Ceci est écrit de Nowenkuum Désiré Poussogho et Serge Dénis W. Samandoulgou de l’Institut des sciences des sociétés/CNRST. Dans cette tribune, ils parlent du dispositif de formation à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) pour une réinsertion sociale réussie des détenus au Burkina Faso.
Résumé
Au Burkina Faso, le taux de récidive des prisonniers est estimé à 69% selon les rapports du mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples. Le constat montre donc que d’une manière générale, les prisonniers sont en majorité des anciens détenus. Depuis 2017, la loi autorise l’instruction en milieu carcéral mais cette offre reste faible et inopérante étant donné le taux de récidive déjà relevé. Cette réalité commande des techniques d’approche nouvelle de formation pour réduire le taux de récidive et faciliter la réinsertion sociale des détenus libérés.
INTRODUCTION
À l’instar de nombreux centres pénitentiaires en Afrique, le Burkina Faso connait entre autres une surpopulation carcérale conjuguée à un besoin criard de formation adaptée pour une réinsertion sociale réussie des détenus libérés de prison. Le cas de maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO) est particulièrement intéressant du fait qu’elle est la plus grande prison civile au Burkina Faso. La formation des prisonniers de la MACO est assurée par des personnes morales, des associations soutenues par des partenaires techniques et financiers. Caractérisée par une surpopulation carcérale, la MACO peine à assurer à tous ses pensionnaires des conditions de vie décentes et de perspectives d’avenir en termes d’emploi. Parce que le processus de réinsertion sociale commence dès la sortie de prison, on comprend que sans préparation conséquente, le détenu libéré de prison a peu de chance de réussir.
Dans ces conditions, il convient de repenser les instruments ou outils d’encadrement dans les prisons au Burkina Faso. Quel dispositif de formation faut-il instituer à la MACO pour rendre efficace la réinsertion sociale des détenus libérés ? C’est à cette question que la présente étude entend répondre. Notre hypothèse de recherche stipule que le modèle de dispositif de formation qui convienne à la MACO est un modèle caractérisé par un contenu de formation, un profil de formateur et une organisation de la formation qui tiennent compte des besoins spécifiques des prisonniers. Les données ont été collectées à l’aide des questionnaires et des guides d’entretiens avec les différents acteurs en milieu carcéral ainsi que des spécialistes en éducation des adultes.
Notre population cible est composée des détenus ayant fait l’objet de condamnation, des ex-détenus, les gardes de sécurités pénitentiaire (GSP) qui sont les premiers responsables de l’organisation de la vie carcérale, les agents chargés de conduire les Activités d’éducation civique (AEC) et de formation à la MACO et des spécialistes en éducation. Nous avons choisi de façon raisonnée 70 prisonniers de la MACO, 12 ex-détenus, 5 gardes de sécurités pénitentiaires, 6 agents chargés de conduire les Activités d’éducation civique (AEC) et de formation à la MACO et 10 spécialistes en éducation. Au total l’échantillon est composé de 103 personnes. Nous mentionnons que dans cette étude, la population carcérale cible est la tranche de détenus n’ayant presque jamais eu de profil professionnel et qui vivaient de petits boulots trouvés çà et là.
- Résultats de la recherche
2.1. Situation sur l’insertion sociale des ex-détenus de la MACO
Si 70% des ex-détenus que nous avons rencontrés n’ont toujours pas obtenu du travail, donc confrontées au chômage, il n’y a que 20% d’entre eux qui arrivent à s’arracher un métier. Il faut préciser que certains d’entre eux réussissent à retourner à leurs anciens postes. Parmi eux, 10% sont en apprentissage. Les 20% qui ont pu obtenir du travail sont dans la maçonnerie, la cordonnerie, l’élevage…Nous avons rencontré une infime partie d’entre eux qui sont en apprentissage pour être mécanicien, soudeur, tapissier. Par ailleurs, parmi les désœuvrés, certains nous ont confié qu’ils sont stigmatisés et sont systématiquement rejetés lorsqu’ils sont à la recherche d’un emploi. Ils sont fuis par tous, y compris leurs proches. L’un d’entre eux confie que :
« C’est pas facile de pouvoir s’insérer dans la société après la prison. Souvent quand tu arrives dans certains endroits le nom par lequel on t’appelle est ancien prisonnier. Cela met vraiment mal à l’aise. C’est vrai qu’on a commis des délits que nous avons payés mais aujourd’hui j’ai changé et je veux pouvoir travailler. Mais c’est difficile de pouvoir y arriver si ceux avec qui nous vivons ne nous accepte pas. »
Si certains se voient stigmatisés, d’autres confient avoir appris en prison des métiers dont l’habileté reste à parfaire. D’autres ont également confié qu’ils ont appris en prison des métiers qui ne correspondaient pas du tout à leurs aspirations. Ces différentes données nous révèlent qu’il y a un réel problème de professionnalisation des détenus dans la MACO. Si tel est le cas, quel dispositif de formation mettre en place pour aider les prisonniers à pouvoir s’insérer dans la société.
2.2. Esquisse de dispositif de formation à la MACO
2.2.1. Activités de prise de conscience et d’insertion sociale organisées à la MACO : point de vue des ex-détenus et des détenus
Tableau 1 : Situation des activités de prise de conscience et d’insertion sociale organisées à la MACO
Nature de l’activité | Description |
Activité sportive | Football |
Activités culturelles et artistiques | Musique, théâtre, danse, peinture… |
Causeries éducatives | Aborde les thèmes sur la violence, la drogue, droits et devoirs du détenu… |
Enseignement religieux | Lecture de la bible, le coran, la messe… |
Les activités de nettoyage | Lavage des cellules, nettoyage de la cour… |
L’alphabétisation et l’apprentissage des métiers | Couture, soudure, maçonnerie, menuiserie, savonnerie… |
Source : enquête de terrain, 2021
Les différents entretiens nous ont révélé qu’à la MACO, il y a plusieurs activités de prise de conscience et d’insertion sociale des détenus qui y sont organisées. Nous avons les activités sportives, les activités culturelles et artistiques, les activités de nettoyage, les causeries éducatives, les enseignements religieux, l’alphabétisation et l’apprentissage des métiers. La majorité des détenus soutiennent que pour une insertion sociale réussie des ex-détenus, l’accent doit surtout être mis sur l’alphabétisation et l’apprentissage des métiers (95%), les activités culturelles et artistiques (80%), et les causeries éducatives (45%). Nous voyons que c’est l’apprentissage aux métiers pratiques qui intéresse la plupart d’entre eux. Les détenus étant des adultes en formation, il est important que leur formation soit en adéquation avec leur besoin de vie. Dans le modèle andragogique de Malcolm Knowles (1980, 1990) le père fondateur de l’andragogie, la question de l’orientation de l’apprentissage est capitale. En effet, les adultes orientent leur apprentissage autour de la vie, ou d’une tâche ou d’un problème et ils assimilent d’autant mieux les connaissances, les compétences, les valeurs et les attitudes que celles-ci sont présentes dans le contexte de leur mise en application dans des situations réelles.
2.2.2. Revoir l’organisation de la formation en milieu à la MACO
Tous les spécialistes en éducation et formateurs à la MACO propose d’élargir la formation en milieu carcérale au monde extérieur et de prévoir des matériels didactico-pédagogiques de qualité et en nombre suffisant. La majorité d’entre eux ont proposé d’utiliser les méthodes actives de formation et de prévoir des salles de classe respectant les normes. Pour ce qui concerne l’élargissement de la formation au monde extérieur, l’idée c’est de permettre aux détenus d’être en contact prolongé avec les personnes extérieures à la prison au cours de leur formation. Par exemple en ce qui concerne le sport, des équipes de l’extérieur peuvent venir jouer contre des équipes de détenus dans la prison ; les activités culturelles et artistiques devraient comprendre des réalisations associant des artistes de l’intérieur et de l’extérieur. Les débats lors des causeries éducatives peuvent comprendre des échanges entre détenus et personnes extérieures à la prison ; L’enseignement professionnel en prison devrait tenir compte des potentiels besoins dans le milieu de l’emploi. Pour ce qui concerne les matériels didactico-pédagogiques, il est important qu’ils soient de qualité et en nombre suffisant pour une formation de qualité. Les formateurs ont souligné l’insuffisance de moyen matériels pour la réalisation des activités artistiques et la formation aux métiers, l’étroitesse des salles de classe et leur délabrement, manque de moyens matériels audiovisuels pour les différents cours. Enfin, dans toutes les activités de prise de conscience et d’insertion sociale organisées à la MACO, il est important de créer des situations de réception actives pour que le message soit compris. C’est pourquoi l’enseignement apprentissage en prison doit être surtout basé sur les travaux de groupe, des mises en situation problème, des exercices d’application pratique, des jeux. Pour ce qui concerne la participation des détenus aux différentes activités, les différents entretiens ont révélé qu’il y a des activités auxquelles tous les détenus participent telle que les travaux de nettoyage des cellules et de la cour. Pour les activités de formation seule les condamnés amendables peuvent prendre part. L’accent est mis sur les détenus mineurs et les femmes. L’insuffisance de personnel d’encadrement, l’insuffisance de moyens matériels et l’exiguïté des salles de cours explique en partie la faible participation des détenus aux différentes activités de formation à la MACO.
2.2.3. Prévoir un dispositif d’alphabétisation fonctionnel à la MACO
On compte, parmi les détenus de la MACO, un fort pourcentage de personnes très défavorisées, ayant subi des échecs multiples et dont l’expérience ou la formation professionnelle sont quasi inexistantes. Ces détenus ont une mauvaise opinion d’eux-mêmes et manquent d’aptitudes à la participation. Ils sont conscients de leur échec scolaire. Ils partent de l’idée que l’éducation n’aurait rien à leur offrir. Beaucoup sont illettrés et éprouvent de la honte à l’idée d’apprendre à lire et écrire. L’alphabétisation telle que pratiquée actuellement à la MACO est celle qui est encore traditionnelle car n’étant pas basée sur les besoins des prisonniers. L’enquête de terrain auprès des détenus a permis de recueillir les besoins en termes de professionnalisation en vue de leur insertion sociale.
La figure ci-dessus révèle que les besoins de professionnalisation des prisonniers sont de plusieurs ordres. Les besoins exprimés concernent essentiellement les domaines suivants : soudure, menuiserie, mécanique auto, l’élevage de porc et de volaille, l’électricité, la peinture, la coiffure, la confection de sac et de panier, la fabrication de savon, la couture, la musique et la maçonnerie. L’alphabétisation en prison devrait se faire de manière fonctionnelle à partir du lexique de ces différents métiers qui constituent les besoins de professionnalisation des détenus à la MACO. En effet, l’apprentissage des 26 lettres de l’alphabet par cœur ne leur servira à rien. Dans un cadre scolaire, il est commun d’enseigner aux élèves l’alphabet entier. Pour des détenus qui sont des adultes, l’alphabet ne représente rien de pratique ou d’utile dans leur vie en milieu carcéral. Il est difficile aux adultes en prison de mémoriser ces lettres apprises par cœur car n’étant directement pas connectés à leur vie quotidienne. Ainsi l’alphabétisation à la MACO doit se faire en enseignant uniquement les lettres qui sont dans les mots choisis à partir des lexiques des différents besoins de professionnalisation présentés ci-dessus. En apprenant progressivement les lettres contenues dans les mots choisis, ils pourront en définitive connaitre l’ensemble des 26 lettres de l’alphabet.
2.2.4. Prévoir une formation des formateurs intervenant à la MACO
On note une multitude d’acteurs qui interviennent dans la formation des détenus à la MACO. Il s’agit des Garde de Sécurité Pénitentiaire (GSP), les agents de l’action sociale, les agents du service de sport, loisir et culture, les associations et les ONG, les communautés religieuses, les bénévoles, souvent des psychologues pour les mineurs. L’enquête de terrain a montré que ces formateurs ont besoin eux-mêmes d’être formés même s’ils sont compétents chacun respectivement dans son domaine. Nous avons pu collecter les besoins de formation des formateurs intervenant surtout en Alphabétisation et apprentissage des métiers. Tous les formateurs ont manifesté le besoin d’être formé dans la construction des séquences didactico-pédagogiques en alphabétisation. La majorité d’entre eux désire être formés dans la mise en place des situations de réception active en alphabétisation, dans la pédagogie différenciée, et en andragogie. Pour ce qui concerne le besoin de formation en andragogie, il faut dire qu’il est capital en milieu carcéral. En effet, Il est indispensable d’inciter toutes les personnes intervenant comme formateur dans les prisons à considérer les élèves de leur classe comme des adultes participant à des activités normales d’éducation. Il importe de les traiter comme des personnes responsables, disposant de la possibilité d’exercer des choix. Autrement dit, il faut minimiser le contexte pénitentiaire et faire passer à l’arrière-plan les antécédents criminels des détenus, de manière à laisser s’instaurer un climat de confiance, des interactions et des méthodes de travail semblables à ceux de la communauté extra carcérale. Les formateurs en milieu carcéral doivent être très adroits et prodiguer à ces hommes et à ces femmes beaucoup d’encouragements pour les convaincre de s’inscrire à des cours et d’enrichir leurs connaissances. Il est indispensable de leur redonner confiance et pour y parvenir, les formateurs devront s’écarter des approches et des méthodes carcérales traditionnelles de formation et d’appliquer les méthodes andragogiques.
Le besoin de formation en pratiques pédagogiques différenciées consiste en l’analyse des besoins spécifiques de chaque détenu au cours de la formation. Elle exige une bonne connaissance des besoins de chaque détenu et apporte des outils pour le repérage des difficultés d’apprentissage de chacun. Cette compétence permet aussi d’affiner ses connaissances sur la méthodologie de l’observation et de l’évaluation des élèves-détenus pour pallier leurs difficultés et ainsi proposer une démarche pédagogique adaptée dans une perspective de prévention ou de remédiation. Le besoin de formation dans la mise en place des situations de réception active consiste surtout à former les formateurs dans la mise en place des situations problèmes, des exercices d’application pratique, les travaux de groupes et des jeux dans le dispositif d’enseignement-apprentissage. Enfin la construction des séquences didactico-pédagogique en alphabétisation fonctionnelle est un besoin capital de formation. En effet, en alphabétisation fonctionnelle, il y a 7 étapes pour construire une fiche pédagogique. Il s’agit de l’anticipation, la compréhension globale, la compréhension détaillée, le repérage, la conceptualisation, la systématisation et la production. Pour construire une unité didactique en alphabétisation fonctionnel en milieu carcéral, les formateurs doivent maîtriser chacune de ces étapes. En alphabétisation fonctionnelle, une fois le besoin identifié, le formateur construit l’unité didactique en tenant compte de chaque des étapes de construction de l’unité.
Conclusion
De ce qui précède, il ressort que les prisonniers de la MACO ressentent un pressent besoin de formation susceptible de leur garantir une réinsertion sociale réussie. La majorité des prisonniers ont manifesté un besoin de professionnalisation lié à l’apprentissage des métiers pratiques qui sont entre autres : soudure, menuiserie, mécanique, l’élevage de porc et de volaille, l’électricité, la peinture, la coiffure, la confection de sac et de panier, la fabrication de savon, la couture, la musique et la maçonnerie. Aux méthodes d’encadrement et de formation standards devront se substituer des méthodes innovantes d’apprentissage qui prennent en compte les besoins des détenus en termes de formation. Le dispositif de formation en milieu carcéral doit mettre l’accent sur l’alphabétisation et l’apprentissage des métiers, les activités culturelles et artistiques et les causeries éducatives. Le pool de formateur intervenant à la MACO doit être dument formé lui-même pour être un véritable porteur de changement chez les adultes, en l’occurrence les personnes détenues. Les besoins des formateurs se résument entre autres à l’apprentissage des méthodes andragogiques de formation, à la pédagogie différenciée, à la construction des unités didactiques en alphabétisation fonctionnelle. Tout ceci ne peut se faire sans des matériels didactico-pédagogiques et des salles de classe appropriées. La création d’une direction de la réinsertion des détenus ne serait-elle pas envisageable au Burkina Faso pour accompagner les détenus sortis de prison ?
Bibliographie
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