Pourquoi la famille Sankara ne se rendra pas aux inhumations des restes de Thomas Sankara et de ses compagnons, si elle doit se tenir dans un endroit qu’elle a toujours refusé ?
Dans un communiqué publié le 5 février 2023, signé la famille Sankara on peut lire « .. le lieu d’inhumation des restes de Thomas Sankara vient de nous être imposé sans autre forme de discussion consensuelle. Pour ce fait, nous sommes au regret d’informer que nous ne
participerons pas à l’organisation des cérémonies et ne serons pas présents aux inhumations » conclut un communiqué publié 5 février, signé de la « famille de Feu Thomas Sankara » !
Grave décision, courageuse et très douloureuse de la famille. Mais pouvait-il en être autrement ?
Comment en est-on arrivé là ?
En réalité, cette proposition vient de l’équipe dirigeante du mémorial Thomas Sankara[1]. L’initiative de ce projet en 2016 revient au ministre de l’époque Tahirou Barry, disparu depuis dans les méandres de la politique interne burkinabè. Il avait cependant réussi à entrainer avec lui quelques leaders de la jeunesse locaux. En démissionnant, un an et demi après, du gouvernement, il démontrait aux yeux de tous qu’il considérait cette initiative comme un marche pied dans sa carrière politique ce que ceux qui l’avaient suivi clamaient pouvoir absolument éviter. Excluant pourtant alors les leaders des partis sankaristes pour éviter toute manipulation politique. Qu’elle cohérence ?
On se rappelle que le juge Yaméogo avait été nommé pour mener l’instruction courant mars 2015. Très rapidement il ordonnait l’exhumation des corps des personnes assassinées le 15 octobre, pour les identifier et procéder à une autopsie. Tous étaient alors enterrés au cimetière de Dagnoen, à Ouagadougou où se tenait, tous les ans une cérémonie, au caractère militant. Le seul moment où les partis sankaristes évitaient les querelles qui ont fini par les déconsidérer.
La question de leur inhumation allait donc se poser. Les corps devaient cependant rester à la disposition de la justice jusqu’à la clôture du dossier judiciaire.
L’équipe qui a pris la direction du Mémorial a choisi le lieu du conseil de l’Entente où avaient été assassinés Thomas Sankara et douze de ses compagnons. Ce lieu était alors fermé au public et n’avait guère été utilisé depuis les assassinats, si ce n’est visité pour en retirer rapidement sans doute des documents. Les villas étaient restées intactes mais pas entretenus. Des restes de matériel militaire y étaient encore entreposés dans la cour.
Pour les dirigeants de l’équipe du Mémorial, il allait de soi, que cet endroit devait accueillir la dépouille de Thomas Sankara au Conseil de l’entente. De même qu’il allait de soi pour eux, que s’étant auto- proclamé les héritiers de Thomas Sankara, il leur revenait aussi le droit de décider où devait être déposée la dépouille de Thomas Sankara. Ils n’en ont jamais douté. Et n’en ont jamais dévié.
Une fausse concertation
Dès le 15 octobre 2017, après avoir salué l’initiative, Mariam écrivait dans un communiqué : « Toutefois, la famille tient à ce que ce mémorial ne soit pas construit dans l’enceinte du Conseil de l’Entente qui rappelle de douloureux souvenirs en raison des assassinats et des tortures qui ont marqué ce lieu. » Un argument qui est resté toujours le même et qui n’a jamais varié. A cette époque les projets architecturaux grandioses, qui ont émergé plus tard n’existaient pas.
Ayant refusé de m’associer à cette initiative, considérant qu’au moins au démarrage, elle devait rester totalement indépendante du gouvernement, mais y accordant toutefois une attention particulière je demandais très régulièrement à l’un des responsables où en était l’état des discussions avec la famille Sankara. A chaque fois il me disait que c’était en bonne voie de règlement. Sans doute disait-il la même aux autres membres du Mémorial. Pourtant, à chaque fois que j’allais au Burkina, à peu près une fois par an, je prenais soin de me renseigner auprès de la famille à Ouagadougou qui répondait invariablement la même chose. C’est bloqué. Une mission de conciliation a même été créée qui semblait ne pas avoir d’autre mission que de faire céder la famille. Sinon nous n’en serions certainement pas au point de blocage où on en est aujourd’hui.
L’équipe dirigeante du Mémorial n’envisageait comme issue qu’un changement de position de la famille. Ce qui est non seulement très présomptueux, mais surtout très mal connaitre la famille. J’ai même eu des récits de réunions ou participaient un(e) ou plusieur(e)s membres de la famille Sankara avec le Mémorial durant lesquelles s’affichait un mépris pour la famille de la part d’un groupe de jeunes qui semblaient faire le jour et la nuit dans l’équipe. C’est d’eux dont parle Mariam Sankara ainsi dans une interview à la radio allemande Deutsche Welle : « … ceux qui aujourd’hui défendent l’idée du Mémorial, ce sont des personnes qui n’étaient pas nées [à l’époque]. »
L’argument est toujours le même. « Thomas Sankara nous appartient, il appartient au peuple burkinabè ». Mais pour l’équipe du Mémorial, il appartient dans doute plus au peuple burkinabé qu’à la famille puisqu’ils pensent inutiles de trouver une solution commune. Ce à quoi Mariam Sankara répond : « Thomas est né dans une famille, a grandi dans une famille, a une épouse, des enfants. Ces personnes sont sentimentalement liées à Thomas. Depuis le 15 octobre 1987, nous sommes impactés par ce qui s’est passé. Donc nous restons sensibles à tout ce qui le concerne ».
C’était à peu près la situation lors de l’ouverture du procès. Pour le Mémorial, la famille doit comprendre… Il ne semble pas avoir été envisagé, il ne semble pas avoir été envisagé que l’équipe du Mémorial pouvait, elle comprendre… A part quelques individus l’équipe du Mémorial n’a pas cessé de changer, certains se retiraient, d’autres y entraient.
Un coup de force
A l’issue du procès, une réunion des familles se tient le 10 avril. Elles s’accordent pour demander l’exclusion du Conseil de l’Entente, de la place de la Révolution et les cimetières communs.
Pendant tout ce temps, les responsables du Mémorial se sont rapprochés des familles et n’ont cessé de tenter de les convaincre, les rencontrant, les appelant au téléphone, semant même parfois la zizanie au sein des familles. Ils n’ont cessé de faire du lobbying auprès des gouvernements qui se sont succédés, donnant l’occasion à Roch Marc Christian Kaboré de venir déposer des gerbes de fleurs sur la statut au cours de cérémonies officielles. Lui qui est resté si longtemps fidèle à Blaise Compaoré, occupant tous les postes les plus importants de son régime, Président du parti, premier ministre, président de l’assemblée nationale, pour ne rentrer dans l’opposition à la suite d’une scission qu’un an avant l’insurrection ! On comprend que le sankarisme ne soit plus une notion bien claire au Burkina.
Le procès s’est terminé dans une période où la guerre avait pris de l’ampleur, devenant la préoccupation première des Burkinabé. Roch Marc Christian Kaboré qui était arrivé au pouvoir alors que l’enquête était déjà commencée montrait de plus en plus la volonté d’organiser une réconciliation afin de favoriser le retour de Blaise Compaoré au Burkina, comme il l’avait promis lors de sa deuxième campagne électorale.
Puis sont arrivés deux coups d’Etat. Les deux militaires à la tête des deux transitions successives ont montré la volonté d’organiser rapidement les inhumations des victimes du 15 octobre, le premier pour pouvoir faire revenir Blaise Compaoré au pouvoir, le deuxième pour se consacrer à la guerre contre le terrorisme.
Le président de la précédente transition, Paul Henri Damiba, avait refusé que les inhumations se fassent au Conseil de l’Entente du fait que ce lieu n’appartenait pas entièrement au Burkina, semble-t-il.
Pour un évènement à la forte portée symbolique, comme pour sa résonance à l’international, la précipitation est-elle la méthode adéquate ? C’est en tout cas, la méthode choisie par les autorités du pays.
Lors d’une lors d’une réunion avec les familles, le 29 décembre, les militaires chargés de l’organisation des inhumations, ont déclaré souhaiter organiser les inhumations en janvier, dans les 15 jours, et ont demandé en famille de leur proposer rapidement un lieu. Le 30 décembre, les familles se sont réunies et ont proposé le monument des martyrs comme lieu d’inhumation. Elles ont aussi demandé un délai de 3 mois afin que les membres des familles qui se trouvent à l’étranger puissent se préparer. Là-dessus, certains membres des familles ont écrit une lettre dans la précipitation rendant compte de leur décision.
Le 22 janvier, les autorités miliaires organisent une nouvelle réunion avec les familles, cette fois en présence de chefs coutumiers et de représentant de la mairie, et de membres du Mémorial ! Ils annoncent l’impossibilité d’une inhumation au monument des martyrs et imposent sans autre forme de procès, le site du conseil de l’entente, parce que : « c’est le Conseil de l’entente qui est approprié et que les inhumations ne peuvent pas se faire au Monument des martyrs – parce que le plan du Mémorial a prévu la place de l’inhumation au Conseil de l’entente », comme le rapporte Mariam Sankara dans son interview à Deutsche Welle. Mariam Sankara, présente par visio, est alors empêchée de s’exprimer. Les deux membres de la famille quittent alors la réunion. Autrement contrairement à ce que dit le gouvernement dans son communiqué, il n’y a pas du tout eu consensus, comme l’a confirmé Aidé Kiemdé, fille de Frédéric Kiemdé assassiné aussi le 15 octobre 1987 à radio omega.
Il est possible de trouver une solution consensuelle
L’absence de la famille Sankara et d’autres familles de victimes, à l’inhumation des restes des personnes assassinées le 15 octobre 1987, serait un évènement particulièrement dramatique. Pour elles en premier lieu, pour le peuple burkinabé et pour le gouvernement. Cet évènement sera observé largement commenté à l’international.
Les familles ont déjà largement vécu leur lot de douleur. Elles méritent la considération et le respect. Proposer ce lieu, allait au-devant de la division entre elles. Cela ne va pas dans le sens du rassemblement des Burkinabè en proie à la guerre. C’est de concorde, de rassemblement d’unité dont ils ont besoin. Quant à nous qui sommes à l’extérieur, il est impossible de comprendre qu’un accord ne soit pas possible.
Tout reste possible. Il suffirait que les militaires en concertation avec la mairie proposent d’autres lieux dans cette vaste ville de Ouagadougou, dont ils auraient au préalable vérifié la viabilité et qu’elles les proposent aux familles. Nous avons vu que se sont tenues deux réunions récentes des familles, sans autres personne extérieure, à l’issue de laquelle les familles s’étaient mises d’accord. N’est-ce pas la voie de la raison et de la concorde ? Pourquoi une telle précipitation pour un évènement attendu depuis de très nombreuses années ?
Bruno Jaffré
[1] Nous n’allons pas reprendre ici l’historique du mémorial, mais vous trouverez à .https://www.thomassankara.net/?s=Memorial+ un certain nombre d’articles d’informations ou de prises de position.