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Burkina: les avocats marchent pour dénoncer le «blocage de l’appareil judiciaire»

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photo d'archives

Les avocats du Burkina Faso ont marché ce lundi 29 avril 2019 à Ouagadougou pour dénoncer et condamner le «blocage de l’appareil judiciaire» depuis le mois d’octobre 2018. Les hommes en robe noires qui ont répondu massivement à l’appel du Barreau, ont invité «l’Etat à une recherche urgente de solutions propres à assurer la reprise immédiate de toutes les activités juridictionnelles».

Les avocats, soutenus par les doyens et ex-responsables du Barreau burkinabè, en l’occurrence Me Titinga Frédéric Pacéré, Me Benoît Sawadogo, Me Barthélémy Kéré, Me Antoinette Ouédraogo, Me Mamadou Traoré, et des absents excusés publiquement, notamment Me Harouna Sawadogo, Me Joseph Badhio et Me Mamadou Savadogo, ont battu le pavé, sous un soleil de plomb,  à Ouagadougou, pour dire «Non à une justice aux arrêts». Les marcheurs du jour, dont la forte mobilisation a été soulignée par le Bâtonnier de l’Ordre, Me Paulin Salembéré, ont emprunté l’avenue de l’Avocat, celle du Dr Kwamé N’Krumah en passant par celle de l’Indépendance pour se rendre au ministère de la Justice en vue de remettre leurs mémorandums aux représentants des deux ministres à savoir celui de la Justice et Garde des sceaux, et celui des Droits humains et de la promotion civique.

«Non pour une justice aux arrêts! Non à des détentions sans jugement! Non à la violation des droits humains! Non à la violation des droits des détenus! Oui à une justice continue», scandait un avocat, muni d’un mégaphone. Ces slogans sont accompagnés d’autres messages, bien lisibles sur des pancartes, comme: «Rassemblés pour la survie de la justice et des droits humains». 

Selon les propos du Bâtonnier, Me Paulin Marcelin Salembéré, après la suspension des activités juridictionnelles des avocats entamée le 23 avril passé, le Barreau dans son rôle de sentinelle de «l’Etat de droit, de la démocratie et des droits de la personne», cette marche vise à dénoncer le «blocage de l’appareil judiciaire, la violation massive et indiscriminée des droits des usagers de la justice», ainsi que «l’incapacité de l’Etat à apporter une solution pertinente et durable à ce grave dysfonctionnement et ce blocage».

Le Bâtonnier Me Paulin Salambéré remettant son mémorandum aux représentants des ministres de la Justice

Toujours selon le Bâtonnier, depuis octobre 2018, lui et ses confrères assistent impuissants, entre autres, à:

-l’impossibilité de déférer dans les 24 parquets, des personnes contre lesquelles les procédures pénales sont envisagées,

-au maintien de certaines personnes dans des unités de police judiciaire, en dépit de l’expiration manifeste des délais de garde-à-vue et ce, en raison de l’impossibilité de les déférer,

-la non-tenue des audiences de flagrants délits et de celle des citations directes (accident et infractions diverses),

-l’impossibilité d’effecteur les interrogations dans les cabinets des juges d’instruction, compte tenu à la fois de l’impossibilité de déférer des personnes soupçonnées et d’extraire des inculpés détenus,

-au maintien en détention des personnes prévenues concernées par des procédures de flagrants délits et d’inculpés depuis des mois, allant parfois au-delà de douze mois,

-au gel subséquent des plaintes dans des unités de police judiciaire en raison des soucis évidents d’efficacité de certaines enquêtes, et,

-la mise en danger de la vie des détenus par les dysfonctionnements dans les maisons d’arrêts et de correction.

En outre, depuis quelques semaines, les défenseurs de la veuve et de l’orphelin disent noter une «aggravation de la situation, marquée par l’impossibilité matérielle pour les détenus de bénéficier des visites de leurs parents, leurs proches, leurs Conseils et, inversement, l’impossibilité pour leurs parents, amis et les Conseils de rendre visite aux détenus».

Conséquence du blocage du système judiciaire, il y a, à ce jour «808 prévenus détenus qui attendent d’être jugés, 1 640 inculpés détenus et dont les dossiers sont dans des cabinets en instruction et 3 641 condamnés emprisonnés dont l’application des peines est sans doute entravée par ce dysfonctionnement», s’est plaint Me Salembéré, soulignant qu’il faut avoir le courage de dire, in fine, que la justice pénale, cette année a été «clairement inexistante».

Les marcheurs devant le ministère de la Justice burkinabè

Les seuls pans qui fonctionnaient encore à la date du 19 avril 2019, connaissent un blocage à leur tour, selon le Bâtonnier qui a affirmé qu’«il n’y a donc plus d’audience quelconque devant la justice burkinabè dans sa composition administrative, commerciale, sociale, civile, d’urgence, d’exécution, de référés, etc.». Même, ajoute-il, les actes administratifs accomplis par les juridictions, tels les casiers judiciaires, les certificats de nationalité, les enrôlements, les déclarations d’appel, les déclarations de pourvoi, et autres, «ne le sont plus».

Ce blocage «complet et entier» du système judiciaire burkinabè est expliqué par un conflit qui oppose le corps de la Garde de sécurité pénitentiaire (GSP) à l’Etat depuis octobre 2018 d’une part, et les fonctionnaires du corps des greffiers à l’Etat, depuis le 19 avril d’autre part, a rappelé Me Salembéré, avant d’attirer l’attention des uns et des autres que «chose grave, dans deux mois seulement ce sera les vacances judiciaires». C’est pourquoi, Me Paulin Salembéré pense que la question du fonctionnement de la justice «est devenue une urgence à prendre en charge sans désemparer et sans faux fuyant».

«Nous manquerions gravement à notre devoir individuel et collectif s’il venait à nous manquer le courage de vous (Etat) dire, au besoin vous le répéter, que le dysfonctionnement du service public de la justice est la plus grande menace qui pèse sur notre pays», a déclaré, au nom des anciens bâtonniers du Burkina Faso, Me Antoinette Ouédraogo, qui, citant Montesquieu, a affirmé qu’«une injustice faite à un seul est une menace faite à tous».

Me Antoinette Ouédraogo

La paix «frénétiquement recherchée par tous les Burkinabè sera un vain mot tant que la justice protectrice, réparatrice, consolatrice et punitive s’éloignera de notre quotidien, car la paix de l’esprit et du cœur passe par la justice et inversement l’injustice crée la souffrance et mène à la violence», a soutenu la porte-parole de l’ensemble des anciens patrons de l’Ordre des avocats qui a fait remarquer que cette marche est la deuxième dans l’histoire de la structure après celle de 1990 pour l’obtention de l’institution d’un Barreau.

Au terme de leur marche, les avocats, tous en toge, ont prévenu l’Etat que le «Barreau n’hésitera pas à initier des actions au plan inter-africain et communautaire CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest) pour -le- mettre face à sa responsabilité».

Le directeur de cabinet du ministre de la Justice, Issa Fayama, au nom de tous les représentants des deux ministres, a signifié que les deux mémorandums du Barreau et des ex-bâtonniers seront transmis à qui de droit. Il a excusé, auprès des hommes en robe noire, les absences du ministre de la Justice, Réné Bagoro qui était auditionné à l’Assemblée nationale et de la ministre des Droits humains et de la Protection civique, en mission hors du Burkina.

Par Bernard BOUGOUM