Assise sur un tabouret, calme, le regard perdu, Aïssata, d’une voix nouée de chagrin, dit regretter d’avoir interrompu volontairement sa grossesse, fruit d’un viol. Elle ne regrette pas l’acte, mais le fait de l’avoir fait clandestinement. Aujourd’hui, elle se souvient toujours des douleurs intenses qu’elle a eues et revoit le sang qui «coulait» lors de la pratique de l’avortement. Aïssata est le nom d’emprunt que nous donnons à notre interlocutrice qui a bien voulu se confier à Wakat Séra, sous le couvert d’anonymat.
Violée alors qu’elle rentrait chez elle, dans un quartier non-loti de Ouagadougou (Bissighin), après une soirée dans un maquis, Aïssata s’est rendue compte qu’elle était tombée enceinte un mois après, alors qu’elle trainait toujours le traumatisme du viol dont les auteurs se sont évanouis dans la nature.
«Je suis allée faire la fête avec des amies. C’était en 2011. Il se faisait tard et mes amies voulaient continuer à s’amuser, donc j’ai décidé de rentrer seule (long silence). C’est là que j’ai été accostée par deux hommes. Ils m’ont conduite de force dans une maison inachevée et là … ils, ils, un des hommes était arrêté et l’autre m’a violé», a relaté Aïssata tout en balbutiant, écrasant quelques fois des larmes sur ses joues qui traduisent la peine subie au cours du viol.
Elle affirme avoir caché l’acte de viol à ses parents qui, selon elle, «n’allaient pas être tendre» avec elle s’ils l’apprenaient. «Quand je me suis rendue compte que je suis enceinte, cela m’a bouleversée. Je ne savais pas quoi faire. J’en ai parlé à une amie qui m’a conseillé d’avorter. Ça n’a pas été simple…», a confié la jeune dame de 36 ans, à l’équipe de Wakat Séra. Pour l’avortement, accompagnée de son amie, elles sont allées chez un homme, dit-elle sans plus de précisions. «On m’a fait boire une tisane et il a introduit quelque chose dans mon sexe. Ça me faisait très mal. Le sang a coulé et après, il nous a dit que c’était fait. La douleur a persisté pendant plusieurs jours. Mais j’ai tout fait pour ne pas que mes parents s’en rendent compte», se souvient Aïssata.
Des causes des avortements
Il n’a pas été facile pour nous de convaincre Aïssata à partager son vécu. D’abord un refus catégorique, puis des hésitations après notre insistance. Après l’avoir mis en confiance, nous obtenions un premier rendez-vous qui finalement n’a pas prospéré. Et un deuxième rendez-vous manqués. Le troisième a été finalement le bon. Parfois, lors de l’entretien, les yeux levés vers le ciel, tout semblait faire croire que la jeune dame implorait Dieu pour avoir la force de parler de sa situation.
Comme Aïssata, elles sont nombreuses celles qui ont des grossesses non désirées et qui se paient les services d’un avorteur dans la clandestinité.
Au Burkina Faso, selon l’annuaire statistique, il ressort qu’en 2017, « 40 988 avortements ont été enregistrés et plus de 34 000 en 2018 » et les raisons sont, notamment, des contraintes sexuelles ou viol, problèmes de santé mentale ou physique, abandon ou relation instable et problèmes financiers. La plupart de ces avortements ont été faits de façon clandestine et très peu sont les femmes qui se sont référées à des centres de santé pour pratiquer l’avortement médicalisé.
VIDEO-Témoignage d’un cas d’avortement
L’avortement médicalisé est celui pratiqué par des personnels de santé qualifiés, avec le bon matériel, suivant une technique correcte et des normes sanitaires rigoureuses.
Ce genre d’avortement «est légalisé au Burkina Faso en vue de préserver la vie et la santé de la femme, en cas de malformation grave du fœtus et en cas de viol ou d’inceste», explique la juriste Awa Yanogo, coordonnatrice de la Communauté d’Action pour la Promotion de la Sante Sexuelle et Reproductive au Burkina Faso (CAPSSR-BF), qui a fait savoir qu’une fille ou une femme qui se trouverait dans l’une de ces cas et qui remplirait les conditions, pour bénéficier de l’avortement, devrait suivre les procédures édictées par les textes.
VIDEO-Les textes juridiques encadrant l’avortement médicalisé
Tout avortement peut avoir des conséquences, mais celui comportant des conséquences redoutables sont les avortements provoqués clandestins, soutient le gynécologue obstétricien, le Dr François Xavier Kaboré, vêtu de sa blouse blanche, au cours d’un entretien avec une équipe de Wakat Séra.
Les conséquences sont, entre autres, des saignements, un traumatisme du col ou du vagin, une perforation de l’utérus, des infections, la stérilité et même la mort.
En plus de ces conséquences les avortements clandestins peuvent provoquer des séquelles psychologiques, le regret après l’acte qui peut suivre la femme durant toute sa vie, la dépression mentale et un sentiment de culpabilité.
VIDEO-Les conséquences de l’avortement avec le Dr Kaboré
Pour le gynécologue obstétricien, le Dr François Xavier Kaboré, le meilleur moyen d’éviter ces conséquences, c’est de faire l’avortement médicalisé légal. «Beaucoup de gens font des avortements provoqués clandestins parce qu’ils ne savent pas que la loi autorise certains avortements», déplore-t-il, plaidant pour la formation des agents de santé en la matière et à la sensibilisation de la population sur l’existence d’un cadre règlementaire et légal bien définit sur l’avortement.
De plus en plus, des associations et organisations non gouvernementales mènent des sensibilisations sur les Droits en Santé Sexuelle et Reproductive et œuvrent à la vulgarisation des textes juridiques sur l’avortement médicalisé. Beaucoup sont celles qui plaident pour l’assouplissement des textes afin de permettre à des personnes qui sont dans le besoin d’en bénéficier.
Par Daouda ZONGO