Faites vos jeux, plus rien ne va. Comme un gant, l’expression va à la Côte d’Ivoire, confrontée depuis plusieurs mois à des manifestations socio-politico-militaires qui remettent en cause la stabilité de ce pays qui semblait avoir retrouvé les chemins de la stabilité et du développement. Ce n’était visiblement qu’une paix de façade, chaque jour ébranlée par un vent de protestation qui tombe juste pour permettre à un autre de se préparer. Après les mutineries itératives, les manifestations de démobilisés, et les mouvements d’humeur des syndicats de fonctionnaires, c’est l’opposition qui annonce une «marche de la colère». Prévu pour ce samedi 17 juin, ce rassemblement qui portera la marque de l’opposition politique, servira à dire le ras-le-bol des Ivoiriens d’une situation politique délétère, fragilisée notamment par les mutineries répétées des soldats. C’est dire combien le pouvoir de Alassane Ouattara est dans le pétrin.
Si la chienlit ne s’est pas installée aujourd’hui, il faut reconnaître que la «situation politique chaotique» dénoncée par les opposants, a véritablement pris une tournure inquiétante depuis les dernières élections législatives, notamment celle du président de l’Assemblée nationale et les nominations d’un vice-président et d’un nouveau premier ministre. De même, la déclaration de Alassane Ouattara de respecter la Constitution en ne cherchant pas à briguer un troisième mandat, a visiblement avivé la guerre des positionnements, aiguisant l’appétit des uns et des autres pour le fauteuil présidentiel. L’opposition, bien dans son rôle, déplore même «la déconfiture des institutions du pays, la mal gouvernance, une justice aux ordres, la faillite de l’armée, la caporalisation de l’administration et des médias d’Etat». Et comme pour ne rien arranger, la voix de Laurent Gbagbo qui traverse depuis un certain les murs de la prison de Scheveningen où le détient la Cour pénale internationale (CPI), pour résonner sur les berges de la lagune Ebrié, rappellant au monde entier les circonstances troubles et sanglantes dans lesquelles le pouvoir a échu à Alassane Ouattara en 2011.
La «marche de la colère», qui fera battre le pavé aux partis politiques de l’opposition qui devraient bénéficier du soutien d’organisations syndicales, peut ne pas rencontrer un succès franc, compte tenu des querelles fratricides de clans au sein du Front populaire ivoirien (FPI), le principal parti d’opposition en Côte d’Ivoire. Mais quelle que soit son issue, sa seule tenue n’augure pas de lendemains meilleurs pour Alassane Ouattara dont la fin de mandat s’annonce bien houleuse. En effet, l’apaisement des différents fronts qui s’ouvrent, ne sera pas une sinécure pour le président ivoirien qui aura bien besoin de plus que les prouesses économiques qu’il a réalisées pour la relance de la Côte d’Ivoire. En face de lui, il a des adversaires politiques qui ne sont pas prêts de lâcher prise. Ils sont même déterminés à décocher les flèches les plus pointues de leur carquois, pour assouvir leur dessein. Très fragilisé par les toussotements du train de la réconciliation nationale qui, en réalité, n’a jamais quitté la gare, le champion du Rassemblement des Républicains (RDR) rencontre même de plus en plus des contempteurs au sein du Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP), qui sert de pilier à son pouvoir. A ce rythme, le gentleman agreement, selon lequel le prochain chef de l’Etat ivoirien devrait sortir des rangs de son principal allié au sein du RHDP, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire/Rassemblement démocratique africain (PDCI/RDA), pourrait bien fondre comme beurre au soleil.
Et bien malin qui pourrait prédire l’avenir de l’éléphant ivoirien très malade de son armée sans fondement républicain, de ses politiciens aux intérêts égoïstes et très personnels et surtout des rancoeurs qui s’enracinent dans les profondeurs de cœurs encore noirs de haine et qu’il convient de désarmer sans délai.
Par Wakat Séra