La société civile a jugé «très faibles» les 7% du budget alloué au secteur agricole, lors d’une conférence publique tenue à Ouagadougou le jeudi 15 décembre 2022 où ils ont jeté un regard critique sur le projet de budget exercice de l’Etat 2023. « Il n’y a pas une touche particulière (des autorités de la transition) qui montre qu’on va résolument vers la rupture et la reconquête de notre indépendance. C’est de dire que le secteur agricole est le moins pourvu alors qu’il emploie autour de 76% de la population », a déploré le secrétaire exécutif du Centre d’étude et de recherche appliquée en finances publiques (CERA-FP), Hermann Doannio qui a présenté le projet de budget de l’Etat, exercice 2023, arrêté en dépenses à « 3 235,91 milliards FCFA ».
L’élaboration du budget 2023 s’est faite dans un contexte sécuritaire plus que jamais délétère marqué par la persistance et la recrudescence des attaques terroristes et l’augmentation du nombre de déplacés internes fuyant les conflits estimés aujourd’hui à environ deux millions de personnes. Ce qui a justifié deux coups d’Etat militaires en l’espace d’une année. Ce rendez-vous des acteurs de la société civile piloté par le Centre d’étude et de recherche appliquée en finances publiques (CERA-FP), vise à répondre au ministère en charge de l’Economie qui à travers sa direction générale du Budget (DGB) a transmis aux OSC l’avant-projet de budget de l’Etat, exercice 2023 pour analyse et contribution.
Le projet de budget de l’Etat, exercice 2023 est arrêté en « recettes à 2 631,26 milliards FCFA et en dépenses à 3 235,91 milliards FCFA avec un déficit budgétaire (besoin de financement) de 604,65 milliards FCFA ». Le déficit du budget sera comblé selon les autorités par les ressources de trésorerie, autres sources de financements mais surtout des emprunts avec l’extérieur à taux raisonnables ou réduits. Faibles taux.
L’analyse à ce niveau des Organisations de la société civile (OSC) est sans jambages. Ils ont relevé la situation difficile que le Burkina Faso traverse et souligné que cela met à mal l’économie. « Si l’économie n’a pas régressé, l’économie du Burkina a ralenti. Et, il n’y a que Ouagadougou et Bobo-Dioulasso qui vivent à peu près normalement dans ce pays. Et même au niveau des activités économiques, le flux de transactions s’est nettement réduit. Les investisseurs privés encourent un risque assez énorme. Ce qui fait qu’en dehors du domaine des mines, nous n’avons pas beaucoup d’investisseurs privés parce que le pays n’est plus attrayant si fait que l’économie est balbutiante », a résumé Hermann Doannio, communicateur principal.
«Ce qui veut dire que la crédibilité économique du Burkina ne permet pas aujourd’hui d’espérer des levés de fonds au niveau du marché financier international à des taux raisonnables ou à faibles taux comme on l’aurait voulu. Alors que c’est quand le niveau des risques est amoindri que les investisseurs acceptent réduire le taux d’emprunt. C’est le premier aspect », a poursuivi M. Doannio qui a ajouté que « ce qui veut dire que ce déficit et ce besoin de financement qui est assez énorme car représentant les 1/5 du budget exercice 2023, peut ne pas être mobilisé à 100% ».
Pour les OSC, cela du coup va se répercuter sur la réalisation des investissements. Elles ont dénoncé la faiblesse du budget alloué au financement sur les ressources propres. Un montant d’environ 273 milliards FCFA a pu être dégagé pour financer les besoins d’investissements en 2023. Donc autour de 21% des besoins d’investissements.
Les leaders de la société civile ont également questionné l’affirmation de la souveraineté de l’indépendance de l’Etat, tant demandée par les populations et la jeunesse en particulier. « On est souverain que quand économiquement on peut se prendre en charge. Si 86% de vos besoins d’investissement sont financés par l’extérieur, cela veut dire que votre indépendance est encore très loin », a affirmé le conférencier principal. Il a relevé qu’il n’y a même pas d’action phare dans le budget qui leur permette d’analyser et qui montre qu’il y a une touche particulière de ce Gouvernement au-delà des discours enflammés d’indépendance et de souveraineté revendiquées. « Il n’y a pas une touche particulière qui montre qu’on va résolument vers la rupture et la reconquête de notre indépendance. Et on aurait bien voulu qu’il y ait cette touche. Qu’il y ait un développement de tous les secteurs à commencer par le secteur agricole. Ce secteur ne bénéficie aujourd’hui que d’environ 7% du budget de l’Etat 2023 », a-t-il dit, résumant qu’« en gros, c’est de dire que le secteur qui est le moins pourvu alors qu’il emploie autour de 76% de la population».
L’autre élément relevé par les panélistes dans leur analyse, est vraiment la responsabilité affirmée sur la question sécuritaire. « Nous avons un budget de 690 milliards de FCFA qui a été alloué pour la reconquête du territoire et sa sécurisation. Ce budget, c’est bien-sûr d’appeler le Gouvernement à veiller à sa bonne exécution en faisant en sorte que les troupes engagées sur le théâtre des opérations, puissent bénéficier du matériel et de la logistique nécessaires mais aussi de la ration alimentaire nécessaire », ont-ils demandé.
Sur le cri du cœur entendu par les autorités sur la prise en charge des Personnes déplacées internes (PDI) et des populations qui subissent le choc de cette insécurité et où le Gouvernement a bien voulu apporter une réponse en allouant environ 191 milliards FCFA, la société civile l’a trouvé « assez important ». « Mais il faut aussi que la gestion se fasse de façon adéquate tout en respectant les enjeux et les besoins des populations. Et faire en sorte que ces PDI puissent passer du stade d’assistanat à une auto prise en charge », a-t-elle aussi ajouté dans ses souhaits.
La question de la priorisation faite sur la réconciliation nationale a été aussi examinée. « Il faut du contenu à la réconciliation nationale et il faut définir les mécanismes à mettre en œuvre pour aboutir à régler cette priorité qui ne bénéficie que d’environ 8 milliards FCFA. Cela veut dire qu’on n’a pas encore pu mettre le doigt sur et les voies définies pour y arriver. C’est bien vu de ce côté de la part des autorités qui ont mis juste un petit budget qui contribuera à asseoir les vrais problèmes qu’il y a entre les citoyens burkinabè et quels sont les mécanismes à mettre en place pour les régler », a apprécié le secrétaire exécutif du CERA-FP.
Les participants à ces échanges sur le projet de budget de 2023 ont fait des recommandations. Il s’agit surtout de l’aspect le plus important qui vise à interpeller l’Etat à accroître les capacités de mobilisation des ressources du budget de l’Etat pour pouvoir soutenir toutes ses dépenses parce qu’« elles sont très importantes et les populations attendent des résultats j’allais dire presque immédiatement ».
En rappel, le président de la transition, dans ses discours depuis son arrivée à la tête de la nation, le 2 octobre 2022, laisse entendre qu’il fera du secteur agricole son cheval de bataille.
Par Bernard BOUGOUM