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Burkina: l’armée perd de plus en plus le contrôle de certaines régions

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Nouvelle cartographie des zones à risques

L’armée perd de plus en plus le contrôle de certaines régions grugées par le djihadisme tandis que les mines industrielles canadiennes créent peu de richesses pour la population locale.


Des villages abandonnés aux mains des groupes terroristes pendant que les sites miniers et les restaurants de luxe poussent comme des champignons. Comment un pays stable est-il devenu dangereux au point de faire les manchettes avec la disparition de deux Canadiens en moins d’un mois ?

Il y a quelques années, le Burkina Faso était considéré comme l’un des pays les plus tranquilles d’Afrique de l’Ouest et le peuple burkinabé, un des plus chaleureux.

« Dans une même famille, on pouvait avoir un frère musulman, un autre évangélique et un autre catholique », illustre Frédérick Madore, post-doctorant à l’Université de Floride.

L’esprit en paix, le très populaire programme Québec sans frontières pouvait y envoyer des dizaines de jeunes stagiaires de 18 à 35 ans pour les initier à la coopération internationale.

Depuis deux ans, ce nombre est tombé à zéro. Des Blancs doivent maintenant se déplacer avec une escorte armée entre les villes. Des Québécois et d’autres Occidentaux ont appris à éviter les restaurants achalandés à l’heure du souper et choisissent de dormir dans des hôtels peu fréquentés par les expatriés pour éviter d’être la cible d’attentats.

Dans certaines régions, des bandits qui avaient l’habitude de voler ou d’enlever des étrangers contre rançon s’allient maintenant à des groupes djihadistes qui veulent imposer leur idéologie aux villageois.

Révolution

Au nord du Burkina Faso se trouve le Sahel, une longue bande désertique où les frontières avec les pays voisins sont poreuses et où sévissent plusieurs groupes terroristes.

Leur présence ne date pas d’hier. Mais jusqu’à récemment, le Burkina était plutôt épargné, selon Frédérick Madore.

Tout a basculé avec le départ forcé du président Blaise Comparoé en 2014. Ce politicien très habile pour donner les apparences de démocratie à son régime a gouverné pendant près de 30 ans.

Considéré comme un ami des Occidentaux, il agissait parfois comme médiateur lorsqu’un enlèvement se produisait dans un pays voisin. Certains soupçonnent qu’il avait en fait un accord tacite avec les groupes terroristes : « Vous pouvez passer sur notre territoire, à condition qu’il n’y ait aucune exaction chez nous », illustre M. Madore.

Beaucoup de jeunes burkinabés en avaient toutefois assez de ce style de « présidence à vie ». Les manifestations et grèves se sont transformées en révolution et Comparoé a été chassé.

Mais le nouveau gouvernement était moins bien équipé que son prédécesseur pour assurer la sécurité. Il a perdu peu à peu le contrôle des zones périphériques.

Dépassé, le premier ministre Paul Kaba Thiéba a remis sa démission, il y a une semaine.

Dans le nord du pays, des postes de gendarmerie sont régulièrement attaqués. Depuis un an, des hommes armés ont mis le feu dans des écoles, au point où des profs ont maintenant peur d’aller enseigner.

C’est dans ces zones éloignées que se trouvent la plupart des sites miniers détenus par des entreprises canadiennes.

Ruée vers l’or

Le Canada est de loin le plus important investisseur étranger du secteur minier au Burkina Faso, assure Bonnie Campbell, professeure à l’UQAM.

Dans ce pays qui est l’un des plus pauvres au monde, cette industrie ne cesse de grossir depuis les années 2000.

« Aujourd’hui, il y a des habitants du Burkina qui ont une cave à vin. Des restos gastronomiques ont ouvert leurs portes. Il n’y avait pas ça il y a 10 ans », remarque Denise Byrnes, directrice générale d’Oxfam-Québec.

L’industrie minière a attiré des travailleurs bien payés qui ont ensuite créé une demande pour ce genre de luxe, observe-t-elle.

Jusque dans les années 1990, le principal moteur économique était le coton. Mais la déréglementation, la privatisation et la concurrence « illégitime » de pays occidentaux sont venues casser ce marché, explique Mme Campbell.

Le gouvernement burkinabé a donc ouvert la porte aux minières étrangères pour relancer l’économie du pays. Or, ces activités sont hautement mécanisées et les retombées pour le peuple sont faibles.

L’industrie minière n’emploie que 9200 travailleurs dans un pays qui compte près de 20 millions de personnes. « C’est minuscule ! » s’exclame Mme Campbell.

Pendant ce temps, les minières tentent de négocier avec le gouvernement burkinabé pour lui verser encore moins d’argent que promis, ce qui retarde la redistribution de la richesse à l’ensemble de la population.

Des villages entiers sont déplacés afin de creuser le sol et utiliser l’eau. Quand cela arrive, il n’est pas rare de voir des gens manifester ou bloquer des routes, remarquent plusieurs Québécois interrogés.

Abandonnés

Bon nombre de ces villageois se sentent donc abandonnés par l’État, explique Frédérick Madore. Les infrastructures sanitaires sont déficientes, les écoles ferment.

Il devient donc tentant pour une partie de ces gens de se tourner vers les groupes djihadistes, notamment pour s’assurer une forme de revenus.

« L’islam devient un prétexte, une cause plus noble que le simple banditisme », résume M. Madore.

Au nord du pays, un premier groupe terroriste d’origine burkinabée a été créé en 2016. En février 2018, un deuxième front s’est ouvert dans l’est du pays, ajoute-t-il.

Puis en décembre dernier, la zone rouge s’est étendue vers le sud-ouest, où la Québécoise Édith Blais a été vue pour la dernière fois.

– Avec Le Monde, La Croix, AFP, Jeune Afrique et la BBC.

DES CENTAINES DE CANADIENS PRÉSENTS

Beaucoup de Québécois séjournent au Burkina Faso malgré la montée de l’insécurité, que ce soit pour des projets de coopération internationale ou pour travailler dans les mines.

Marc-André Bernier a eu la piqûre de l’éloignement en travaillant comme technicien par -40 °C dans les mines du nord de l’Ontario. Il vit maintenant entre le Québec et le Burkina Faso, où il gagne beaucoup d’argent comme chef mécanicien pour une compagnie de forage.

« Pour éviter les attentats, tu ne cours pas les restos hyper achalandés entre 19 h et 20 h 30 le soir », conseille l’homme de 26 ans.

Comme Édith Blais, il vient de Sherbrooke. Et même s’il doit se déplacer en avion ou sous escorte, il ne songe pas à changer de vie.

Selon le ministère des Affaires mondiales, près de 600 Canadiens sont actuellement inscrits à l’ambassade.

« C’est un pays que j’adore », dit Denise Byrnes, d’Oxfam-Québec, qui dépêche encore des coopérants professionnels sur le terrain tout en surveillant de près la situation.

Même si la présence grandissante des minières est parfois controversée, les tensions sont rares, explique-t-elle.

« J’ai des amis qui travaillent pour eux. » Mais il est vrai que certaines entreprises sont moins responsables que d’autres sur le plan humain et environnemental. « Le gouvernement ayant perdu le contrôle, elles peuvent faire à peu près ce qu’elles veulent », ajoute-t-elle.

Le pouvoir du Canada

« On ne peut pas dire que les minières canadiennes sont un facteur direct d’instabilité. Par contre, elles pourraient faire partie de la solution », estime Bonnie Campbell, de l’UQAM.

Par exemple, le Ghana, un pays voisin, exige que les compagnies forment un quota minimum de dirigeants issus de la population locale, illustre-t-elle.

En attendant, l’État canadien pourrait lui aussi agir. En janvier 2018, le gouvernement Trudeau avait annoncé la création d’un ombudsman pour surveiller les minières à l’étranger. Un an plus tard, il se fait toujours attendre.

À 40 KM DE LA ZONE ROUGE

« Disons qu’on ne s’est pas attardés », avoue le journaliste du Bureau d’enquête Félix Séguin, qui est revenu du Burkina Faso mercredi dernier.

Parti sur les traces de la disparue Édith Blais, il s’est rendu à Bobo-Dioulasso, où elle a été vue pour la dernière fois.

Cette ville a beau être la deuxième plus populeuse du pays, elle se trouve à 40 kilomètres de la zone à risque, explique Félix Séguin. « Et tu es vraiment tout seul de Blanc », dit-il.

Il avait la chance d’être accompagné d’un garde armé. « C’est sûr que, journalistiquement parlant, ce n’était pas mon souhait [d’être aussi lourdement escorté]. Mais on a compris que c’était nécessaire. »

Reste qu’en cas d’attaque, même ce type d’escorte a ses limites. « On nous a dit que, neuf fois sur dix, il se peut que le garde se sauve », illustre-t-il.

DES CANADIENS DISPARUS OU TUÉS

Janvier 2019

Le Canadien Kirk Woodman a été enlevé sur un site minier du nord-est du Burkina Faso, puis a été retrouvé mort. Il aurait été volé avant d’être tué.

Décembre 2018

Édith Blais, 34 ans et originaire de Sherbrooke, ainsi que son compagnon, Luca Tacchetto, 30 ans et italien, n’ont pas donné de nouvelles depuis le 15 décembre alors qu’ils traversaient le Burkina Faso en voiture.

Août 2017

Deux Canadiens figurent parmi les victimes d’un attentat au Burkina Faso dans un restaurant de la capitale Ouagadougou.

Janvier 2016

Six Québécois ont été tués dans l’attaque d’un commando djihadiste contre un hôtel et un restaurant d’Ouagadougou, qui a fait 29 morts.

Une famille de Beauport est décimée.