Par le biais de cette réflexion, Marius Yougbaré pose bien des questions sur l’indépendance des magistrats, notamment du Conseil supérieur de la Magistrature (CSM). «De peur que le procès du putsch manqué ne soit qualifié d’une parodie de justice avec la bénédiction du CSM, cette institution doit s’assumer pleinement de sorte à ce que le renouveau de la justice soit une réalité dans le Burkina Faso post-insurrectionnel», conclut M. Yougbaré.
«S’il y a un corps professionnel qui a su profiter de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 et de l’avènement du régime KABORE, c’est bien évidemment les magistrats qui constituent le troisième pouvoir du point de vue de la Constitution. Le pacte pour le renouveau de la justice a permis de consolider les garanties pour une bonne administration de la justice et mieux, la révision constitutionnelle de 2015 a consacré la séparation stricte des pouvoirs en accordant au CSM son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Cerise sur le gâteau, le régime issu de la transition politique a revalorisé de façon conséquente le traitement salarial et les avantages pécuniaires de nos vaillants magistrats créant même la polémique au sein de l’opinion nationale.
Toutefois, nous avons consenti que pour le renouveau de la justice, pour l’indépendance et pour une bonne administration de notre institution judiciaire, des sacrifices étaient nécessaires pour mettre le magistrat à l’abri de la précarité et par devers, le protéger de la corruption. Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons, sans nous tromper, affirmer que le CSM a obtenu son indépendance dans un emballage doré. Dans ces conditions, rien ne devrait empêcher cette institution de faire prévaloir son indépendance et son professionnalisme dans la consolidation de notre jeune démocratie en quête de valeurs sûres.
Un fait qui n’est certainement pas passé inaperçu, eût égard de son originalité déconcertante, n’aurait probablement pas ému le CSM au risque de nous amener à nous poser cette question légitime: le CSM veut-il réellement jouir de son indépendance? Il s’agit de la décision no 2018-006/CC sur le recours en inconstitutionnalité des articles 14 de la loi n° 24/94/ADP du 24 mai 1994 portant Code de justice militaire et 18, alinéa 3, de la loi modificative n° 044-2017/AN du 04 juillet 2017, prise par le Conseil constitutionnel le 20 mars dernier.
En effet, le Conseil constitutionnel, a été saisi par requête pour un recours en inconstitutionnalité de certaines dispositions du code de justice militaire notamment les articles 14 et 18 alinéa 3 dudit code, par messieurs DIANDA Abdoul Kadri et COMPAORE Relwindé, tous lieutenants des Forces Armées Nationales. Ces articles disposent respectivement que:
-Article 14:
«Les magistrats de l’ordre judiciaire appelés à présider ou à siéger dans les tribunaux militaires sont choisis dans les cours d’Appel du lieu où siègent ces tribunaux.
La désignation des présidents titulaires de l’ordre judiciaire a lieu chaque année au début de la rentrée judiciaire. Elle se fait par décret pour une durée d’un an et ne cesse que lorsqu’il a été procédé à un renouvellement.
Les magistrats désignés sont tenus d’exercer leurs fonctions jusqu’au prononcé de la décision de l’affaire connue dès la première audience.
Les présidents des chambres ont droit aux prérogatives et indemnités des présidents des chambres de la Cour d’Appel».
-Article 18, paragraphe 3:
«Tous les membres du tribunal militaire sont nommés par décret pour une durée d’un an».
Ce qu’il convient de souligner, c’est que la modification constitutionnelle de 2015 par le Conseil national de la Transition a apporté des amendements conséquents faisant de la séparation des pouvoirs une réalité. Ainsi, le Président du Faso n’est plus le président du CSM, mais plutôt le garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Plus important encore, l’article 134 de notre Constitution dispose clairement que: «Le Conseil supérieur de la magistrature décide des nominations et des affectations des magistrats».
Faut-il le rappeler également, le code de justice militaire a été révisé en juillet 2017. Selon les propos du ministre de la justice Réné BAGORO en date du 21 juin 2017, le projet de loi portant modification du code de justice militaire visait à corriger les insuffisances de ce document pour le rendre conforme à la Constitution du Burkina Faso. Il est très surprenant que de telles dispositions inconstitutionnelles subsistent dans le document révisé.
L’article 134 de notre loi fondamentale est pourtant très clair. Le CSM décide des nominations et des affectations des magistrats qu’ils soient de l’ordre judiciaire ou de tout autre ordre. C’est pourquoi, l’interprétation du Conseil constitutionnel (Considérant que le tribunal militaire est une juridiction spécifique; que les nominations et les affectations dans cette juridiction dérogent aux règles de droit commun; que ces nominations et affectations ne sont pas du ressort de compétence du conseil supérieur de la magistrature; qu’il s’ensuit que les articles 14 et 18, alinéa 3, de la loi n° 24/94/ADP du 24 mai 1994 portant Code de Justice militaire, ensemble ses modificatifs, ne sont pas contraires à la Constitution), perçue comme une acrobatie pour soustraire le CSM de ses prérogatives constitutionnelles est intolérable à tout point de vue. Même si le tribunal militaire est une juridiction spécifique et peut dans ce sens déroger aux règles de droit commun, il convient de souligner avec insistance que les articles querellés ne relèvent pas du droit commun mais de la Constitution qui est une loi fondamentale.
En résumé, quelle que soit la spécificité du tribunal militaire, cette spécificité est consacrée par la Constitution et par conséquent, le code de justice militaire ne saurait se déroger aux dispositions constitutionnelles. Il s’en suit donc que le CSM en toute indépendance et professionnalisme est habileté à nommer et à affecter les magistrats au niveau du tribunal militaire. Pas le Gouvernement !!!
De peur que le procès du putsch manqué ne soit qualifié d’une parodie de justice avec la bénédiction du CSM, cette institution doit s’assumer pleinement de sorte à ce que le renouveau de la justice soit une réalité dans le Burkina Faso post-insurrectionnel.»
Marius Yougbaré
mariusyougbare@gmail.com