Accueil Opinion Burkina: « Quelles perspectives pour lutter efficacement contre l’indiscipline et l’incivisme? »

Burkina: « Quelles perspectives pour lutter efficacement contre l’indiscipline et l’incivisme? »

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Les élèves entonnant l'hymne national devant les éléments des CRS (Ph. d'archives)

Ceci est une tribune du Conseiller d’éducation, Moumouni Nikiéma, dans laquelle il fait des propositions au regard de l’indiscipline et l’incivisme qui gangrènent la société burkinabè.

Nous sommes encore à la rentrée des classes et certains problèmes qui semblaient oubliés refont surface. Il s’agit entre autres de l’indiscipline et de l’incivisme des élèves. L’indiscipline est l’action de refuser de se soumettre, de nier l’autorité d’une personne ou d’une institution pour agir dans le déni de l’ordre établi (www.linternaute.fr ). On assiste à une recrudescence de ce fléau chez les enfants. Il se caractérise en famille par le non-respect des parents et des adultes, dans les établissements scolaires par le non-respect de la règlementation scolaire et la défiance de l’autorité des enseignants et éducateurs et dans la société de façon générale par le non-respect des lois, règlements établis par l’Etat et des valeurs acceptées par la société. L’indiscipline conduit généralement a l’incivisme qui, elle, est définie comme un étant caractérisant une personne dont le comportement traduit un manque de dévouement pour sa nation (www.linternaute.fr ). Ces deux phénomènes semblent donc liés et constituent un frein au développement d’une société. Quelle peut être la responsabilité de l’éducation dans la recrudescence de l’indiscipline et de l’incivisme ?

L’historien burkinabè Joseph KI-ZERBO disait que l’éducation est le logiciel de l’ordinateur central qui programme l’avenir des sociétés. Et le Burkina Faso n’est pas en reste d’autant plus qu’il est confronté aux défis sécuritaires, aux défis de développement et qu’il a une population majoritairement jeune.

Selon DURKHEIM, «L’éducation est l’action exercée par les générations adultes sur celles qui ne sont pas encore mûres pour la vie sociale. Elle a pour objet de susciter et de développer chez l’enfant un certain nombre d’états physiques, intellectuels et moraux que réclament de lui et la société politique dans son ensemble et le milieu spécial auquel il est particulièrement destiné». Cette action est exercée à plusieurs niveaux : en famille, à l’école et dans la société de façon générale.

L’éducation étant un enfantement culturel qui prolonge l’enfantement biologique (Joseph KI-ZERBO), elle commence en famille. Puis dès l’âge scolaire, elle est désormais assurée à la fois par les parents, les enseignants et les éducateurs. Parallèlement aux actions de ces derniers, la société y contribue activement.

Ces définitions nous convainquent que l’éducation joue un rôle capital dans l’éradication de l’indiscipline et de l’incivisme. L’accroissement de ces maux traduirait donc un échec de certains aspects de l’éducation qui se manifeste à plusieurs niveaux.

D’abord, dans la cellule familiale, on constate amèrement l’abandon progressif de l’éducation familiale. De plus en plus, les parents se contentent de subvenir aux besoins de leurs enfants et de les défendre à tout moment. Les autres aspects sont négligés en espérant que l’école fera le reste. Il n’est d’ailleurs pas rare d’entendre des parents dire «bientôt tu auras l’âge scolaire et on se débarrassera de toi» ou des parents qui déclarent aux éducateurs à l’école «qu’ils ne peuvent plus rien faire pour redresser le comportement de leur enfant».

Ensuite, au niveau scolaire, les établissements scolaires qui devraient appuyer la famille sont eux-aussi confrontés à d’énormes difficultés telles que le déficit en personnels, l’inadaptation des méthodes d’encadrement et de façon générale l’inefficacité des politiques en la matière. On est tenté de croire que ces établissements, tout comme la société burkinabè dans son ensemble, n’arrivent pas à concilier les exigences en matière de droit des enfants et celles en matière d’éducation de qualité (conforme à notre culture et à nos valeurs) si bien qu’aujourd’hui, les agents commis aux tâches d’éducation peinent à offrir des services de qualité. Il faut mentionner enfin l’insuffisance de synergie d’actions entre l’école et les parents.

Enfin, quelle appréciation peut-on faire de l’éducation dans la société dans son ensemble ? Avec l’avènement des droits de l’homme en général et ceux des enfants en particulier, les enfants sont laissés à eux-mêmes quand ils ne sont ni en famille, ni à l’école. Chacun a peur de donner un quelconque conseil ou de corriger l’enfant d’autrui, de peur de tomber dans le non-respect des droits de l’enfant et d’en subir les conséquences. Cela étant, dès qu’ils sont dehors, les enfants n’ont plus peur de faire ce qui leur est interdit en famille et/ou à l’école. Ainsi, des milliers d’enfants ont des comportements différents selon les lieux : sages à la maison et/ou à l’école ; inciviques et indisciplinés dans la société et/ou à l’école. Certains parents convoqués par les établissements scolaires ne reconnaissent pas les comportements de leurs enfants puisque, disent-ils, «il est très sage et respectueux à la maison». Également la rue devient de plus en plus le lieu par excellence où on retrouve tout ce qui est interdit à la maison ou à l’école.

De ce qui précède, on peut résumer que les causes sont partagées entre la famille, l’école et «la rue». Ce faisant, quelles perspectives pour lutter efficacement contre l’indiscipline et l’incivisme ?

Les responsabilités étant partagées, les perspectives seront dégagées à plusieurs niveaux. Les parents doivent prendre conscience qu’il leur appartient de poser les bases de l’éducation de leurs enfants afin que les autres acteurs ajoutent leurs contributions. Personne ne fera complètement l’éducation d’un enfant à la place des parents. Les autres contribueront et de la fondation faite par les parents dépendent la qualité et l’efficacité des contributions des autres. Cela peut être illustré par l’exemple de la construction d’une maison et l’éducation reçue des parents est assimilable à la fondation de la maison. Si la fondation est bien faite il est plus probable d’avoir une maison résistante. Ainsi les parents jouent un rôle principal car ils doivent faire la fondation de la maison « éducation de l’enfant ». C’est à eux de transmettre à l’enfant l’ensemble des valeurs et comportements de référence. En gardant à l’esprit que l’enfant apprend par imitation, eux-mêmes devront incarner les valeurs et comportements qu’ils veulent inculquer à l’enfant. Éduquer un enfant ne se résume pas à subvenir à ses besoins et à le défendre de façon abusive.  Il doit aussi être écouté, encadré et corrigé s’il le faut. Les parents doivent dégager du temps pour s’occuper de leurs enfants car il est bien de leur léguer une fortune matérielle mais il est mieux de leur offrir une éducation de qualité, adaptée aux exigences du monde du travail et de la société dans laquelle il vit. Ils doivent s’approprier le dicton qui dit : qui aime bien châtie bien. Aimer un enfant n’est pas accepter tous ses comportements mais aussi et surtout corriger les mauvais afin qu’il prenne le bon chemin. Ils doivent enfin s’informer permanemment du travail et du comportement de leur enfant à l’école et dans la rue afin de prendre les mesures idoines dans les meilleurs moments.

L’école qui se voit de plus en plus attribuée exclusivement cette lourde responsabilité doit également agir. Les politiques éducatives doivent tenir plus compte des exigences de valeurs et de comportements de notre société que des impératifs de respects de droits imposés. Aujourd’hui la majorité des burkinabè ne se retrouvent pas où ne comprennent pas la politique en matière d’éducation. Ces politiques doivent permettre d’élaborer une réglementation adaptée et intégralement applicable. Pour ce faire, les acteurs chargés de la gestion de la discipline doivent être impliqués dans l’élaboration de ces politiques, ce qui ne semble pas être le cas actuellement. L’enjeu actuel exige que ces questions soient exclusivement attribuées à une direction centrale au lieu de les greffer aux directions en charge des aspects purement pédagogiques. L’école doit travailler, enfin, à informer régulièrement les parents du travail pédagogique et disciplinaire de leurs enfants pour permettre la prise de mesures adéquates.

Dans la société dans son ensemble, les structures chargées de réguler les comportements, si elles existent, doivent être de plus en actives. Si elles rencontrent des difficultés, il serait important de travailler à les rendre plus opérationnelles. Des mesures règlementaires et/ou législatives permettant à chacun de pouvoir sans grandes inquiétudes, participer à l’encadrement de l’enfant d’autrui seraient également les bienvenues. Nous le disions plus haut que l’enfant apprend par l’exemple. On ne saurait donc construire de futures générations exemplaires que si nous sommes nous-mêmes des exemples. Cela interpelle particulièrement les parents, les travailleurs de l’éducation, les autorités de tous ordres et tous les adultes en général à avoir des comportements exemplaires et à cultiver eux-mêmes les valeurs qu’ils veulent inculquer à leurs enfants.

Ces propositions de solutions énumérées sont à la fois des interpellations à l’endroit des acteurs cités. Il est grand temps que les autorités et les parents se penchent sérieusement sur la question au risque de voir l’avenir s’assombrir.