Les prisons du Cameroun sont débordantes. Le nombre de détenus est très largement au dessus de leur capacité d’accueil. Il est découle une atteinte aux droits de l’homme importante. Dans son article publié en collaboration avec Libre Afrique Chofor Che, cofondateur du Centre centrafricain pour la pensée et l’action libertaires. Le 19 août 2019, explique le problème. Du manque de moyens financiers à la mauvaise gestion des prisons, la liste est longue. Si l’on rajoute que 2/3 des prisonniers attendent leur procès alors qu’1/3 seulement est réellement condamné, on comprend le malaise dans les prisons. Le Cameroun a avant tout besoin d’Etat de droit !
Des centaines de détenus ont organisé des émeutes à la prison centrale de Kondengui Yaoundé et à la prison de Buea dans la région du Sud-Ouest du Cameroun. La mutinerie de juillet 2019, principalement orchestrée par des détenus arrêtés suite à la crise anglophone, réclamant de meilleures conditions de vie, a déclenché des incendies dans les prisons déjà encombrées. Les forces de l’ordre ont tiré des coups de feu pour réprimer les émeutes. Pourquoi une telle congestion des prisons et comment s’en sortir?
Résorber le déficit des infrastructures pénitentiaires
Selon un rapport publié en 2017 par World Prison Brie et les conclusions du ministère de la Justice, la population carcérale au Cameroun, y compris les personnes en détention provisoire, s’établirait à 30 701. Ce nombre a considérablement augmenté, principalement en raison de la situation sociopolitique. La crise dans les régions anglophones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest a éclaté à la fin de 2016 et s’est transformée en conflit armé entre les forces gouvernementales et les groupes séparatistes, ce qui a entraîné de nombreuses morts mais également de nombreuses arrestations. Un rapport de Human Rights Watch datant de 2018 indique que le pays ne dispose que de 79 établissements pénitentiaires pour accueillir tous ces prisonniers, y compris les femmes, les mineurs et les étrangers. Ces établissements datant principalement de l’époque coloniale, d’une capacité prévue de 17 915 personnes, comptaient plus de 30 000 détenus en juin 2018.
Aujourd’hui, leur nombre est supérieur.
Ce déficit quantitatif et qualitatif des infrastructures pénitentiaires au Cameroun est le résultat d’un manque de fonds pour construire des prisons, recruter les ressources humaines nécessaires et pour assurer la prise en charge des prisonniers dans des conditions dignes. Toutefois, en plus du manque de moyens, il faut souligner la mauvaise gouvernance, les détournements, la gabegie et l’incompétence des responsables de la gestion des ressources existantes, ce explique la dégradation structurelle des prisons au Cameroun.
Le ministre camerounais de la Justice, Laurent Esso, a chargé les administrateurs judiciaires et les autorités pénitentiaires de faire des suggestions pour améliorer le statu quo. Mais plus que des promesses, le Cameroun a besoin d’actes. Les pouvoirs publics doivent améliorer les conditions de vie des détenus en trouvant des moyens et des formules afin de financer l’investissement dans les infrastructures pénitentiaires. De même, la sous-traitance de certaines fonctions au privé permettrait de mieux rationaliser les fonds, et d’améliorer les conditions de détention dans ces établissements. Mais ce n’est pas suffisant, car il faut assécher la source du mal!
Trouver une solution définitive à la crise anglophone
Si l’état vétuste des prisons camerounaises ne date pas d’aujourd’hui, la crise anglophone a aggravé le nombre de pensionnaires en raison de procès politiques. Tant que le gouvernement adoptera une approche répressive, le nombre de prisonniers est appelé à croitre. Par ailleurs, il est possible que le gouvernement laisse les prisons dans leur état dégradé de manière à punir davantage les prisonniers politiques. Le gouvernement ne peut pas continuer à procéder à des arrestations massives de prisonniers politiques tout en sachant bien que les prisons sont déjà en sureffectif. Par conséquent, il est très important d’organiser un dialogue inclusif afin de rechercher une solution à la crise anglophone. Il s’agit de trouver des réponses à l’exclusion socio-économique de la région anglophone. Ceci implique une gestion plus décentralisée et l’offre d’opportunités en matière d’éducation et d’emploi.
Réformer le processus judicaire
La prison centrale de Ngaoundere, dans la région du nord de l’Adamaoua, avait été conçue à l’origine pour accueillir 500 détenus. Au 19 juin 2018, la prison en comptait 1600, dont plus des deux tiers n’avaient été déclarés coupables d’aucun crime. Un tiers des détenus étaient en attente de procès, les audiences avaient commencé pour un autre tiers et seulement un tiers avait été condamné. Cet exemple illustre que les dysfonctionnements du système judiciaire sont également à l’origine de la congestion des prisons. D’où la nécessité d’accélérer les jugements des tribunaux, revoir la législation et les procédures légales régissant les peines d’emprisonnement. Par exemple, l’article 584 du code de procédure pénale dispose que «Le président du tribunal de grande instance du lieu d’arrestation ou de détention d’une personne, ou tout autre juge de la juridiction de son tribunal désigné par lui, est compétent pour recevoir des requêtes de libération immédiate, si jamais il est constaté l’illégalité d’une arrestation ou d’une détention ou le non-respect des formalités prescrites par la loi ». Toutefois, et en dépit de cette loi, les détenus restent indéfiniment en détention provisoire. Il est nécessaire de revoir les mécanismes d’application de cette loi afin de permettre aux détenus d’être jugés rapidement et équitablement.
De même, la loi camerounaise n°2014/028 relative à la répression des actes de terrorisme était une initiative bienvenue pour lutter contre Boko Haram dans le nord du pays. Cependant, son atteinte potentielle aux droits de l’homme est effectivement une source d’inquiétude. Il est impératif d’en préciser les contours et d’encadrer l’application de cette loi pour qu’elle ne soit pas instrumentalisées à des fins politiciennes.
En sus de la réhabilitation de l’état de droit, il est très important d’aménager les peines afin de décongestionner les prisons. En ce sens, pour les crimes mineurs, la conversion de leurs sanctions en travaux d’intérêt général permettrait d’avoir des prisons moins encombrées.
Au final, le gouvernement serait bien inspiré de penser surtout à limiter les crimes à la source. À cet égard, l’État doit encourager l’entrepreneuriat et investissement privé afin de créer plus de richesses et d’opportunités d’emplois susceptibles d’intégrer les populations camerounaises. L’allégement de la pression fiscale, le renforcement de la sécurité juridique, la réduction des tracas administratifs, autant de mesures urgentes à entreprendre afin que le climat des affaires soit propice à l’inclusion socio-économique. La décongestion des prisons n’est pas que politique et juridique, mais aussi économique.