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Burkina: le Teng-Soaba de Boussé et la sorcellerie

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Le Teng-Soaba de Boussé

Le Teng-Soaba (chef de terre) de Boussé, dans cet élément, donne sa position sur la lutte contre l’exclusion sociale par allégation de sorcellerie au Burkina. Il a assuré aux journalistes qui ont recueilli ses propos lors d’une caravane de presse début avril 2021, que les chefs coutumiers sont fortement impliqués dans la lutte contre le phénomène de la sorcellerie qui a beaucoup diminué à Boussé.

Wakat Séra : Pouvez-vous nous rassurer de la fiabilité du procédé de la détection du sorcier ou de la sorcière ?

Teng-Soaba: D’abord il faut noter que cette pratique se fait selon la tradition et elle est la réalité ici. Et comme vous le dites, il y a effectivement un procédé par lequel on passe pour désigner le coupable. Mais, nous n’avons pas de preuve pour dire que le procédé est fiable à 100%. Il s’applique à plusieurs personnes et ce sont certaines qui en fin de compte, avec un comportement jugé pas normal, finissent par amener ceux qui ont appliqué le processus à dire qu’elles sont coupables. Ils ont une potion qu’on fait boire à ceux qui sont accusés afin qu’ils avouent leur forfaiture. C’est à l’issue que certains se mettent à avouer que c’est eux et d’autres non. Et donc tu peux être parmi les sages, les dépositaires des coutumes, mais si tu n’es pas trempé dans les secrets du procédé, tu ne peux pas dire avec certitude que c’est vrai ou faux. Mais ceux qui ne résistent pas à cette potion dite magique-là effectivement vous font des aveux ahurissants et donc c’est difficile après tout ce processus de dire tout de go que c’est mensonge et le processus n’est pas fiable.

Selon vous, pourquoi ce sont les personnes du troisième âge, notamment les vieilles qui sont généralement accusées de mangeuses d’âme ?

Je ne saurai l’expliquer. Nous n’avons pas de preuve qui dit qu’une vieille par nature est sorcière. Mais, si dans la communauté il y a des phénomènes que les gens jugent anormaux ou inhabituels, vous êtes obligés de suivre l’opinion et c’est la même société qui gère les cas, en général. Et malheureusement, ça retombe sur les vieilles. Vraiment nous ne savons pas pourquoi chaque fois c’est sur nos mères que ça retombe. Mais selon le constat général, ce sont les personnes démunies, vulnérables et sans défense qui sont accusées.

Etes-vous pour la lutte contre ce phénomène ? Si oui pourquoi ?

Grâce à notre implication dans ce combat, ici dans le Kourwéogo, le phénomène du bannissement devient de plus en plus rare. Actuellement, nous demandons aux gens d’éviter le bannissement et de dialoguer pour résoudre les problèmes. Si jamais de tels cas se produisent, notre appel est que les protagonistes s’entendent pour ne plus chasser les coupables du village car cela fragilise le vivre-ensemble et la cohésion sociale. Souvent, il se peut qu’il y ait des preuves et souvent non. C’est vrai souvent comme parfois ça peut-être faux. Donc sur ces faits-là, si vous chassez quelqu’un de sa famille nucléaire, vous voyez que c’est moins bon. Donc nous en appelons à la modération, au dialogue pour résoudre ces genres de problèmes.

Dans le Kourwéogo, comment se fait l’implication des chefs coutumiers pour la diminution du fléau ?

Nous organisons plusieurs rencontres avec les populations avec qui nous échangeons là-dessus car le phénomène est négatif pour la localité. En plus d’être peu recommandable, elle est dangereuse pour la localité car elle divise l’ethnie ou la communauté. En tout cas, nous conseillons le grand public sur ces entrefaits pour qu’il comprenne les méfaits de l’exclusion sociale pour allégations de sorcellerie.

Mais est-ce que les populations adhèrent-elles à la lutte contre l’exclusion sociale par allégation de sorcellerie ?

Oui nous pouvons dire que les populations adhèrent à nos messages de sensibilisation même si certains sont aussi convaincus des biens de cette pratique pour la communauté. En tout cas, pour les protagonistes que nous recevons quand il y a souvent des préoccupations à ce sujet, après nos conseils, ils acceptent de suivre la voix que nous avons tracée. La dernière fois que nous avons enregistré un cas d’exclusion sociale pour allégation de sorcellerie, il y a quand même bien longtemps. Le fait que plusieurs cas ont été gérés par la Police ou la Gendarmerie découragent considérablement le phénomène.

Quand on accuse des gens de sorcellerie, à qui fait-on recours pour la résolution de la préoccupation ? Fait-on appel aux coutumiers ou aux autorités administratives pour régler de tels litiges ?

On exploite deux voies essentiellement. C’est-à-dire l’angle coutumier pour essayer de colmater les brèches avant qu’il ne soit pas trop tard et celle moderne dont la justice. Et généralement si l’affaire arrive en justice, vraiment cela fait beaucoup peur aux protagonistes parce que même si c’est deux mois qu’on t’a emprisonné, tes affaires prennent un bon coup du fait de ton absence. Donc si nous accentuons la sensibilisation, nombreux comprendrons et le fléau va diminuer. Dans notre zone ici, la dernière fois qu’on a enregistré un cas de sorcellerie, ça fait vraiment un peu longtemps.

Sinon, généralement ce sont des coutumiers qui s’occupent de l’allégation de sorcellerie. Mais si la situation est déjà grave et a même causé des morts d’hommes, l’affaire part chez les Forces de l’ordre qui s’en chargent. Et de pareils cas, nous en avons enregistré pleins.

Mais une fois à ce niveau, quelle est votre tenue ou votre apport ?

Nous suivons pour voir à quel niveau se trouve le problème. Est-ce que le dossier avance ou pas ? Comment se fait dans la pratique le dossier sur son volet judiciaire. Et cela nous donne aussi beaucoup d’enseignements notamment dans la défense des droits de l’homme.

Une fois qu’une personne est bannie, quelle est l’intervention des chefs coutumiers ?

Nous nous impliquons par la négociation surtout pour demander que ces derniers repartent dans leur foyer pour retrouver leur famille. Il y a des gens et des organismes qui luttent pour cette cause et nous nous appuyons sur leur action pour qu’ils aident ceux qui sont dans les soucis. D’autres négociations justement que nous faisons avec ces structures aboutissent et nous leur demandons de nous aider dans la construction d’un toit pour que la victime une fois de retour chez lui ait un habitat acceptable pour recommencer à se réintégrer dans sa communauté.

Aussi, nous demandons à la communauté, à ses parents biologiques, et nous disons de faire pardon pour laisser les victimes qui sont généralement les vieilles pour qu’elles reviennent rester auprès de leurs enfants et petits enfants parce qu’elles souffrent beaucoup quand on les chasse du village. Sincèrement, pour une personne qui a eu des enfants et des petits enfants, quelle que soit la raison, quand tu te retrouves dans une situation où avoir à manger est un problème, avoir un pagne digne de ce nom est un souci, et ce n’est que des remords, ce n’est pas vraiment vivable pour un être humain. Ce qu’il faut même dire, c’est que souvent l’entente ou le vivre-ensemble entre les deux familles s’effrite.

Par Bernard BOUGOUM