«Si l’Amérique ne parvient pas à jouer un rôle de chef de file dans le monde sur le plan de la lutte contre la crise climatique, il ne restera plus grand-chose du monde». C’est la conviction de la porte-parole francophone du Département d’Etat américain, Marissa D. Scott-Torres, qui a bien voulu nous accorder cet entretien réalisé à distance, dans le cadre du sommet sur le climat qui s’est tenu aux Etats-Unis, les 22 et 23 avril derniers.
Wakat Séra: Pourquoi ce sommet sur le climat, qui s’est tenu aux Etats-Unis les 22 et 23 avril, avant la conférence de Glasgow 2021 sur les changements climatiques en Ecosse?
Marissa Scott: Le sommet des dirigeants sur le climat a souligné l’urgence et les avantages économiques d’une action renforcée en faveur du climat. Il s’agit d’une étape clé sur la voie de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques (la COP 26) qui se tiendra en novembre 2021 à Glasgow. Le sommet a convoqué, à nouveau, le Forum des économies majeures sur l’énergie et le climat, dirigé par les États-Unis, et qui réunit 17 pays responsables d’environ 80% des émissions mondiales. Le président Joe Biden a invité les dirigeants de 40 pays qui font preuve d’un fort leadership en matière de climat, qui sont particulièrement vulnérables aux répercussions climatiques ou qui tracent des voies innovantes vers une économie à neutralité carbone.
Joe Biden est-il juste dans une course de mieux faire que Barack Obama et de rompre avec l’anti-climat, Donald Trump?
C’est plutôt une lutte pour la Terre et l’humanité. Le but de l’administration Biden est de restaurer le leadership de l’Amérique sur des questions qui comptent pour le peuple américain et le monde. L’Accord de Paris est un cadre sans précédent pour une action mondiale. Son objectif est à la fois simple et ambitieux: nous aider à éviter un réchauffement planétaire catastrophique et à renforcer la résilience dans le monde entier face aux conséquences du changement climatique.
Est-ce une manière pour Joe Biden de s’imposer comme le général des troupes pour sauver la planète, surtout qu’une semaine après son investiture, il a pris une batterie de mesures pour l’environnement et a nommé John Kerry comme représentant spécial pour le climat des États-Unis?
Le président Biden a fait de la lutte contre le changement climatique une priorité absolue de son administration. Il sait que nous devons nous mobiliser, comme jamais auparavant, pour relever un défi qui s’accélère rapidement et il sait que nous avons peu de temps pour le tenir sous contrôle. C’est pourquoi les États-Unis ont immédiatement rejoint l’accord de Paris et nous avons l’intention de faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que la COP 26 aboutisse à une action ambitieuse en matière de climat, dans laquelle tous les principaux pays émetteurs rehaussent considérablement leurs ambitions et dans laquelle nous contribuons à protéger les plus vulnérables. Sur le plan international, nous avons l’intention de tenir notre promesse de financement en faveur du climat, notamment en doublant d’ici 2024, notre financement climatique public annuel aux pays en développement. À long terme, l’objectif de neutralité carbone au plus tard en 2050, et le maintien d’une limite de 1,5 degré à portée de main, restent les meilleures politiques de résilience climatique et d’adaptation. Si l’Amérique ne parvient pas à jouer un rôle de chef de file dans le monde sur le plan de la lutte contre la crise climatique, il ne restera plus grand-chose du monde.
Est-ce réalisable, ou utopique, quand Joe Biden promet une réduction de plus de la moitié, des gaz à effet de serre?
C’est réalisable, car nous ne pouvons pas nous permettre le contraire. Le changement climatique et la diplomatie scientifique ne pourront plus jamais être des «compléments» de nos discussions de politique étrangère. Faire face aux menaces réelles du changement climatique et écouter nos scientifiques est au centre de nos priorités de politique intérieure et étrangère. C’est un élément essentiel de nos discussions sur la sécurité nationale, les migrations, les actions internationales en matière de santé, ainsi que de notre diplomatie économique et de nos négociations commerciales. La meilleure adaptation est de traiter la crise comme l’urgence qu’elle est, et de faire plus pour contenir l’augmentation de la température de la Terre à la valeur de 1,5 degré annoncée à Paris. Ainsi, notre réduction urgente des émissions est imposée par la conscience publique et par le bon sens. La crise climatique à laquelle nous sommes confrontés est profonde. L’ignorer aurait des conséquences cataclysmiques. Mais si nous menons par le pouvoir de notre exemple – si nous nous servons de notre politique étrangère non seulement pour amener les autres pays à s’engager à procéder aux changements nécessaires, mais pour faire de l’Amérique leur partenaire dans le cadre de la mise en œuvre de ces changements – nous pouvons transformer le plus grand défi depuis des générations en la plus grande opportunité pour des générations à venir.
La Chine semble revenir également à la volonté de faire descendre son pourcentage de pollution, tout comme le Brésil a promis, enfin, pourrait-on dire, de protéger la forêt de l’Amazonie. Quelles sont les garanties pour respecter ses promesses des États-Unis et des autres pays, quand on sait que la Chine et les États-Unis figurent parmi les plus grands pays pollueurs de la planète?
Chaque pays sur la planète doit faire deux choses: réduire ses émissions et se préparer aux effets inévitables du changement climatique. L’innovation et l’industrie américaines peuvent être au premier plan dans les deux cas. L’Amérique a un rôle clé à jouer pour atteindre cette cible. Nous ne représentons qu’environ 4 % de la population mondiale, mais nous sommes responsables de près de 15% des émissions mondiales. Cela fait de nous le deuxième plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde (après la Chine). Il est difficile d’imaginer que les États-Unis puissent gagner la compétition stratégique à long terme avec la Chine, s’ils ne sont pas à l’avant-garde de la révolution des énergies renouvelables. Mais pour le moment, nous sommes à la traîne. L’envoyé spécial du président des États-Unis pour le climat, John Kerry, et l’envoyé spécial de la Chine pour le changement climatique, Xie Zhenhua, se sont rencontrés à Shanghai les 15 et 16 avril 2021 pour discuter de certains aspects de la crise climatique. Les deux envoyés spéciaux ont publié une déclaration commune qui souligne la coopération entre eux et avec d’autres pays pour s’attaquer à la crise climatique.
Quelle sera la réaction des grands industriels américains face à l’engagement vert de Joe Biden?
Nous augmenterons considérablement nos investissements dans la recherche et le développement d’énergie propre, pour jouer un rôle de catalyseur d’avancées technologiques au profit des communautés américaines et pour créer des emplois aux États-Unis. Nos investissements climatiques viseront non seulement à promouvoir la croissance, mais aussi l’équité. Nous serons inclusifs, et veillerons à l’offre aux Américains de tout le pays – et de diverses communautés – d’emplois bien rémunérés et la possibilité d’adhérer à un syndicat. Les États, les villes, les entreprises grandes et petites, la société civile et autres, seront mobilisés à titre de partenaires et de modèles. Nous garderons aussi à l’esprit que malgré toutes les opportunités offertes par l’inévitable passage à l’énergie propre, tous les travailleurs américains ne gagneront pas à court terme. Certains moyens de subsistance et les communautés qui dépendaient de vieilles industries seront durement touchées. Ces Américains ne seront pas abandonnés. Nous offrons à nos compatriotes des voies d’accès à de nouveaux moyens de subsistance durables et un soutien tout au long de cette transition.
Le président américain a, en effet, promis la création d’emplois, de paire avec la réduction des gaz à effet de serre. Ces deux actions ne sont-elles pas incompatibles?
Le président américain a dit, et je cite, «Quand je pense changement climatique, je pense emplois». Pour vous donner une échelle, pensez que d’ici 2040, le monde fera face à un déficit des infrastructures de 4 600 milliards de dollars. La construction de ces infrastructures constitue un enjeu énorme pour les États-Unis. Pas seulement le fait qu’elle débouche ou non sur des opportunités pour la main d’œuvre et les entreprises américaines, mais aussi par son caractère écologique et durable, et la transparence de ses processus, le respect des droits des travailleurs, le droit d’expression des populations locales, et elle ne doit pas non plus enliser les gouvernements et les collectivités en développement dans l’endettement. Les États-Unis travailleront sur trois fronts pour promouvoir l’ambition, la résilience et l’adaptation. Nous tirerons parti de l’innovation américaine, des données et des informations climatiques pour favoriser une meilleure compréhension et une meilleure gestion des risques climatiques, en particulier dans les pays développés. Nous augmenterons sensiblement le flux de financement, notamment l’octroi de ressources financières à des conditions favorables, en faveur des initiatives d’adaptation et de résilience. Et nous travaillerons avec le secteur privé aux États-Unis et ailleurs, dans les pays en développement, pour promouvoir une plus grande collaboration entre les entreprises et les communautés dont elles dépendent.
Que peut attendre l’Afrique de ces sommets, elle qui paie le plus lourd tribut à cette pollution causée par l’occident?
Nous en sommes arrivés à un point où il est un fait absolu qu’il est moins coûteux d’investir pour prévenir les dégâts ou tout au moins pour les minimiser que pour les nettoyer. Les coûts de la crise climatique pèsent de manière disproportionnée sur les personnes de notre société qui peuvent le moins les assumer. Les catastrophes qui frappent les personnes vivant déjà dans la pauvreté et l’insécurité sont souvent la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et elles poussent ces gens à abandonner leurs communautés à la recherche d’un meilleur endroit où vivre. Pour l’administration Biden, l’Afrique est une priorité.
Que peuvent apporter comme contribution significative, les pays africains, pour accompagner l’engagement de Joe Biden?
Lors de son déplacement virtuel en Afrique, le 27 avril dernier, le secrétaire d’État Antony Blinken a rendu visite à des entreprises kényanes spécialisées dans les énergies renouvelables qui, grâce en partie à l’engagement du gouvernement des États-Unis, sont un modèle d’innovation en matière d’énergie propre en Afrique. Ce que nous voulons de l’Afrique est, en fait, la même chose que nous voulons du monde entier: réduire les émissions et se préparer aux effets inévitables du changement climatique. Depuis 2005 nous avons connu les 10 années les plus chaudes jamais enregistrées. 2020 a été la 2è année la plus chaude jamais enregistrée. Le premier objectif de notre politique est de prévenir les catastrophes. Nous souhaitons que chaque pays, chaque entreprise, chaque communauté parvienne à mieux réduire ses émissions et renforcer sa résilience. Le changement climatique exacerbe les conflits existants et accroît la probabilité de l’émergence de nouveaux conflits – en particulier dans les pays où les gouvernements sont faibles et les ressources rares. C’est la raison pour laquelle le gouvernement américain veut être partenaire au service de nos valeurs communes: la sécurité, le changement climatique, la démocratie, et la prospérité.
Propos recueillis par Morin YAMONGBE