Dans cet article qu’il a écrit le 21 mai depuis Paris où il vit, le militant du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), Jacques Batiéno, pense justifié tout le bien qui est dit sur le dernier congrès du parti de l’ancien président du Faso, Blaise Compaoré. Toutefois, il dit être resté sur sa faim, car selon lui, c’est d’«une démocratie en demi-teinte» que ce rassemblement du 5 mai a accouchée.
Le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) a achevé son congrès il y a quelques jours dans l’euphorie générale d’un satisfecit démocratique. C’est du moins ce que nous avons pu voir et entendre lors des diverses expressions publiques non seulement de la part des congressistes eux-mêmes, mais aussi de la part de l’ensemble de la planète CDP. Maintenant que le soufflé est retombé, et avec le recul qui sied à tout esprit critique objectif, il est possible de procéder à une analyse épistémique de ce congrès, quant à son aspect démocratique dont on a largement fait, sans doute à bon droit, le panégyrique.
La démocratie n’est pas l’apanage de l’Etat. Elle est aussi une exigence pour tout individu et pour toute organisation humaine qui se veut humaniste. Dans cette optique, elle concerne également les partis politiques, et tout parti politique digne de ce nom se doit de construire son fonctionnement à l’aune de ce modèle. C’est l’objectif que s’est donné le CDP, et ce congrès était l’occasion d’en faire la démonstration. Or, ce congrès a-t-il répondu à cette attente démocratique? Le CDP n’est-il pas, finalement, resté au milieu du guet?
«Ce congrès (…) fut doublement une réussite»
Ce congrès, à n’en pas douter, fut doublement une réussite. D’abord par sa tenue, car cela n’était pas gagné. Ensuite par le monde qu’il a mobilisé, montrant toujours la vitalité du parti. Il faut donc féliciter tous ceux qui ont permis la réalisation de cette belle œuvre.
Une chose constituait le point de mire de ce congrès, la désignation du nouveau président du parti. Sur ce plan aussi, on peut estimer que l’objectif a été globalement atteint, que l’honneur est sauf, car nous avons un président élu «démocratiquement» s’il en est, après l’échec de la désignation par consensus. Ce mode d’élection, dont on a largement fait l’éloge et qu’il faut encore saluer, constitue en effet une grande première au Burkina Faso pour un grand parti politique.
En agissant ainsi, le CDP a fait un pas important dans le processus de démocratisation de son fonctionnement. Néanmoins, et il est important de le faire remarquer, ce pas en avant ne doit pas être un dernier pas, car on peut s’interroger sur le degré de «démocraticité» de l’acte qui a été posé par la CDP lors de l’élection de son président.
Théoriquement, la démocratie est le gouvernement du peuple. Mais, de fait, cela ne veut rien dire, car, on le sait, le peuple n’a pas directement les rênes du pouvoir. C’est une équipe dirigeante qui le fait au nom de ce peuple considéré soit comme une abstraction, soit comme une majorité fanatisée. C’est pourquoi, l’un des critères essentiels de la démocratie est de reposer sur une constitution qui défini et limite les pouvoirs du gouvernement, en lien avec d’autres institutions autonomes que sont le législatif et le judiciaire, selon le principe de la séparation des pouvoirs.
L’autre critère essentiel de la démocratie, est l’exercice de la libre discussion à partir des libertés politiques d’association et d’expression, et l’organisation de cette discussion dans les assemblées délibératives locales régionales et nationales. Sur le plan national qui nous intéresse précisément ici, car c’est le moyen d’expression du peuple qui a une partition importante à jouer, est le parlement qui assure cette exigence démocratique. Ainsi, le peuple, à défaut d’intervenir directement dans la direction des affaires publiques, ce qui est une impossibilité pratique, donne mandat à un certain nombre de citoyens pour le faire en son nom.
Ce parlement de citoyens élus par le peuple est alors investi de deux prérogatives. La première et la plus apparente est de contrôler l’ensemble des actes gouvernementaux par le vote des lois et du budget. La seconde, moins apparente sans doute mais tout aussi importante, est de représenter précisément le peuple. Le gouvernement a alors devant lui l’image réduite de la nation avec ses conflits d’intérêt, ses différences de mentalités, ses contradictions idéologiques. Le parlement est, par conséquent, le peuple en miniature, et c’est lui qui fait le lien entre l’exécutif et la société.
Dans le même ordre d’idée, en référence avec ce que prévoit la constitution, si ce n’est pas le peuple qui élit directement le chef de l’exécutif (qui à son tour nomme son gouvernement), c’est le parlement qui le fait. Mais en aucune façon il n’appartient à l’exécutif de désigner son chef, car il n’en a aucune légitimité. Tel est le fonctionnement qui préside à l’esprit démocratique.
«Le CDP a raté l’occasion de se moderniser»
Appliqué à un parti politique comme le CDP, avec l’organisation structurelle qui est la sienne, il n’est pas convenable, du point de vue de la stricte démocratie, de procéder à l’élection du président par le Bureau Exécutif National (BEN) qui, précisément, est un exécutif. En tant que tel en effet, ces membres sont nommés, ce qui ne leur donne aucune légitimité pour désigner celui qui doit représenter le parti tout entier. Certes la démocratie possède ses failles et son imperfection est incontestable. Mais la démocratie ne se décrète pas, et il ne suffit pas de procéder à un suffrage universel pour poser un acte démocratique.
Lorsqu’on s’engage sur son chemin, il faut faire en sorte de s’en approcher le plus possible. Il s’agit d’adopter cette attitude épistémologique qui fait de la science non pas le lieu de la certitude, mais où l’on tente d’approcher de plus près la vérité. Dans cette perspective, j’estime que le suffrage universel trouve sa légitimité et sa crédibilité dans le collège électoral. C’est dire que pour approcher de plus près la démocratie, il est nécessaire, à défaut de faire voter l’ensemble des militants (le peuple CDP en quelque sorte), d’élargir ce collège électoral pour s’approcher le plus possible de la représentation des militants.
Dès lors, ce sont les délégués présents au congrès qui doivent constituer ce collège électoral selon des critères à déterminer. Mais, on peut imaginer que cette éventualité était techniquement difficile à réaliser, à moins d’avoir mis au point une organisation préalable, ce qui n’était pas le cas visiblement. Cette dernière possibilité étant écartée, il ne reste plus que le Bureau Politique National (BPN). Aussi, en dernière analyse, le collège électoral qui obéit à l’esprit du principe démocratique que je défends est-il le BPN. De mon point de vue donc, et d’un point de vue démocratique, il était mieux indiqué de confier l’élection du président de notre parti au BPN. Un BPN qui n’est pas difficile à réunir puisqu’il l’a souvent été avant le congrès.
In fine, je dois avouer que ce congrès m’a laissé sur ma faim, et que le CDP a raté l’occasion de se moderniser. En omettant de faire du BPN le collège électoral pour l’élection du président du parti, il est resté encore, comme écrit Tocqueville, dans « l’ancien régime » sans oser faire la révolution procédurale qu’il faut. De plus, comme pour marquer encore son attachement à ce passé conservateur, le CDP n’a pas fait la rupture avec la possibilité d’une désignation du président par consensus. Par ailleurs, on peut aussi déplorer le nombre inutilement pléthorique du nouveau BEN, qui donne plutôt l’impression d’un remplissage qui veut contenter tout le monde.
Un BEN avec une trentaine de camarades semble plus en phase avec l’esprit qui est celui d’un exécutif. Tout cela n’est pas en cohérence avec la ligne progressiste que défend le parti. Il appartient maintenant au président élu d’achever la modernisation du parti en menant jusqu’à son terme cette révolution démocratique encore inachevée, car le CDP ne doit pas s’endormir sur ses lauriers. N’ayons pas peur de la démocratie. Il ne suffit pas de s’en réclamer ou d’en rester à la simple pétition de principe. Il faut en être digne et en assumer la responsabilité. Ce qui exige du travail et une campagne pour préparer les esprits à ce changement nécessaire.
Jacques BATIENO
Militant CDP-FRANCE