Après une décennie d’école buissonnière, l’opposition ivoirienne retourne aux urnes. Ce sera ce samedi 6 mars, à l’occasion des élections législatives qui appellent près de 7,5 millions d’électeurs, à choisir entre les 1500 candidats en course pour les 255 sièges de l’Assemblée nationale.
Des scrutins très attendus, et peut-être historiques, car pouvant refermer les pages sombres des violences qui ont toujours rythmé avec élections, dans une Côte d’Ivoire qui en a marre, peut-être, de porter mal son nom de «pays de la paix». Refermer la parenthèse de sang de la dernière présidentielle, qui a occasionné au moins 85 pertes en vies humaines, la plupart, des manifestants contre le 3è mandat anticonstitutionnel de Alassane Dramane Ouattara. Tel doit être le premier paragraphe du programme politique de chaque candidat à cette députation, qu’il soit indépendant, ou qu’il compétisse sous la bannière d’un parti politique, de la majorité ou de l’opposition. Les Ivoiriens voudraient bien respirer, de nouveau, cet air de concorde et de vivre ensemble qui soufflait sur les bords de la lagune Ebrié, durant le règne du «Vieux»*.
Mais pour que la quiétude tant souhaitée soit de retour, et favorise le désarmement des cœurs pour une réconciliation vraie, tous les acteurs, les politiciens au premier plan, doivent y aller, chacun de sa partition, avec sincérité, et jouer sur le terrain de l’intérêt national. Si en Afrique, il est dit que la qualité de l’eau pour se laver les mains annonce celle du repas, il faut croire que l’éléphant est sur la bonne voie. De façon globale, la campagne électorale qui a pris fin, ce jeudi à minuit, a été apaisée, malgré les incontournables discours ethnicistes de certains candidats en mal d’arguments de société décisifs. Mieux, dans le jeu inévitable des alliances, des amis d’hier devenus ennemis, sont redevenus des amis, au gré des objectifs politiques du moment.
C’est ainsi que l’opposition, qui opère son grand retour dans les urnes, tirant, sans doute leçon d’un boycott dont le pouvoir en place a toujours tiré profit, se jette dans la bataille, espérant ainsi prendre les commandes du parlement, pour empêcher le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix, le RHDP de Alassane Dramane Ouattara, de continuer à évoluer en roue libre. Les militants et candidats du Parti démocratique de Côte d’Ivoire, le PDCI-RDA de Henri Konan Bédié, se retrouvant aux côtés des partisans de la plate-forme EDS des «Gbagbo ou rien», les GORs pour faire plus simple, c’est bien le signe d’une opposition qui aspire à l’unité d’action pour conquérir le pouvoir législatif, et plus dans le futur. Mais une unité qui est loin d’être totale, présentant des fissures bien béantes. Les opposants ayant toujours été d’accord sur leur désaccord, les membres de cette alliance seront face à des opposants d’une autre alliance, regroupant le Cojep de Charles Blé Goudé, l’UDPCI de Albert Mabri Toikeusse, AGIR de Martial Joseph Ahipeaud et tirée par le Front populaire ivoirien (FPI), tendance Pascal Affi N’Guessan.
Oubliant que seule l’union fait la force, et tous préférant être tête de rat que queue de lion, une fois de plus, la lutte pour le leadership fait voler en éclats, l’unité annoncée d’une opposition qui réduit ainsi ces chances de tenir la dragée haute au pouvoir en place. En tout cas, l’opposition devra forcément subir une déperdition de voix, explosion de l’électorat qui ne profitera qu’au mastodonte RHDP qui n’a d’autre ambition que celle de dominer, de la tête et des pieds, une vie politique en effervescence.
Pourvu que cette élection, qui se tiendra en présence de l’opposition, mais en l’absence du Premier ministre Hamed Bakayoko, qui séjourne en France depuis le 18 février, pour des soins et dont l’état de santé suscite beaucoup d’interrogations, soit celle qui fera exception dans le cycle infernal des scrutins qui entraînent dans leur sillage, des crises post-électorales meurtrières. Les Ivoiriens pourront-ils, enfin, vaincre le démon des violences électorales? Les jours prochains en témoigneront!
Par Wakat Séra
*Vieux: surnom affectif donné au premier président ivoirien, Félix Houphoüet Boigny