Ce samedi 4 mars, ils étaient 145 Ivoiriens à regagner leur pays, fuyant le brasier de l’enfer allumé par les propos racistes et xénophobes du président tunisien Kaïs Saïed qui a oublié qu’à des moments donnés le silence est d’or. Alors que le continent africain fait face, en ce qui concerne la plupart de ses pays, dont la Tunisie, au défi de la paix et de la cohésion nationale, le président pyromane n’a pas hésité à jeter en pâture, les ressortissants des pays de l’Afrique subsaharienne vivant à Tunis et dans d’autres villes de la Tunisie. Les propos, crus et haineux, prononcés par le chef de l’Etat qui mettaient en cause les immigrés clandestins n’ont eu d’autre conséquence que de provoquer une chasse aux Noirs, à tous les Noirs, réguliers ou non. Des exactions qui ne disent pas leur nom et maintiennent terrés comme des rats dans des trous, des étudiants et des travailleurs qui ont le malheur, de ne pas être de la même couleur de peau que Kaïs Saïed et ses compatriotes.
Rudoyés, vidés de leurs maisons de location et de leurs lieux de travail, certains ne doivent désormais d’être en vie que grâce à la décision de leurs dirigeants de les ramener au bercail par le biais de rotations d’avions. Il en est ainsi de Guinéens qui ont été accueillis récemment à Conakry par le chef de la junte militaire au pouvoir en Guinée, Mamadi Doumbouya. En attendant d’autres arrivées annoncées pour les prochains jours, ce sont 145 Ivoiriens qui sont revenus à Abidjan, encore sous le choc d’une attaque sans commune mesure contre leurs biens et leurs personnes. Eux ils sont rentrés à la maison, au moment où, ironie du sort, au Burkina voisin, le compatriote de leurs si gentils hôtes devenus subitement leurs bourreaux, le réalisateur du long métrage «Ashkal», Youssef Chebbi, décrochait l’Etalon d’or de Yennenga, le plus grand prix de la biennale du cinéma africain, pour sa 28e édition.
Tout Ouagadougou et tous les acteurs du cinéma africain, sans oublier les nombreux cinéphiles burkinabè, ont alors applaudi des deux mains, l’œuvre du cinéaste tunisien que le jury présidé par la Tunisienne Dora Bouchoucha a jugé accompli. A Ouagadougou, l’art qui est sans frontière, car, sublimé, partout et par tous, n’est pas vu selon le prisme des politiques. Comme le sport, et singulièrement le football, qui rassemble tous les habitants de la planète autour d’un petit ballon rond, sur la seule valeur du fair-play, nonobstant certaines considérations politiques, le 7e Art, bien que ses productions soient rangées selon qu’elles viennent d’un continent ou d’un autre, est universel. Et c’est grâce à son ADN de beau et surtout son caractère apolitique que, depuis sa création en 1969 et son institutionnalisation en 1972, le Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), a traversé les années et les éditions sans prendre la moindre aspérité raciste.
Questions: à suivre les inepties et propos violents et haineux de Kaïs Saïed, les autorités burkinabè, voire celles de l’Union africaine, ne devraient-elles pas appliquer la réciprocité aux cinéastes tunisiens en les chassant de la fête du cinéma africain? Le Comité national d’organisation du Fespaco n’aurait-il pas dû déchoir la Tunisienne Dora Bouchoucha de son titre de présidente du jury long métrage? Bien qu’il soit de belle facture, le film «Ashkal», auquel a été décerné le prestigieux prix de l’Etalon d’or de Yennenga, méritait-il encore cette distinction du plus «grand festival de cinéma» de l’Afrique, Kaïs Saïed ne considérant pas son pays comme étant un pays africain, mais simplement un pays en Afrique, contre qui est «ourdie» une «entreprise criminelle à l’orée de ce siècle pour-en- changer la composition démographique» dans le but de le transformer en un pays «africain seulement» et lui ôter ainsi sa composante arabo-musulmane?
Non! Il ne fallait surtout pas tomber dans le piège diabolique d’un politicien en perte de vitesse et donc en quête de popularité, que dis-je de populisme, auprès de ses concitoyen! Les Africains, si l’on reste dans la logique de Kaïs Saïed, n’ont pas le droit d’écorcher la beauté de la culture et trainer le Fespaco, cette institution aux nobles idéaux panafricanistes et aux valeurs universelles, dans cette eau boueuse où ne savent nager que les populistes et gouvernants sans vision pour leurs pays, a fortiori pour le continent noir! En tout cas, c’est une belle leçon que vient de donner le Fespaco à Kaïs Saïed et certains de ses compatriotes qu’il a lancés comme des loups dans une ignoble chasse aux Noirs.
Par Wakat Séra