A travers cette analyse qu’il nous a fait parvenir depuis Paris ce 12 août, le philosophe Jacques Batiéno, revient sur la création du Front patriotique. Pour lui, «ce mouvement n’est rien d’autre que du vent, à l’image de sa charte qui est vide de tout contenu et qui brasse de l’air comme un ventilateur, auquel on aurait préféré l’autre ventilateur qu’est cette belle danse sénégalaise. Une charte, qui ne mérite pas qu’on s’y attarde, qui fait étalage de son manque d’inspiration et du déficit de créativité de ses auteurs.»
Il est des actes politiques qui, pour peu que l’on ait été instruit à la chose publique, ne laissent pas indifférent, tant la ficelle est grosse. Considérée à sa juste valeur la politique, en tant que pratique, est l’exercice du pouvoir dans une perspective vertueuse. Pure idéalisme! Serait-on tenté de s’écrier, avec raison peut-être, car dans la réalité pratico-pratique les choses se passent de façon différente, vu que pour certains la politique est le lieu par excellence du vice. Le vice, en effet, est répandu en politique. Une attitude qui porte communément le qualificatif de politicien. Dès lors, ce qu’il ne sera pas nécessaire de faire ici, il faut établir la différence entre le politique ou la politique et le politicien ou la politicienne. En tout état de cause, le propre de la politique politicienne, celle qui s’attache à défendre l’intérêt individuelle au détriment du bien commun, celle qui place l’individu au-dessus du peuple, donne l’image du mensonge, de la duplicité et sombre dans une hypocrisie absolue.
L’hypocrisie, assurément, est l’expression de la dissimulation, du faux-semblant, et ces derniers temps, les politiques ont gratifié les Burkinabè d’un bel exercice d’hypocrisie à la limite du scandale politique. C’est la lamentable comédie qui a été servie aux Hommes intègres ce jour du 4 aout dernier, sacrifiant à la souillure cette date historique. La ronde des perdants. Le jeu de dupes. Quelle injure au peuple burkinabè! On l’aura compris, la comédie en question concerne l’acte inaugural du fameux Front Patriotique, comme si les Burkinabè n’avaient pas compris que, en réalité, on fait du neuf avec du vieux. Ce mouvement n’est rien d’autre que du vent, à l’image de sa charte qui est vide de tout contenu et qui brasse de l’air comme un ventilateur, auquel on aurait préféré l’autre ventilateur qu’est cette belle danse sénégalaise. Une charte, qui ne mérite pas qu’on s’y attarde, qui fait étalage de son manque d’inspiration et du déficit de créativité de ses auteurs.
On peut s’interroger sur la pertinence d’un tel Front Patriotique quand on sait qu’il ne regroupe que l’ensemble des organisations politiques et parapolitiques qui constituaient le pouvoir déchu du 24 janvier dernier, c’est-à-dire il y a seulement sept mois. Il s’agit précisément du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP), ou de ce qu’il en reste, et de ses acolytes, thuriféraires et autres encenseurs qui ont dirigé ce pays pendant six ans en le laissant en pleine déliquescence. La situation qui est celle de ce pays aujourd’hui ne date pas de six mois, et si l’on en est là, c’est que la gouvernance précédente n’a pas su faire face de façon responsable. A-t-elle sous-estimé les forces en face? A-t-elle laissé la situation se gangréner jusqu’à l’amputation pour favoriser des agendas cachés? Par ailleurs, puisque c’est l’un des éléments fondateurs de ce Front Patriotique, qu’est-ce que cette gouvernance a entrepris comme action à l’époque pour faire exécuter le mandat d’arrêt international émis contre Blaise Compaoré? Comme il est facile de faire aux autres le reproche de sa propre inaction! «Nul ne peut se prévaloir de sa propre turpitude», dit-on. Quoiqu’il en soit, cette gouvernance a fait preuve d’amateurisme et d’incompétence, en plus de souffrir d’amnésie, amnésie chronique ou opportuniste. Comment alors ce Front Patriotique, qui n’est rien d’autre que la nouvelle dénomination de la coalition qui a gouverné ce pays de 2015 jusqu’en 2022, peut-il prétendre donner des leçons de gouvernance au pouvoir actuel qui n’est aux manettes que depuis sept mois seulement? Une vaste duperie.
Quelle est l’opportunité d’une telle organisation politique? Quelle en est la légitimité? Est-ce l’expression d’une rancœur? Est-ce la manifestation d’un désir inavoué de vengeance, cette vengeance dans laquelle ce pouvoir déchu a excellé et dont il a fait le socle de sa gouvernance? De quelle leçon de politique ou de démocratie ce Front Patriotique peut-il se prévaloir en faveur des Burkinabè? Fariboles!
Ainsi, par un tour de magie démagogique, voire machiavélique, comme seuls les politiciens et politiciennes ont le secret, veut-on faire croire aux Burkinabè que le Mouvement Patriotique Pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR, pouvoir, NDLR) doit assumer l’entière responsabilité des souffrances que vivent les Burkinabè aujourd’hui. Fadaises! Il ne s’agit pas ici de défendre le MPSR, mais de mettre les choses dans l’ordre.
On reproche au MPSR, ce qu’il reste à prouver, de travailler au retour à la gouvernance d’un certain ancien pouvoir. De fait, le Front Patriotique, ce qui en revanche est une certitude, travaille au retour à la gouvernance du pouvoir déchu le 24 janvier 2022. De bonne guerre certes, toutefois, afin de mériter et d’obtenir la confiance des Burkinabè, il faut faire preuve d’un minimum d’humilité et de crédibilité. Ce dont le Front Patriotique, qui voit le pouvoir s’éloigner encore un peu plus de lui, n’a pas encore fait montre.
Jacques BATIÉNO
Philosophe