«Je suis revenu de prison, il nous faut avancer. Je propose: laissons Affi avec l’enveloppe qu’il détient. Nous allons baptiser le FPI autrement. Nous allons continuer à lutter. Le FPI, c’est nous. Nous allons changer de nom. C’est tout.» Ainsi parla l’ancien chef de l’Etat ivoirien et fondateur du Front populaire ivoiriien, Laurent Gbagbo. Le parti qu’il compte rebaptiser, et dont son ancien Premier ministre, Affi N’Guessan, se réclame le président de la branche reconnue par la justice, est pourtant, depuis des décennies, avec le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et le progrès (RHDP, pouvoir) et le Parti démocratique de Côte d’Ivoire-Rassemblement démocratique africain (PDCI-RDA, opposition), l’un des pions incontournables, de l’échiquier politique ivoirien. De l’opposition, le FPI a même joui des délices du pouvoir, sur une dizaine d’années, soit de 2000 à 2011, avec Laurent Gbagbo, avant de retourner à ses anciennes amours, l’opposition.
Tout logiquement, avec la chute et le séjour prolongé du fils de Mama dans les geôles de la Cour pénale internationale et son exil forcé à Bruxelles, les déchirements fratricides ont divisé le parti en clans. Si Affi N’Guessan a récupéré un morceau du FPI et en a même obtenu la légalité sur décision judiciaire, il n’a jamais pu rallier à sa cause, les irréductibles GOR. Et comme les Gbagbo ou rien ont retrouvé leur leader, plus légal, mais toujours légitime, avec une popularité qui n’a pas pris une ride, les positions se sont plus que jamais raidies. Le navire ne pouvant s’accommoder de deux capitaines, encore moins de trois, si on ajoute à la liste Simone Gbagbo, dans un de ses jeux de jambes de footballeur brésilien dont il a le secret, Laurent Gbagbo renverse la partie. Du coup, il pourrait ainsi, en «contournant l’obstacle» Affi, «sauter» celui Simone Gbagbo, sa première épouse dont il n’arrive pas à se débarrasser par le divorce et qui continue d’arborer jalousement, ses deux foulards de membre fondateur et de 2e vice-présidente,.
Le combat pour tenir la barre du FPI, n’aura donc pas lieu, en tout cas pas entre Laurent Gbagbo et Affi N’Guessan, faute d’un combattant. Si le dribble de l’ancien président ivoirien pour mettre dans le vent des adversaires pour le leadership est presque parfait, il ne soulève pas moins des interrogations. La volonté d’aller voir ailleurs, en abandonnant Affi «avec l’enveloppe» n’est-elle pas aux antipodes des valeurs de cohésion qui devraient être celles de l’acquitté de la CPI, rentré au bercail dans le train de la réconciliation nationale mis sur les rails par le chef de l’Etat, Alassane Ouattara? Pour garder sauf le rayonnement d’un FPI réunifié, pourquoi ne pas aller à la paix avec Affi N’Guessan qui a, du reste, promis de rendre la présidence du FPI à qui de droit, c’est-à-dire le fondateur et leader naturel qu’est Laurent Gbagbo, à l’issue d’un congrès? L’ancien Premier ministre, selon ses dires et ceux d’autres intermédiaires dans la crise, aura pourtant déployé bien des efforts pour rencontrer son désormais ancien président de parti. Mais en vain. Laurent Gbagbo, le redoutable animal politique avait certainement son plan pour rester seul maître du jeu.
Qui sera le président du nouveau parti qui prendra probablement forme d’ici à octobre prochain? L’élection présidentielle de 2025 étant déjà en ligne de mire, Laurent Gbagbo se positionnera-t-il comme le candidat du nouveau parti, avec le risque d’être mis hors-jeu, Alassane Ouattara pouvant, avant la fin de son mandat en cours, fixer un âge deadline à la présidentielle, qui écarterait de la course, les trois dinosaures de la scène politique ivoirienne, que sont, lui-même ADO, et les anciens présidents ivoiriens, Henri Konan Bédié et Laurent Gbagbo? De quel bord sera le nouveau parti, les alliances en politique n’étant jamais impossibles, jamais de cœur, mais toujours de raison et d’intérêt du moment? Le questionnement peut s’étirer à l’infini, mais ne pourra qu’aiguiser davantage la soif des uns et des autres sur les motivations réelles de Laurent Gbagbo, loin du discours officiel qu’il tient, par rapport à son surprenant jet d’éponge. Toutefois, on ne saurait dénier au citoyen Laurent Gbagbo, le droit de créer ou de militer dans un même parti qui aura changé de nom.
Le contre-pied magistral de Laurent Gbagbo en vaudra la chandelle si il lui permet de déjouer les plans de ceux qui voudraient bien le voir s’embourber dans des querelles intestines qui l’empêcheraient ainsi de «continuer à lutter». Surtout qu’il est convaincu que le FPI, c’est lui et les GOR!
Par Wakat Séra