«Dans la jungle, terrible jungle, le lion est mort ce soir. Et les hommes tranquilles s’endorment». Le lion est mort ce soir. Oui, comme ses paroles du célèbre Henri Salvador, qui ont traversé les âges sans prendre la moindre ride, le Lion de Korhogo est mort cet après-midi du mercredi 8 juillet 2020. Mais les hommes ne dormiront pas tranquilles à Abidjan, car c’est une véritable catastrophe qui vient de s’abattre sur une Côte d’Ivoire qui sortait à peine la tête des tonnes d’eau déversées par un ciel qui avait trop ouvert ses vannes, comme pour annoncer cet autre malheur, cette mort du Premier ministre. Un malheur n’arrive jamais seul, dit l’adage.
Dans un clin d’œil dont lui seul a le secret, le destin a fait revenir Amadou Gon Coulibaly, 61 ans, au bercail, après deux mois de soins, dont deux séjours à l’hôpital français, Pitié Salpêtrière, où le disparu, qui avait déjà subi une transplantation du cœur en 2012, s’est même fait poser un stent. AGC est rentré à Abidjan rien que le 2 juillet dernier, après plusieurs retours annoncés et avortés. Fatigué et affaibli par la maladie, les pas hésitants, le Premier ministre n’était visiblement pas au mieux de sa forme, contrairement à ses propres dires.
Mais il fallait que le Premier ministre revienne à la maison, pour reprendre sa place de candidat de son parti, le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), mais aussi pour dire à ses contempteurs, notamment ceux qui sont dans ses propres rangs, qu’il demeure apte pour le poste. Ils sont nombreux, ses camarades de parti qui n’ont jamais digéré son choix par Alassane Ouattara qui le le leur ensuite imposé. Car, chacun se mettait dans cette peau de ce dauphin, convaincu qu’il pouvait être calife à la place du Calife. De plus, le terrain politique commençait à être pris d’assaut par les «gens d’en face» qui, blessés dans leur amour propre car se disant victime de trahison de la part de Alassane Ouattara, n’ont jamais caché leur appétit pour un retour en force aux affaires. Le come-back du Lion avait donc suscité beaucoup d’espoir, mais énormément d’inquiétudes dans une famille RHDP, où il était de plus en plus difficile de cacher l’état de santé réel du Lion de Korhogo qui avait perdu de sa superbe. Le combat à fleuret moucheté se transformait en véritable guerre de gladiateurs où par la presse interposée et le concours des esprits mystiques, les gladiateurs ne se faisaient plus aucun cadeau.
Mais, même si AGC est mort les armes à la main et au milieu des ministres de son gouvernement qu’il dirigeait depuis 2017, il faut aller «droit au but» comme à Marseille et reconnaître qu’il y a eu erreur de casting dans sa désignation comme dauphin du «prégo» et champion du RHDP pour la compétition présidentielle prévue en principe pour octobre 2020. Certes, il a été le «meilleur collaborateur» depuis 30 ans, certes il est issu d’une famille qui a toujours soutenu ADO dans sa vie politique faite de haut et plus de bas avant son accession au fauteuil suprême, certes il vient du nord, une région qui ne compte plus lâcher le pouvoir, certes il rentre dans les plans de Alassane Ouattara qui veut quitter la présidence sans réellement partir, car assuré de diriger dans l’ombre. Certes, certes et certes, mais le patron incontestable du RHDP a oublié, ou a feint d’oublier, que son pion n’était pas le bon sur l’échiquier des présidentiables.
En attendant qu’arrive l’heure des comptes après le deuil, on ne peut que se demander pourquoi, sachant Amadou Gon Coulibaly handicapé par le maladie, Alassane Ouattara l’a imposé comme le prétendant à ce fauteuil qu’un autre cadre du RHDP aurait bien pu, et peut-être mieux, défendu? En tous cas, toutes les cartes sont à rebattre au sein d’un parti, où il a été clairement signifié à ceux qui ne l’avaient pas encore compris, après l’évacuation pour «suivi médical» de AGC en France, qu’il n’y a pas de plan B, en ce qui concerne le candidat du RHDP. C’était Gon où Gon. Même qu’un décret particulier n’a pas été pris pour son intérim. C’est le seul document qui annonçait son départ en France pour raison médicale qui donnait le nom du ministre d’Etat, chargé de la Défense, Hamed Bakayoko, comme devant assumer l’intérim de Premier ministre.
ADO, on fait comment maintenant? L’intérimaire sera-t-il confirmé et surtout enfilera-t-il le maillot de candidat du RHDP? Ou alors, pour faire plus simple et plus rapide, le président Ouattara, qui avait annoncé son retrait de la course à sa propre succession, se retrouvera-t-il une nouvelle jeunesse pour rechausser les crampons et descendre sur le terrain en octobre, ce mois de toutes les inquiétudes qui arrive à grands pas? Questions pour un champion. Du reste, tout reste envisageable, dans une Côte d’Ivoire de tous les politiquement possibles.
Par Wakat Séra