondée sur le droit.
- Des droits de l’homme et de l’exercice des libertés publiques
L’un des déterminants de la politique du Burkina Faso post-insurrectionnel est l’abaissement généralisé de l’observation du droit et le non-respect de ses engagements par l’État. Sous la transition, cela s’est traduit entre autres par le bâillonnement des libertés publiques et les exclusions politiques massives pratiquées en 2015 au mépris des dispositions du traité de la CEDEAO et d’une décision expresse de la Cour de justice de la CEDEAO rendue en juillet 2015.
Cette dérive liberticide n’a pas pris fin avec les élections de 2015, qui ont installé le pouvoir actuel. Au contraire, elle tend à s’amplifier. Les arrestations, détentions abusives et harcèlement des opposants, les atteintes répétées aux droits de l’homme, les exactions des supplétifs du pouvoir et des milices d’auto-défense sont devenues monnaie courante. Au point que le Comité des droits de l’homme des Nations-unies a tiré la sonnette d’alarme, en formulant des observations très critiques à l’égard du Burkina Faso, à l’occasion de sa session annuelle de 2016.
Dans le même sens, le Groupe de travail sur les détentions arbitraires du Haut-Commissariat aux droits de l’homme des Nations Unies a, dans un avis rendu public le lundi 3 juillet 2017, jugé « arbitraire » la détention du Général Djibril BASSOLE. Bien qu’il ait finalement bénéficié d’une mise en liberté provisoire par une décision de justice, le Ministre de la défense s’est arrogé le droit d’en durcir les conditions par un arrêté, manifestant une fois de plus l’immixtion flagrante et grossière du gouvernement dans les procédures judiciaires.
Autre atteinte aux droits civiques des citoyens : l’arrestation d’un activiste de la société civile, M. Pascal Zaïda, coupable d’avoir voulu organisé une manifestation publique pour protester justement contre le recul des libertés et la mauvaise gouvernance. Portant, les organisations de la société civile laudatrices du pouvoir mènent leurs activités librement sous le regard bienveillant de l’Administration.
Monsieur Zaïda vient d’être libéré ce matin même par le pouvoir, certainement pour soigner ce qui se peut dans son image en ce domaine à l’occasion de votre visite.
- De la cohésion sociale et la réconciliation nationale
Le Burkina Faso sort d’une crise sociopolitique qui a sapé les fondements de la société. En pareil cas, la réconciliation doit être le préalable du processus de la refondation nationale et cela est du rôle et du devoir des tenants du pouvoir. Malheureusement, le pouvoir en place se montre plus enclin à diviser les burkinabè qu’à reconstruire le tissu de la cohésion nationale.
Les difficultés de fonctionnement du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité Nationale (HCRUN) sont symptomatiques du manque de volonté politique que montre le Gouvernement à faire du besoin de réconciliation une priorité nationale.
- De la sécurité des personnes et la défense du territoire national.
La situation sécuritaire de notre pays est préoccupante. De source gouvernementale, le bilan des pertes en vies humaines occasionnées par les 80 attaques terroristes que notre pays a subies depuis 2015 s’élève à 130 victimes. Plus de 2000 écoliers ne parviennent plus à suivre les cours dans le Sahel. Les services publics de base sont perturbés ou interrompus dans cette région. Et la menace terroriste tend à s’étendre sur d’autres parties du territoire national.
Il est donc impérieux non seulement de donner les moyens nécessaires aux forces de l’ordre pour assurer la sécurité des personnes et des biens, mais aussi d’élaborer une politique cohérente de la défense du territoire national. Les autorités gouvernementales en charge de cette question ne semblent pas avoir pris la mesure de la gravité et de l’urgence de cette situation, à en juger par les frasques du Ministre de la sécurité, plus préoccupé d’intimider l’opposition que d’organiser la protection des populations et la défense du territoire.
- De la gouvernance et de l’instauration du dialogue politique
Depuis l’accession du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) au pouvoir en novembre 2015, la situation politique du Burkina Faso ne cesse de se détériorer. Les espoirs fondés dans le retour à la normalité après les élections de novembre 2015 se sont vite effrités pour laisser place au mécontentement général. De mémoire de Burkinabè, le pays a été rarement marqué par autant de protestations provenant de presque tous les secteurs sociaux. Les doléances et les revendications des syndicats ne cessent de s’amonceler devant le Gouvernement, qui dans une fuite en avant, cède aux demandes pour gagner du temps sans se préoccuper de vérifier s’il est en mesure de les satisfaire ; ce qui n’a d’autre effet que de reculer le traitement des problèmes aigus que connait la société burkinabè, en envenimant davantage le climat social.
La mauvaise gouvernance est illustrée également par la diffusion récente sur les réseaux sociaux d’une séquence ubuesque montrant le Ministre de la sécurité en gilet pare-balles et armé d’un fusil d’assaut dans le domicile d’un député de l’opposition en froid avec la direction de son parti. Il prétendait assurer la sécurité dudit député par cette démonstration, tout en proférant des menaces de sévices physiques contre les responsables des partis adverses.
Voilà le tableau de nos réalités, qu’il me parait utile de porter à la connaissance des pays amis du Burkina, qui manifestent leur intérêt envers notre pays en lui rendant visite ; ce dont nos concitoyens ne peuvent que se féliciter, en dépit de leurs difficultés.
Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Président de la République Française, l’expression de ma très haute considération.
Ouagadougou, le 27 novembre 2017
Amadou TRAORE
Juriste