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Burkina: « On ne peut pas envisager la réconciliation, sans Blaise Compaoré », Amadou Traoré

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Le juriste et administrateur civil, Amadou Traoré

Juriste et ancien de l’Ecole nationale de l’Administration du Mali, Amadou Traoré, acteur politique et membre fondateur de la Coalition pour la Démocratie et la Réconciliation nationale (CODER), est bien averti des questions politiques au Burkina Faso, son pays.  Auteur d’une œuvre sur la réconciliation, la rédaction de Wakat Séra l’a reçu pour un entretien. A l’en croire, « On ne peut pas envisager la réconciliation, sans Blaise Compaoré ».

Wakat Séra : Aujourd’hui on parle de réconciliation mais on ne voit rien de concret sortir de ce thème sur le terrain ? Que pensez-vous de la réconciliation nationale ? Est-ce que le Burkina Faso en a besoin ?

Amadou Traoré : La réconciliation, le Burkina Faso en a besoin. On peut se reporter en 1998 où les autorités politiques avaient très tôt pris conscience de la nécessité de la réconciliation nationale et à l’époque cela est à mettre au crédit de M. Compaoré qui a mis en place le Collège des sages pour réfléchir et donner des pistes pour la réconciliation des Burkinabè. Après cela, sous la Transition, après les évènements de 2014, les autorités de la Transition avaient mis en place une commission, il s’agit de réconciliation nationale et des réformes, ce qui a abouti à la création du Haut Conseil pour la réconciliation et l’unité nationale (HCRUN) qui a été installé par le nouveau président Roch Marc Christian Kaboré. Il a fonctionné et a fini son mandat je crois en mars dernier.

Alors si depuis 1998 les autorités prennent le soin d’engager des procédures de réconciliation, ça veut dire qu’il y a la nécessité. Pour qu’il y ait des procédures depuis 1998 à maintenant et qu’on en parle toujours, ça veut dire que c’est difficile. Le processus n’est pas aisé. Jusqu’à ce jour, on parle de la nécessité de la réconciliation nationale. Mais il est rare que l’on voie un homme de droit, un juriste, un politique donner un mode opératoire de la réconciliation nationale. Cela se comprend sur deux points.

La question de la réconciliation nationale n’est pas une question juridique. Elle n’existe pas dans la Constitution mais c’est une nécessité pour l’unité nationale. Alors sur quel angle l’aborder ? Vous savez, depuis l’insurrection, il n’est pas facile d’aborder certaines questions. Ce qui fait que les hommes politiques comme les juristes ont des difficultés. Alors vous faites bien de poser la question. Moi je me suis attelé à cette question. Je suis un membre fondateur de la Coalition pour la démocratie et la réconciliation (CODER). Et récemment, la fin du mandat du HCRUN venait puisqu’il est de mon devoir en tant que citoyen d’apporter ma contribution à la réflexion sur processus de réconciliation afin de trouver une solution.

Et à quoi êtes-vous parvenu parce que pour vous il faut forcément aller à la réconciliation nationale ?

Je pense qu’il faut y aller. J’ai écrit un livre intitulé : « Burkina Faso la réconciliation nationale et économique : leçons et perspectives ». Les leçons, c’est-à-dire ce qui est passé et les perspectives c’est comment faire. Au-delà de ce titre, le contenu du document est essentiellement juridique. J’ai fait une analyse des différentes situations qui sont nées jusqu’à aujourd’hui. Vous savez, la réconciliation, c’est d’abord la volonté politique. Ça c’est déterminant. Lorsque l’autorité politique à la volonté d’aller à la réconciliation et y met tous les artifices pour arriver. D’abord tous les artifices politiques sinon les artifices de l’Etat de droit normal ne peuvent pas assurer la réconciliation. Il faut d’autres mécanismes. En 2016, lorsque nous avons créé la Coder, nous avons été les premiers à dire qu’il faut de la justice transitionnelle. Ca été combattu jusqu’à présent mais nous nous sommes basés sur un fait. L’exemple type c’est après la deuxième guerre mondiale. Lorsque la guerre finie, si on devait juger tous ceux qui ont commis des crimes, 1 000 ans n’auraient pas suffi. Il s’agit seulement de juger quelques responsables et de mettre le reste des acteurs au travail pour que l’économie puisse fonctionner. En réalité, c’est ça, toute la question. Il faut trouver des artifices pour en finir avec le passé, faire un plancher afin qu’on reparte sur de nouvelles bases. Mais si l’on veut utiliser des artifices des temps normaux pour régler la question de la réconciliation, c’est difficile.

Aujourd’hui, on parle d’un mécanisme tout trouvé à savoir la vérité-justice-réconciliation mais tous les acteurs politiques ne sont pas prêts pour passer par la case justice. Est-ce que c’est possible d’aller à la réconciliation sans passer par la case justice ?

Vous faites bien de poser la question parce que c’est pour cela que mon livre est intéressant. J’ai sérieusement abordé la question de la justice transitionnelle dans ce document. On parle de justice transitionnelle qu’on oppose souvent à la justice institutionnelle nationale. Et ça fait que ceux qui ne maîtrisent pas beaucoup la question estiment que si on doit écarter la justice institutionnelle, c’est-à-dire la justice nationale ordinaire pour appliquer autre chose, c’est difficile. C’est vrai, il ne faut pas opposer la justice transitionnelle à celle moderne. Lorsqu’on un pays sort d’un état de crise il a deux ou trois solutions pour régler la situation. Il utilise le droit institutionnel pour régler la question. Il peut estimer qu’en raison d’un certain nombre de difficultés ce droit institutionnel ne lui permet pas et en ce moment on fait recours à la justice pénale internationale. C’est ce que la Côte d’Ivoire en a fait en se disant qu’il fallait juger Gbagbo en Côte d’Ivoire, la situation nationale ne pouvait pas lui permettre. On l’a détaché pour le faire juger à la CPI. Mais les dossiers qui peuvent passer devant la CPI ne concernent que des crimes d’envergure internationale. Alors, on en a choisi quelques-uns qui sont concernés par les dossiers emblématiques qu’on a envoyés à la CPI. Les autres ont été jugés en interne et on a dédommagé les victimes. Alors, lorsqu’on constate qu’après une crise la question de réparation s’impose, tu as ici affaire à la justice transitionnelle. L’Afrique du Sud a été l’un des premiers pays a utilisé la justice transitionnelle pour régler sa situation au sortir de la période de l’apartheid. Ensuite, le Rwanda aussi a eu recours à la justice transitionnelle à la suite du génocide que le pays a connu. Mais, au regard de l’atrocité de ces situations, si on veut appliquer intégralement au regard du droit habituel, c’est difficile.

Donc la justice transitionnelle comme la CPI sont des justices complémentaires qui sont entre les mains des Etats pour trancher sur certains dossiers spécifiques de justice. Mais, il n’en demeure pas moins que la justice classique prendra le dessus lorsque ces situations seront réglées.

Dans votre formule, vous n’excluez pas l’application de la justice transitionnelle, est-ce qu’il n’y a pas un hiatus puisque la justice transitionnelle ne vise pas condamner ?

Vous savez, il revient à chaque pays de donner du contenu à sa justice transitionnelle. Le contenu de la justice transitionnelle de l’Afrique du Sud est différent de celui du Rwanda, de la Centrafrique, de la Côte d’Ivoire ou de Madagascar. Prenons par exemple le procès du coup d’Etat manqué au Burkina. Les coupables ont déjà été jugés. C’est fini. Maintenant ils sont également condamnés à payer les réparations des dommages des victimes. Selon la justice transitionnelle sur ça, l’Etat prend en charge d’assurer ces réparations et ne pas réclamer ça à ceux qui sont considérés comme des auteurs. En ce moment, l’Etat peut estimer qu’au regard du fait qu’il a pris le soin de dédommager les victimes, il peut en retour demander aux victimes de mettre de mettre la main sur leurs cœurs et de permettre qu’il prenne d’autres décisions par rapport à ceux qui sont considérés comme les auteurs. Par exemple aujourd’hui chacun demande à ce qu’on permette au général Gilbert Diendéré et d’autres militaires de repartir sur le front du combat contre le terrorisme. Or ce qui est prévu c’est qui, ils ont été condamnés et doivent purgés leurs peines. Secundo, leurs biens, le temps de les saisir et les vendre, ça prendra plusieurs années pendant que les victimes ont besoin d’argent tout de suite.

photo d’archives

Dans un esprit de réconciliation, la justice transitionnelle est essentiellement fondée sur la réparation. L’Etat prend en charge les réparations et permet maintenant d’apaiser les cœurs et de demander à ce qu’on reparte sur de nouvelles bases. Sinon, si on reste dans la logique unique de saisir leurs biens et vendre, on le ruine et ses enfants vont aussi vous combattre. Il y a un minimum de droit qui s’applique. Donc il faut souvent assurer un plancher et il revient chaque fois à l’État de le faire.

Vous savez, la difficulté de tous ces pays africains comme le Burkina Faso qui n’arrivent pas à appliquer la justice transitionnelle, c’est parce qu’ils de droit d’initiative français. La France n’a pas connu les crises que nous avons connues. Donc elle n’a pas légiféré sur la justice transitionnelle. Par contre, la France a connu la guerre. Au sortir de la guerre qu’est-ce qu’elle a fait, l’état de siège, l’état d’urgence et tous les pouvoirs d’exception accordés au président-là qui est dans la constitution, c’est à partir de ses évènements socio-politiques qu’elle a trouvé ces mécanismes. Lorsqu’il y a une situation grave, on bloque tout, on assure le couvre-feu et autre pour permettre aux autorités administratives d’agir. Ca, c’est les artifices de la situation de l’après-guerre. Or nous n’avons pas connu les crises que les Français ont connues mais on les a mises dans notre constitution.

Lorsque la Covid-19 est arrivée, c’est une situation nouvelle. Elle n’était même pas dans la constitution. La France a fait ce qu’on appelle l’Etat d’urgence sanitaire. Les Français ont légiféré et ont pris des mesures restrictives exactement comme s’il y avait une guerre. C’est ce réalisme qui nous manque. Il nous faut, étant confrontés à une situation de crise, nos propres mécanismes. C’est cela l’intérêt de mes propositions. Et c’est l’état de nécessité de la réconciliation nationale. Aujourd’hui, il y a une crise telle qu’en ce qui concerne la lutte contre le terrorisme, il y a des éléments qui soutiennent qu’il y a nécessité de réconciliation nationale. S’il n’y a pas de réconciliation nationale, il n’est pas exclu que le pays vive des situations encore plus difficiles. Dans ce sens, la question de la réconciliation est une question de nécessité et par conséquent on doit avoir des mécanismes pour y arriver. L’Etat de droit comporte deux situations. L’état normal et l’état d’exception légal. La question de la réparation est essentiellement en matière de réconciliation nationale.

Est-ce que ce ne serait pas donner une prime à l’impunité que de passer par la justice transitionnelle ?

C’est pour ça je dis qu’il est bon que chaque Burkinabè lise ce livre parce que j’ai eu le courage de m’attaquer à des questions pointues. Je prends l’exemple de la Côte d’Ivoire où il y a eu plus d’atrocités que beaucoup de pays africains ne l’ont connu. Mais, qu’est-ce que le président Alassane Ouattara a fait ? Il a amnistié 300 personnes dont Simone Gbagbo. Personne ne pouvait penser qu’Alassane Ouattara pouvait amnistier Simone Gbagbo. Alors, il y a deux aspects à noter. Un, la réconciliation se fait avec les vrais adversaires, les plus indécrottables et non avec les amis. Deuxièmement, sachant que ça va prendre du temps, Alassane Ouattara les a amnistiés par ordonnance or normalement l’amnistie se fait par une loi votée par l’Assemblée nationale. Cela pour dire que lorsque la question de la réconciliation nationale a atteint un seuil, il faut trouver des mécanismes. Mais, cela ne veut pas dire qu’on veut assurer une prime à l’impunité. Il y a la question du pardon, de l’amnistie et de la grâce. J’ai dit dans mon document qu’il est difficile qu’on aille à la réconciliation sans envisager ces trois éléments. On ne gère pas le pouvoir d’Etat seul.

Aujourd’hui, il est question de poursuivre le président Compaoré et un cercle de ses proches. Prenons le cas palpable de son ancien Premier ministre Luc Adolphe Tiao et de des membres de son dernier gouvernement qui sont poursuivis. Ils n’ont pas tiré sur quelqu’un. On dit qu’ils ont pris des décisions dans la collégialité. Plusieurs personnes étaient aux côtés de Blaise Compaoré mais pourquoi, lui, on le poursuit seul. Plusieurs personnes peuvent-être impliquées dans cette situation et en ce moment elle est inextricable. Aujourd’hui il y a des juges qui doivent juger ce dossier qui n’étaient pas nés au moment où certaines situations dont l’affaire Thomas Sankara se passaient. Comment peuvent-ils trouver la solution ? Alors il faut trouver une solution politique. J’ai dit dans mon document qu’aujourd’hui, ceux qui peuvent assurer la réconciliation, ce n’est pas ceux qui sont considérés comme les bourreaux ni les fautifs. Ce sont les victimes ou les parents des victimes. Lorsque quelqu’un pose un acte qui me blesse, c’est à moi de faire la rémission et de dire comme à cause de moi le pays n’avance pas, je vous pardonne. Moi je vous accorde le pardon pour que le pays reparte sur de nouvelles bases. Par exemple, c’est à la famille de Norbert Zongo de dire qu’aujourd’hui il y a une crise depuis plusieurs années qui ne finit pas et donc pour donner la chance à la vie de la nation de progresser, elle pardonne. Le pardon est essentiel dans la réconciliation nationale. L’affaire Sankara aussi, c’est la même chose.

Le pardon n’est pas facile et je le sais c’est pourquoi dès la préface je l’ai évoqué. C’est pour cela que le règlement définitif des dossiers emblématiques comme ceux du président Thomas Sankara ou du journaliste Norbert Zongo dépendent essentiellement du pardon sous forme de rémission accordée par leurs parents aux responsables de ces tragédies. Autrement, aucune demande d’un pardon d’un tiers ne peut les satisfaire. Et vous ne pouvez pas demander à quelqu’un également qui a subi un acte atroce de dire pardon et vous partez. La personne avait des enfants et du fait de son absence des choses n’ont pas pu se réaliser. Il lui faut dédommager à la hauteur du préjudice subi. Tout ça c’est dans le cadre de la justice transitionnelle

Quand vous prenez la journée de pardon que l’ancien président Blaise Compaoré a organisé, c’est vrai qu’il y a eu des échecs mais il y a eu aussi des réussites et je pense que le pouvoir actuel doit tirer leçon de cet évènement et de ce qui est arrivé au président Compaoré. S’il avait réglé ces affaires, Thomas Sankara et Norbert Zongo, en son temps quand il avait les moyens de le faire, on en serait pas là. Alors je dis à ceux-ci là également, de savoir qu’ils ont posé des actes qui ont blessé certaines personnes, qu’ils trouvent des solutions avant de partir. Sinon le jour ou le rapport de force va changer et qu’ils n’ont pas trouvé de solution, ils seront aussi poursuivis comme Blaise Compaoré qu’ils poursuivent. Dans ce livre j’ai dit des choses que des gens disent en aparté.

Parlez-vous indirectement du travail que le ministre de la Réconciliation nationale et de la Cohésion sociale est en train de faire ?

C’est vrai que je critique. Ceux qui me connaissent savent que j’ai des points de vue tranchants. Tous les chemins mènent à Rome pourvu qu’on le veuille. Quelle que soit la voie suivie, on peut aboutir à la réconciliation nationale, c’est une question de volonté politique. On a mis en place un mécanisme qui doit s’acheminer pour être discuté au cours du forum. Quelle que soit la décision qui sera prise, le forum est la représentation des populations à travers ses tendances et ses catégories sociales parce que tout le monde doit être représenté. Si on prend une décision à ce niveau, elle s’applique. Bon nombre de personnes pensent que le président Kaboré a mis à côté du ministre chargé de la réconciliation, un comité d’anciens répondant du Premier ministre. D’autres disent que le chef de l’Etat est en train de reprendre d’une main ce qu’il a donné avec l’autre et qu’il est en train de diminuer le pouvoir de Zéphirin Diabré. Vous savez, le président Kaboré comme son ministre Diabré sont des hommes politiques. Donc, quel que ce soit ce qu’ils vont faire, ça sera critiqué. Mais ce comité qui a dont ses membres ont le dos suffisamment large a été mis en place pour faire des propositions. En ce moment, le président peut s’appuyer sur ce comité par exemple pour dire que les sages ont demandé d’amnistier des personnes dans le cadre de la réconciliation, et ça sera bien accepté.

Quelles appréciations faites-vous du travail du Haut Conseil pour la Réconciliation et l’Unité nationale (HCRUN) ?

C’est en réfléchissant sur le renouvellement du HCRUN qu’il m’est arrivé de faire ce document. J’ai critiqué le travail du HCRUN qui doit disparaître. Ce que le HCRUN a fait comme travail n’est pas bon. Mais, il faut reconnaître que les conditions dans lesquelles le HCRUN a été créé prête un peu à caution est le résultat est là. En cinq ans, ils n’ont pas pu régler un seul dossier.

Comment expliquez-vous l’échec du HCRUN?

J’ai expliqué dans mon livre en quoi le HCRUN a été mal conçu au regard des textes, sur le plan structurel et sur le plan fonctionnel. Dans cette structure, il y a deux sous commissions dont une chargée des investigations et des crimes, et une autre chargée des réparations. Alors, la sous-commission chargée des investigations n’a pu siéger qu’une seule fois en cinq ans. Vous savez pourquoi ? Parce que pour faire des investigations, il faut avoir une formation de magistrat. Ça veut dire que ce sont des experts qui devaient être là. Lorsqu’on mettait en place cette structure de réconciliation sous la transition, il était prévu 21 membres. Sept devaient être désignés par le président de la transition, sept par le président du CNT et sept par le Premier ministre. L’ex-majorité sous la transition a écrit au président Michel Kafando pour dire que le Premier ministre et le président du CNT ont choisi leurs quotas. Ils n’ont pas tenu compte de nous l’ex-majorité. Nous souhaitons que vous teniez compte de nous. Il n’a pas réagi. Donc le choix des membres du HCRUN a posé problème.

Ensuite, au niveau de la sous-commission chargée des réparations, ils ont travaillé sans tableau de bord. Un exemple, lorsque quelqu’un vient avec un certificat médical, s’il n’y a pas un médecin parmi vous, qui peut contester la véracité ou la qualité et la portée de ce document ? Il y a des gens qu’on a mis qui n’avaient aucune capacité d’apprécier certaines questions. Nous avons dit qu’on ne peut pas mettre en place une structure chargée de la réconciliation avec des gens qui n’ont pas les profils des questions qui seront posées. Il faut des sociologues pour que lorsque quelqu’un viendra parler qu’à travers ses propos, on sache son ressenti, ce qu’il a subi. Et après avoir étudié, appelle les intéressés. Vous avez dit que vous avez perdu telle ou telle chose, est-ce que vous pouvez prouver ça ? Si vous dites que vous aviez un téléphone acheté par exemple à 1000 F CFA. Si vous demandez ce montant, on ne va pas vous le donner, on va vous donner 500 F CFA. Si vous êtes d’accord, on signe. Et c’est l’ensemble des points d’accord qui seront consignés et un protocole d’accord signé. Mais aucun de nous n’a été payé et on est nombreux. Ensuite le HCRUN a été mis en place détaché de beaucoup de choses. On ne peut pas appliquer la justice transitionnelle sans le dire. La Constitution burkinabè dit que la justice doit être rendue par des magistrats et dans des tribunaux. Alors si aujourd’hui, on veut passer par des dédommagements, des règlements à l’amiable, il faut qu’on puisse dire que c’est vrai qu’on a la justice nationale, mais le Burkina Faso a décidé d’appliquer la justice transitionnelle.

L’ouvrage de Amadou Traoré

Il faut qu’on le dise. Et comment ça se fait ? Entre deux modifications de la Constitution, il faut une loi organique pour régler ces questions. C’est une loi organique, elle peut faire cela. Même pas sous la Transition qui a créé le HCRUN qui lié à rien ! Sous Blaise Compaoré, on a pris un décret pour créer le Collège des sages et un autre pour la mise en place d’une commission qui va réfléchir sur les modalités par les dédommagements. Cela veut dire qu’on a pris un décret pour travailler dans des registres qui sont devenus la justice. Mais cela n’est pas normal. Sous la Transition, on a monté ça au niveau d’une loi mais ce n’est pas normal. Je dis qu’il faut une loi organique unique qui institue la justice transitionnelle. A ce moment, on va expliquer qui est victime, qui est ayant-droit de victime, quels sont les préjudices réparables par la justice transitionnelle. Lorsque vous lisez le rapport du Collège des sages, il y a trois sortes de crimes dont on parle: économiques, et les autres crimes. Quand on parle de réconciliation, on s’intéresse seulement aux crimes de sang. Si on règle les crimes de sang et on occulte ceux économiques, on n’a rien fait.

Que mettez-vous dans le volet crimes économiques ?

Le Collège des sages l’a ressorti, ce sont les détournements. Ils ont expliqué que les crimes économiques sont pires que ceux de sang. Lorsque quelqu’un tue son prochain, qu’on le juge ou pas, et qu’on dédommage la famille de la victime, pour repartir sur de nouvelles bases. Si on peut trouver une solution politique pour les crimes de sang, pourquoi ne pas faire de même pour les crimes économiques, pour repartir sur de nouvelles bases ? Quand on parle de réconciliation économique, il faut ramener cela à une question de justice sociale. Si nous deux, nous avons les mêmes diplômes, et l’un est payé à 1000 F CFA et l’autre à 250 F CFA, c’est une question de justice sociale. Et ce n’est pas bon si on ne règle pas ça.

Certains demandent que l’ancien président du Faso, Blaise Compaoré soit poursuivi. Or, autant chacun de nous veut bénéficier de la sécurité juridique, autant il faut permettre au président Compaoré de bénéficier de cette sécurité juridique. La sécurité juridique, c’est quoi ? On avait dit que les anciens présidents bénéficient de l’armistice jusqu’en juin 2012. Après l’Insurrection d’octobre 2014, on a biffé cette partie de la Constitution. Mais la loi n’est pas rétroactive! La loi ne vaut que pour l’avenir !Si aloi devrait rétroagir, on devrait dire, on avait dit ça, mais on aujourd’hui on supprime ça et on supprime les effets. Au cons cas, en supprimant seulement la loi, on continue de bénéficier des effets.

Faut-il limiter la réconciliation aux dossiers dits emblématiques ?

La réconciliation est liée à la mauvaise gouvernance, la question de gouvernance politique. S’il y a une situation nationale, tant que l’aspect politique n’est pas réglé, on ne peut pas s’en sortir. Les crises sont en général multidimensionnelles, mais il faut toujours commencer par le côté politique. La réconciliation est un processus de longue haleine. Il y a de l’enchevêtrement et dès lors que les questions politiques sont réglées, le reste suit. La grande confiance qu’on avait avec le processus engagé par le Collège des sages, je n’ai pas eu cette bonne vision du processus engagé par la Transition. Des membres influents de la Commission de réconciliation de la Transition, dont je ne dirai pas les noms, ont combattu la réconciliation. Lorsqu’il y a une loi d’exclusion, on a été devant la CEDEAO et l’ex-majorité a gagné. On a demandé que tous les obstacles à leur participation soient levés. Mais cela n’a pas été fait. On les a écartés. Lorsque vous êtes membre de la réconciliation et vous refusez que certains participent aux élections, pourtant c’est le principal débat politique ! Ensuite sur la plan social et humain, lorsque vous empêchez quelqu’un de participer à des élections, la bagarre ne finira pas toute la vie. Le rapport de la Commission de réconciliation sous la Transition a dit de régler au cas par cas et que l’Etat assure la réparation. Si vous regardez le Code pénal, l’incendie de l’Assemblée nationale est un crime et s’il y a mot d’homme, vous devez être condamné à mort. Ceux qui étaient dans la Transition, c’est eux qui ont participé à l’Insurrection et qui ont brûlé l’Assemblée, mais ils ne veulent pas que ça soit jugé. S’il y a crime, il faut que ça soit jugé. Quand il y a eu la tentative de coup d’Etat, qu’est-ce qu’ils ont dit ? Ils ont exigé que ça soit jugé.

Il y a donc du deux poids, deux mesures ?

Oui il y a du deux poids, deux mesures et c’est Me Kam. Il était membre de la Commission. Il était membre influent et a obtenu que ces gens soient écartés.

Quand vous avez parlé des ingrédients de la réconciliation, vous avez parlé de volonté politique. Cette volonté politique est-elle présente dans le processus engagé actuellement ?

La volonté politique est là, mais vous savez le président Kaboré est entre le marteau et l’enclume. Si ça ne tenait qu’à lui, je suis sûr que certaines choses se seraient passées autrement. Mais il est dans un ensemble et il y a des radicaux. S’il accepte d’aller sur la voie de la réconciliation, il va bénéficier des appuis des plus inattendus. Au cas contraire, son second mandat sera difficile. La question du terrorisme : avant c’était des gens d’autres pays qui animaient le terrorisme, mais aujourd’hui ce sont nos enfants et nos frères. Pourquoi ? Parce qu’il y a une injustice. Et vous ne pouvez pas faire l’économie de la situation au Burkina Faso, sans s’asseoir avec les terroristes et leur demander ce qu’ils veulent.

Etes-vous entrain de dire que la solution contre le terrorisme passe par la réconciliation ?

Dans la région de l’Est, des terres ont été retirées, depuis le temps de Blaise Compaoré. A ce moment, le pouvoir était fort, et ces gens n’ont pas pu parler. Aujourd’hui, le pouvoir s’est affaibli et ils se sont levés. Pour certains il suffit de rétrocéder ces terres et c’est fini. Il y a un cloisonnement des problèmes, s’il n’y a pas une solution politique, ça ne va pas finir.

Du coup la solution militaire contre le terrorisme pour vous est une grosse erreur ?

Non ce n’est pas une grosse erreur. On ne peut pas régler la question du terrorisme sans envisager la solution militaire. Et vous ne pouvez pas aller négocier en étant en position de faiblesse. Il faut aussi prendre en compte l’aspect économique. Vous n’allez jamais voir un enfant de riche devenir terroriste. Les terroristes, c’est ceux qui ont faim. Sur la terre de vos ancêtres, on extrait l’or, et les véhicules passent sous vos yeux avec ça. Après, l’argent de l’or est mangé à Ouagadougou, certains dansent et tout et vous vous avez faim. Ça vous remonte. Mais si on assurait le développement de la localité, cela veut dire que les aspects économiques sont à voir. En plus, il faut les associer.

Vous avez dit que si le président adopte la bonne démarche, il va bénéficier d’appuis inattendus, donc pour vous il n’a pas encore la bonne attitude ?

La CODER (Coalition pour la démocratie et la réconciliation nationale) a été la première organisation politique à parler de réconciliation. Moi je suis membre fondateur. Lorsque nous parlions de réconciliation, nous avons été menacés, mais aujourd’hui c’est du domaine public, tout le monde parle de réconciliation. Nous avons parlé de la justice transitionnelle. Quand on parle de vérité, justice et réconciliation, c’est la justice transitionnelle. Ensuite la question de la réconciliation a été un aspect important de la campagne. Le président Kaboré a dit que s’il est élu, dès le premier semestre, il fait venir le président Compaoré. Pour ça, certains l’ont voté. Mais voilà que le ministre en charge de la Réconciliation qui est rattaché à la présidence dit que chacun va venir répondre à la Justice. Ça fait un double langage. Or on ne peut pas envisager la réconciliation, sans Blaise Compaoré. Je vous donne un exemple : il y a des millions de personnes qui se reconnaissent en lui. Si le président Compaoré vient et il dit acceptez la réconciliation et ces millions de personnes acceptent, c’est fini. C’est le leader, on ne peut pas les écarter. Le président Kaboré est dans une ambivalence. Il avance, mais il y a des gens qui contestent. Mais le comité qu’il a mis en place peut l’aider à régler ça.

Vous avez parlé de la CODER, que devient-elle ?

La CODER a pratiquement disparu. Il y a eu une divergence de vues sur certaines questions entre les membres fondateurs.

Entretien réalisé par la rédaction et retranscrit par Boureima DEMBELE et Bernard BOUGOUM