L’onde de choc provoquée par le départ du président de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire va, sans doute, compliquer les calculs du président Alassane Ouattara. Guillaume Kigbafori Soro (GKS) a pris son destin en main en démissionnant, ce vendredi 8 février 2019 de la présidence de l’Assemblée nationale de Côte d’Ivoire qu’il occupait depuis 2012, sous la bannière du Rassemblement des républicains (RDR), le parti du président Alassane Ouattara. Celui qui porte bien son surnom de «Thieni gbanani» ou l’enfant prodige, a clairement signifié son désaccord avec son ancien mentor concernant la création du parti unifié Rassemblement des Houphouetistes pour la démocratie et la paix (RHDP).
Il a dit ses «gbê» (vérité crue) en partant, devenant par ailleurs, le premier Ivoirien à démissionner de la tête d’une institution qui confère le prestige et permet de vivre comme un pacha. Le député de Ferkessedougou, ville située au nord de la Côte d’Ivoire, n’a pas hésité à utiliser le même langage franc que le leader guinéen, Sékou Touré, qui, devant le général De Gaulle, a dit «Non» à la France en affirmant préférer la liberté dans la pauvreté à l’opulence dans l’esclavage. «En effet, je préfère descendre de mon piédestal, vivre et partager le quotidien de mes semblables, citoyens ordinaires, que de me complaire dans l’aisance de la posture institutionnelle», a lancé GKS, adresse qui n’est pas sans viser Alassane Ouattara et ses courtisans.
Cette démission n’est pas, en réalité, une surprise au regard de la détérioration des relations entre le chef du Parlement et le chef de l’Exécutif. Depuis 2015, Soro a senti qu’il n’était plus le dauphin « naturel», encore moins putatif de celui qu’il a aidé à accéder au pouvoir. La Constitution de la IIIe République a créé un poste de vice-président, arrachant au président de l’Assemblée la possibilité d’accéder au pouvoir en cas d’incapacité du président de la République. Dans la foulée, Ouattara n’a rien fait pour rassurer «son bon petit», comme on le dit ici en Côte d’Ivoire, qui attendait un juste retour de l’ascenseur.
C’est certain, le départ de Guillaume Soro de l’Assemblée nationale et sa volonté de briguer le fauteuil présidentiel en 2020 ne vont pas faciliter la vie au président Ouattara. Dans la bataille de pots de fer qui s’annonce dans moins de deux ans, il perd ainsi un allié de taille face à la machine à le broyer que compte mettre en place son ancien allié, le président du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI), Henri Konan Bédié. Le Sphinx de Daoukro veut grossir ses rangs avec les partisans de Laurent Gbagbo qui rêvent de jouer «le match retour» contre un Alassane Ouattara qui fait déjà face à une fronde de ses partisans déçus d’avoir été écartés du partage du gâteau. Certes, le président du RHDP peut encore se targuer d’avoir du monde derrière lui s’il s’en tient à la foule qui a déferlé le 26 janvier 2019 lors de la constitution du parti unifié. Mais, en termes de qualité et d’efficacité de soutien, il gagnerait plus à avoir Guillaume Soro dans ses rangs que de l’affronter comme adversaire. La démission de GKS vient ajouter un ingrédient de plus à la cocotte minute qui va bouillir et siffler, au fur et à mesure que l’on s’approche de 2020.
Par Mahamadou DOUMBIA, Correspondant Wakat Séra à Abidjan