Dans cette tribune intitulée «ce que l’histoire nous enseigne», le journaliste écrivain Adama Ouédraogo dit Damiss livre une analyse sur le phénomène terroriste en y proposant des pistes de solutions à prospecter pour venir à bout du problème d’insécurité lié au terrorisme au Burkina Faso.
C’est un truisme de le dire : le Burkina Faso vit une guerre qui lui a été imposée par une horde d’illuminés qui tuent, pillent et brûlent tout sur leur passage. Pendant ce temps, les Burkinabè, eux, se déchirent au lieu de s’unir en vue d’un sursaut patriotique, comme nos devanciers ont su le faire en restant soudés et debout face à l’adversité. Deux situations historiques emblématiques serviront d’exemples pour étayer ce propos, et lancer un appel pressant au peuple burkinabè et à son gouvernement en vue d’une mobilisation générale contre l’hydre terroriste qui menace l’existence même de notre nation.
Novembre 1915. Au moment où la Première Guerre mondiale bat son plein en Europe, en Afrique occidentale française (AOF) se déroule l’un des conflits coloniaux les plus sanglants : la révolte du Bani-Volta. En effet, dans la boucle de la Volta (actuel Mouhoun), les populations se réunissent et font le serment de prendre les armes pour se battre contre l’armée coloniale française. Un conflit meurtrier qui s’étend au cercle de Ouagadougou et au Mali, notamment à San, à Koutiala et à Bandiagara.
Mobilisées et déterminées, les forces anticoloniales mettent en déroute les troupes françaises, composées pourtant de plusieurs bataillons et d’une unité d’artillerie. En réaction, Paris décide d’envoyer une nouvelle colonne avec une puissance de feu encore supérieure. Les populations résistent et tiennent tête à l’armée coloniale, qui, faute de munitions, est obligée de battre en retraite pour rejoindre sa base à Dédougou.
Des renforts sont dépêchés, avec cette fois-ci pour ordre de détruire tout sur leur passage. Des villages sont ainsi bombardés et pillés, dans le but d’étouffer définitivement toute opposition armée aux velléités d’expansion métropolitaines. On estime à plus de 5000 le nombre de soldats mobilisés pour la circonstance, appuyés par des moyens militaires considérables pour venir à bout des insurgés du Bani… qui n’ont pour seules armes que des arcs, des flèches et des fusils à pierre fabriqués par des artisans locaux.
Comment ces populations, mélange hétéroclite de Markas, de Samos, de Peuls, de Bwas, de Samblas, ou encore de Bobos, peuvent-elles opposer à une armée moderne une telle résistance avec des moyens rudimentaires ? La réponse n’est pas à aller chercher bien loin : elle tient aux valeurs d’union, de courage, de solidarité, de détermination et de ruse.
Quelques décennies plus tard, c’est suivant la même logique que la France connaît une humiliante défaite en Indochine. En effet, malgré la supériorité militaire du Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient (Cefeo), l’armée coloniale perd la guerre qu’elle a menée dans ces confins asiatiques (1946-1954). Le Viêt Minh, organisation politique et paramilitaire vietnamienne, est sur son terrain de prédilection. Elle laisse le champ libre aux soldats français, se concentrant sur des tactiques de combat axées sur les embuscades, les engins explosifs et l’attaque des positions ennemies.
Poussés à bout par le harcèlement mené en collaboration avec les populations, qui fournissent les meilleurs renseignements aux résistants, les Français finissent par opter pour la négociation. En juillet 1946, le général Leclerc, qui conduit la retraite des troupes françaises vers Hanoi, en vertu des accords conclus avec Hô Chi Minh, le leader du Viêt Minh, déclare à son retour en France : « J’ai recommandé au gouvernement la reconnaissance de l’État du Vietnam, il n’y avait pas d’autre solution. Il ne pouvait pas être question de reconquérir le Nord par les armes : nous n’en avions pas, et nous n’en aurions jamais eu les moyens… »
Première leçon de l’histoire : un peuple engagé, mobilisé, organisé, uni et déterminé peut gagner n’importe quelle guerre.
Le second fait historique n’a pas trait à une lutte armée victorieuse, mais il n’en demeure pas moins un acte héroïque, car sans cet engagement patriotique la République de Haute-Volta et l’indépendance de 1960 n’auraient pas vu le jour. De quoi s’agit-il ?
La Haute-Volta, constituée comme telle en tant que colonie en 1919, subit en 1932 un démembrement pour des raisons économiques. En effet, le territoire voltaïque n’a pas de richesses naturelles du sous-sol attractives mais dispose d’une main-d’œuvre abondante qui peut servir dans l’exploitation d’une agriculture d’exportation en Côte d’Ivoire, considérée par le colonisateur comme un eldorado. C’est ainsi que la colonie de Haute-Volta est dissoute et répartie entre le Niger, le Soudan français (Mali) et le pays de Félix Houphouët-Boigny.
Bien avant ce morcellement, le Mogho Naba Kom II a eu vent de ce projet et a écrit au gouverneur de l’AOF pour faire part de sa désapprobation. En vain. L’empereur ne baisse pas les bras, faisant de la reconstitution du territoire de Haute-Volta son cheval de bataille.
Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate, le Mogho Naba envoie deux de ses enfants combattre aux côtés des Français, et incite les populations locales à s’engager dans l’armée française. Une manière pour lui de témoigner son soutien à la France, et d’avoir ainsi des arguments pour infléchir sa position sur la question de la reconstitution de la Haute-Volta.
À la mort de Naba Kom II, son fils, qui a pris le nom de Naba Saga II, poursuit le combat initié par son aïeul. Il va même jusqu’à rencontrer le gouverneur de Côte d’Ivoire, André Latrille, pour lui soumettre ses doléances et menacer de se tourner vers d’autres puissances colonisatrices s’il n’obtient pas gain de cause. Son audace et sa ténacité finissent par payer : en avril 1947, Naba Saga II se déplace à Niamey afin de s’entretenir avec le président de la République française, Vincent Auriol. Six mois plus tard, en septembre 1947, la Haute-Volta est reconstituée.
Si les chefs traditionnels, Mogho Naba en tête, n’avaient pas tenu mordicus, notre pays, le Burkina Faso, n’aurait sans doute pas revu le jour. Certains Burkinabè seraient aujourd’hui Ivoiriens, d’autres Maliens, Nigériens ou Ghanéens –à l’époque, beaucoup sont partis vers la Gold Coast.
Deuxième leçon de l’histoire : dans le combat pour l’existence d’une nation, le leadership et l’engagement patriotique sont essentiels.
Malheureusement, le constat qui se dégage, c’est qu’aujourd’hui la lutte contre les terroristes se déroule dans un contexte de division : les leaders politiques se livrent bataille, par l’entremise d’organisations de la société civile, pour le maintien, la prise ou pour la chute du pouvoir. Le comble est que des querelles intestines minent la cohésion au sein même des forces de défense et de sécurité censées défendre l’intégrité territoriale.
Plus grave, des individus manipulés ou en manque d’informations œuvrent à déstabiliser l’Agence nationale de renseignement (ANR) en accusant son directeur général de ne pas être à la hauteur des défis. Pourtant, en si peu de temps et avec peu de moyens, l’ANR a réussi à se positionner comme l’un des meilleurs services de renseignement de la sous-région et fournit des éléments précieux dans la lutte contre le terrorisme. Malgré cette réussite, le Burkina Faso est l’un des rares pays au monde où on jette en pâture le patron du renseignement en publiant sa photo sur les réseaux sociaux et en propageant des informations mensongères pour des desseins inavoués.
À notre sens, il convient d’augmenter conséquemment le budget de l’ANR, en le multipliant par dix, voire plus. En Côte d’Ivoire, dès les premières salves des groupes armés, des ressources supplémentaires de l’ordre de 80 milliards de francs CFA ont été alloués aux services de renseignement. Nous ne parlons même pas du Bénin, qui est en train de sortir l’artillerie lourde sur ce point afin de limiter les dégâts.
Le renseignement permet aux dirigeants d’anticiper et de prendre de bonnes décisions
Si les États-Unis, la Chine ou la Russie sont des pays riches, ce n’est pas seulement du fait de la vivacité de leur économie : c’est aussi en raison de l’efficacité de leurs renseignements, qui disposent de budgets colossaux afin de pouvoir surveiller le monde dans les domaines politique, économique, industriel, social, militaire, sécuritaire, etc. La collecte d’informations précieuses permet à leurs dirigeants d’anticiper et de prendre de bonnes décisions. Il y a des pays où un ministre ou un gouvernement ne peut pas prendre certains types de décisions ou signer certains accords sans le feu vert des services secrets parce qu’ils disposent des outils nécessaires d’analyse et d’appréciation. C’est dire l’importance cruciale du service de renseignement pour un pays. Nous devons donc protéger le nôtre.
Réveillons-nous
Il est temps de se réveiller, de mettre fin à nos querelles byzantines, de prendre véritablement conscience que notre cher pays, le Burkina Faso, est menacé jusque dans son existence, et de se mobiliser en conséquence. On a parfois l’impression que la crise sécuritaire tend à devenir une routine et à se banaliser. Les attaques terroristes sont suivies des mêmes débats houleux, puis plus rien. On retrouve ensuite le train-train quotidien, en attendant le prochain incident sécuritaire pour vociférer dans la presse et sur les réseaux sociaux.
Il nous faut plus que ça. L’histoire de nos aînés nous enseigne que le leadership, le patriotisme, l’union, la fraternité, la solidarité, la cohésion, le courage, l’engagement, la détermination peuvent nous faire déplacer des montagnes. Faisons notre introspection individuelle et collective et redimensionnons notre apport réel à la lutte contre le terrorisme.
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Gagner la bataille de la mobilité
Des informations alarmistes font état de ce que des forces de défense et de sécurité auraient plié bagages dans certaines localités sur le terrain de la lutte contre le terrorisme, donnant l’impression à l’opinion publique que nombre de militaires burkinabè sont en train d’abdiquer. Certes, beaucoup de soldats ont le moral dans les chaussettes, mais le combat continue et doit s’intensifier.
Depuis six ans que le Burkina Faso est confronté aux attentats, on constate que les groupes terroristes usent toujours du même mode opératoire : attaques meurtrières sur des détachements, embuscades, pièges aux explosifs. La polémique sur l’attaque d’Inata a révélé que les gendarmes qui devaient remplacer leurs collègues tués avaient refusé de quitter la ville de Djibo tant que certaines conditions n’étaient pas réunies, eu égard notamment aux risques que représentent les engins explosifs disséminés sur la voie et de possibles embuscades. C’est dire à quel point les militaires sont hantés par le modus operandi des hordes pseudo-djihadistes. Cela signifie également que, dans cette sinistre guerre, les forces du mal ont gagné sur nos troupes la bataille psychologique. Dieu seul sait la peur, le stress et l’angoisse qu’endurent les soldats burkinabè dès lors qu’ils sont amenés à se déplacer d’un point à un autre pour une relève ou pour un ravitaillement quelconque.
L’un des grands enseignements tirés de la guerre d’Indochine, qui a duré près de huit ans et a fait plus de 500 000 victimes, c’est que la mobilité des armées modernes face à un ennemi ayant une bonne connaissance du terrain et bénéficiant de bons renseignements et de complicités au sein des populations est l’un des défis majeurs.
L’armée burkinabè doit donc gagner la bataille de la mobilité afin de réduire la pression psychologique qui s’exerce sur les hommes lors des déplacements sur le terrain des combats.
C’est pourquoi nous pensons humblement qu’il est impératif d’envisager très rapidement le renforcement de l’utilisation des drones armés, des hélicoptères, des véhicules capables de détecter et de neutraliser à distance des explosifs, ou encore des outils permettant de déceler des présences humaines sur le tracé des trajets. C’est, entre autres, à ce prix que nous pourrons « nettoyer les zones infestées » par ceux que l’on appelle des « hommes armés non identifiés », reprendre pied dans ces localités qu’ils contrôlent, et enfin envisager le retour des millions de personnes déplacées internes dans leurs villages d’origine.