Amadou Traoré, juriste administrateur civil et consultant, dans le document qui suit, s’adresse à Nana Addo Dankwa Akufo-Addo, président de la République du Ghana, président en exercice de la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest (CEDEAO) et aux Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres de l’institution, à la suite de l’annonce des sanctions contre le Burkina Faso.
« Excellence Monsieur le Président,
La Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réunie en Session extraordinaire, le 25 mars 2022 à Accra, en République du Ghana, sous la présidence de S.E.M. Nana Addo Dankwa AKUFO-ADDO, Président de la République du Ghana et Président en exercice de la Conférence. Cette session extraordinaire a été convoquée dans le but d’examiner les récentes évolutions politiques intervenues au Mali, en Guinée et au Burkina Faso depuis le dernier Sommet extraordinaire tenu le 3 février 2022.
L’autorité de la CEDEAO et de ses décisions au regard du niveau de participation des chefs d’Etat et gouvernement à cette Session extraordinaire d’une part, et d’autre part le contexte et la substance des décisions prises au regard de la situation du Burkina Faso appellent de ma part à des observations qu’il me parait utile de rappeler à l’organisation communautaire et aux acteurs majeurs concernés par les décisions.
Premier point : L’autorité des décisions de la CEDEAO au regard du niveau de participation des chefs d’Etat et gouvernement à la Session extraordinaire du 25 mars 2022
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), est composée de 15 pays. Sur les 15 Chefs d’Etats et de Gouvernements de ces pays, seuls 5 étaient présents à la Session extraordinaire du 25 mars 2022. Ce sont :
S.E.M. Patrice TALON, Président de la République du Bénin ;
S.E.M. Nana Addo Dankwa AKUFO-ADDO, Président de la République du Ghana ;
S.E.M. Umaro Sissoco EMBALO, Président de la République de Guinée Bissau ;
S.E.M. Mohamed BAZOUM, Président de la République du Niger ;
S.E.M. Macky SALL, Président de la République du Sénégal.
Sur les 10 autres chefs d’Etat absents, 7 étaient représentés par des personnalités dûment mandatées tandis que les trois pays de la CEDEAO en cause que sont le Mali, la Guinée et le Burkina Faso n’étaient pas représentés.
Pour un sommet devant prendre des décisions de nature à jouer durablement sur le devenir de 3 pays membres en difficultés à l’intérieur de leurs frontières, il est malaisé de comprendre que seuls 5 chefs d’Etats aient effectué le déplacement sur 12. Le quorum statutaire requis par les textes pour prendre des décisions a sans doute été acquis au regard des 12 présences, mais sur le plan de l’autorité des décisions, il y a matière à redire. L’on peut supposer, sans se tromper, que ce sont les 5 chefs d’Etat qui en ont imposé aux autres représentants leurs options des sanctions à infliger aux trois Etats concernés. Certains soutiendront sans doute que c’est à bon droit que la CEDEAO a sanctionné ces pays au regard des dispositions des textes communautaires. Cependant, l’on peut avoir une autre lecture de la portée des obligations conventionnelles.
En effet, un pays adhère à un traité supranational dans le but d’apporter un meilleur être aux populations. Ces trois pays sont en effet membres fondateurs de la CEDEAO et y demeurent à ce jour en toute souveraineté. Des militaires ont été amenés à démettre les gouvernants élus dans ces trois pays pour éviter la survenance de préjudice plus graves. J’évite d’épiloguer sur la situation du Mali ou de la Guinée dont je ne maitrise pas toutes les données. Mais pour ce qui concerne le Burkina Faso, il était inadmissible de laisser le pays entre les mains d’une équipe dirigeante dont l’incompétence était inqualifiable et qui passait par le manteau de la légitimité électorale pour se maintenir vaille que vaille. Des militaires patriotes se sont engagés à éviter au Burkina Faso de sombrer totalement. Cela a été du reste admis aux lendemains de la prise de pouvoir par le MPSR intervenue le 24 janvier 2022.
Devraient-ils laisser leurs pays atteindre le tréfonds irréversible de la déchéance pour que la détresse de leurs peuples soit comprise par ceux qui sont loin de vivre leurs réalités? Certes NON. Une convention aux termes librement consentis ne doit pas être un fardeau dont les membres ne peuvent plus se défaire au besoin. La bonne gouvernance est une exigence essentielle dans la gestion des affaires publiques et les gouvernants de ces pays ont été évincés à cause de leur mauvaise gouvernance caractérisée. Aucun traité ne peut avoir pour objet de faire accepter à des peules la mauvaise gouvernance structurelle de leur gouvernants.
A ce propos, la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités dispose en son article 53 que : « Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère. »
En d’autres termes, toute disposition d’un traité que des gouvernants peuvent être contraints d’appliquer au détriment du bien de leurs peuples est nul. En conséquence, sont nulles toutes dispositions du Traité de la CEDEAO qui obligeraient les pays membres à laisser en place des gouvernants défaillants.
Ensuite, il faut le dire, les textes de la CEDEAO prévoient bel et bien des sanctions judiciaires et politiques à l’encontre des gouvernants défaillants. Les dispositions communautaires n’ayant pas défini les obligations dont la non-application ou le non-respect par les Etats membres et les gouvernants expose à des sanctions, la 40èmesession ordinaire de la conférence des chefs d’Etat et de gouvernement a adopté l’acte additionnel a/sa.13/02/12 du 17 févriers 2012 portant régime des sanctions à l’encontre des Etats membres qui n’honorent pas leurs obligations vis-à-vis de la CEDEAO. Entre autres obligations à la charge des gouvernants, l’acte énumère à l’article 2 :
« iv) la protection et le respect des droits de l’Homme, de l’Etat de droit, de la démocratie et de l’ordre constitutionnel;
- v) l’interdiction d’adopter des mesures et attitudes contraires à la gouvernance démocratique et au respect de l’Etat de droit ou susceptibles de constituer soit une menace grave a la paix et a la sécurité régionale soit des violations graves et massives des droits de l’Homme ou de déclencher un désastre humanitaire…. »
Des sanctions judiciaires et politiques sont prévues à l’Acte et le point 3 de l’article 1er dispose que « les décisions de la Cour de Justice de la Communauté ont force obligatoire à l’égard des Etats membres. »
Le point 3 de l’article 4 ajoute que « Pour qu’elles soient efficaces, les sanctions à appliquer à l’encontre des Etats membres visent la création des conditions du retour à un processus constitutionnel normal, lorsqu’elles sont par exemple mises en œuvre en cas de rupture de la démocratie. Elles visent aussi à permettre la réparation d’un tort ou la reconnaissance d’un droit qui a été nié à un citoyen, alors que ce droit lui a été conféré par un acte obligatoire. Les sanctions ont également pour buts de renforcer la Communauté et de la rendre plus performante. »
La bonne gouvernance et l’obligation de protection des populations sont des obligations prescrites par les textes de la CEDEAO et de toutes les organisations internationales, avec à sa tête les Nations unies. A la lecture, nous convenons tous que ces obligations ci-dessus citées ne peuvent être qu’à la charge des personnes qui gouvernent effectivement. Ceux-ci peuvent donc bien être sanctionnés par la CEDAO lorsqu’ils sont en faute. Mais en ne se fondant que sur la notion de changement anticonstitutionnel pour en sanctionner les auteurs, la CEDEAO a occulté les graves insuffisances de gouvernance qui le provoquent.
On parle de l’autorité d’une personne ou d’une institution pour signifier qu’on lui fait confiance, qu’on accueille son avis, ses suggestions ou injonctions avec respect, ou du moins sans hostilité ni résistance, et qu’on est disposé à y déférer. Il y a autorité quand un pouvoir bénéficie d’un capital de confiance et quand les individus sur qui le pouvoir s’exerce lui conservent leur confiance. Ce pouvoir est alors perçu comme légitime et il acquiert l’autorité de ce qui échappe à la contestation. L’autorité de la CEDEAO et de ses décisions sont remises en cause. L’institution doit se résoudre à appliquer le droit communautaire avec équité pour la survie même de l’espace et pour en faire une Communauté des peuples membres.
Un autre point important à relever dans la décision de la CEDEAO est le niveau de représentation des pays participants au sommet du 25 mars 2022. Leur disparité détone avec l’exigence de participation imposée au Mali. En effet, invité à participer audit sommet en personne, il a été refusé au Président Assimi Goïta du Mali de se faire représenter par une délégation conduite par le Ministre des affaires étrangères au prétexte que le sommet est prévu en huis clos entre chefs d’Etat. Cet argument ne tient pas, dès lors que certains Chefs d’Etat ont été représentés par des personnalités à égalité de qualité avec le représentant attitré du Président Malien, et même de moins importantes dans l’ordre de préséance.
Ainsi, la Gambie et le Nigéria ont été représentés par leurs vice-présidents. Le Cap-Vert a été représenté par son Ministre des affaires étrangères tandis que la Côte d’Ivoire a été représentée par le Directeur de Cabinet du Président Ouattara et le Togo par le Conseiller Spécial du Président Faure. Le Libéria et la Sierra Léone ont été représentés respectivement par leurs ambassadeurs au Nigéria et au Ghana.
Ce traitement inégal et non équitable de la CEDEAO a sans doute fait perdre au Mali une chance d’exposer sa vision de la situation nationale face aux Chefs d’Etat de la Communauté. La CEDEAO a manqué de cohérence et doit réserver un autre traitement à ces pays pour la survie même de l’institution communautaire.
Deuxième point : le contexte et la substance des décisions de la CEDEAO
A l’examen du rapport de la mission ministérielle au Burkina Faso présenté par S.E. Mme Shirley AYORKOR BOTCHWEY, Ministre des Affaires étrangères du Ghana et Présidente du Conseil des Ministres de la CEDEAO d’une part, et d’autre part à l’examen du mémorandum sur les situations politique et sécuritaire au Burkina Faso, présentés par S.E.M. Jean-Claude KASSI-BROU, Président de la Commission de la CEDEAO, les Chefs d’Etat et de Gouvernement ont conclu ce qui suit :
« 19. La Conférence a exprimé sa profonde préoccupation par rapport au maintien en détention de l’ancien Président Roch Marc Christian Kaboré depuis le coup d’Etat et ce malgré plusieurs demandes pour sa libération sans condition.
La Conférence note en outre que les autorités de la transition peinent à améliorer la situation sécuritaire dans le pays et à trouver des solutions à la situation humanitaire.
- De même, la Conférence reste très préoccupée par la durée de la période de transition fixée à trente-six (36) mois par la Charte de la Transition.
- A cet égard et conformément au Communiqué du Sommet Extraordinaire du 3 février 2022, la Conférence :
- réitère sa ferme condamnation du coup d’État du 24 janvier 2022 ;
- exige la libération inconditionnelle et sans délai du Président Roch Marc Christian KABORE ;
- décide de maintenir la suspension du Burkina Faso de toutes les Institutions de la CEDEAO jusqu’au rétablissement de l’ordre constitutionnel ;
- demande la finalisation d’un chronogramme acceptable de la transition au plus tard le 25 avril 2022. Passé ce délai, des sanctions économiques et financières entreront immédiatement en vigueur
- appelle la Communauté Internationale à renforcer son appui humanitaire en faveur du Burkina Faso.
- Par ailleurs, la Conférence décide de nommer un Médiateur pour le Burkina Faso pour faciliter le dialogue entre toutes les parties prenantes et assurer une transition réussie.
- La Conférence engage les Autorités de la Transition à poursuivre les efforts en matière de sécurité. Elle appelle les États membres et la Commission d’accompagner les autorités de la Transition dans leurs efforts de sécurisation du pays.
- Enfin, la Conférence appelle l’Union Africaine, les Nations Unies et tous les partenaires bilatéraux et multilatéraux à continuer de soutenir les mesures de la CEDEAO au Mali, en Guinée et au Burkina Faso afin de maintenir la paix et la stabilité dans la Région. »
Trois décisios appellent de ma part à des observations :
L’exigence de la libération inconditionnelle et sans délai du Président Roch Marc Christian KABORE
L’ancien Président Roch Marc Christian Kaboré vient de quitter le pouvoir dans les conditions que l’on sait. Le Burkina Faso n’a jamais enregistré autant de morts et de déplacés internes que sous son magistère. Jamais les libertés n’ont été autant violées que durant les 6 ans de sa gouvernance. Les lois pénales ont été modifiées pour mieux museler les opposants. Les proches du régime de l’ancien Président Compaoré ont souffert le martyr sous son mandat. A titre d’exemple, les anciens députés dont les domiciles et biens privés ont été incendiés en 2014 attendent encore la reconnaissance de leurs droits à réparation. Mais qu’à cela ne tienne. L’Etat de droit a ses exigences. L’ancien Président Roch Marc Christian Kaboré doit s’estimer heureux de bénéficier des bienfaits de l’Etat de droit que son régime a refusé à d’autres Burkinabè durant 6 ans. Il est du devoir des autorités de la Transition d’examiner les modalités de sa libération.
Mais sa situation ne devra pas être examinée de façon particulière et isolée. L’ancien Président Blaise Compaoré et beaucoup d’autres dignitaires de son régime, dont l’opératrice économique Alizèta Ouédraogo dite Gando demeurent en exil depuis 2014 sans possibilité de rentrer au pays malgré leurs sollicitations multiples, sans qu’on puisse leur reprocher d’infractions. Il en est de même de l’ancien Premier ministre Issack Zida. Préalablement à la mise en liberté de Monsieur Roch Marc Christian Kaboré, son prédécesseur Monsieur Blaise Compaoré et ces autres citoyens Burkinabè en exil depuis 7 ans doivent pouvoir rentrer au pays sans condition, à charge pour la justice d’engager éventuellement des poursuites contre eux, dans le respect des droits de la défense.
La finalisation d’un chronogramme acceptable de la transition au plus tard le 25 avril 2022, sous peine de sanctions économiques et financières
Il est important de situer le contexte de la Transition du Burkina Faso. En effet, la Charte de la Transition a été amendée le 28 février et 1er mars 2022 par les représentants des forces vives du Burkina Faso et a été signée dans la foulée par le Président Damiba. A la veille de ce processus d’envergure nationale, consensuelle et inclusive, deux chefs d’Etas de la CEDEAO, en l’occurrence le Ghanéen et le Bissau guinéen ont annulé la visite qu’ils devaient effectuer au Burkina Faso. Et cette visite survenait plus d’un mois après la prise de pouvoir par le MPSR. Dans cet intervalle, un sommet de la CEDEAO a eu lieu qui s’est limité à suspendre le Burkina Faso de ses instances. Si la CEDEAO envisageait de fixer des délais préfix à la transition du Burkina Faso dans la conduite de la transition, il aurait fallu le lui notifier dès ce moment.
Mais en enjoignant au Burkina Faso la finalisation d’un chronogramme acceptable de la transition ce 25 mars seulement, cela revient à rejeter l’agenda adopté le 1er mars dans le sillage de la Charte de la Transition. La CEDEAO prend le risque de déprogrammer les autorités de la transition et de suite, de les affaiblir dans le déroulement des processus prévus.
Ensuite, la modification de la durée de la transition à la baisse n’aura d’autre effet que de perturber la mise en œuvre de l’agenda. L’ajustement de la durée de la Transition de 30 à 36 mois résulte de la volonté des forces vives au cours des assises nationales d’amendement et d’adoption des projets de textes. Ayant approuvé et adopté son agenda, les forces vives ont jugé que la Transition aura besoin d’un temps moyen de 36 mois pour enraciner les axes stratégiques dans le paysage avant qu’un processus constitutionnel puisse reprendre avec des chances certaines de pérenniser. En 2014, les acteurs ont accepté une transition d’un an sans régler des préalables indispensables à une gouvernance apaisée. Sept (7) ans après, l’éviction du Président Roch Marc Christian Kaboré rappelle à tous la nécessité de régler ces préalables dont le pays ne saurait faire l’économie. Les grandes orientations stratégiques de l’agenda de la Transition sont la traduction écrite de ces préalables. Il est donc souhaitable d’accompagner le Burkina Faso dans ses choix au risque de laisser les problèmes majeurs dont les gouvernants post-transitionnels auront du mal à solutionner.
L’appel à la Communauté Internationale à renforcer son appui humanitaire en faveur du Burkina Faso et aux États membres et la Commission d’accompagner les autorités de la Transition dans leurs efforts de sécurisation du pays.
L’appel à la Communauté Internationale et aux États membres et la Commission à renforcer leur appui humanitaire et à accompagner les autorités de la Transition dans leurs efforts de sécurisation du pays fait corps avec la responsabilité de protéger qui s’entend comme l’obligation juridique pour chaque État, de protéger sa population, accessoirement assisté ou suppléé par la communauté internationale. Le Burkina Faso attend la concrétisation de ces soutiens ;
Enfin, j’ai bon espoir que le Médiateur qui sera nommé sera à l’écoute de nos autorités et de toutes les parties prenantes pour que cette transition puisse léguer aux générations futures un Burkina Faso apaisée et réconciliée.
Je vous prie d’agréer, Excellence Monsieur le Président, l’hommage de mon profond respect. »
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