M. le président, abandonnez! Ce n’est pas un ordre, car le petit éditorialiste que je suis, assis sur une chaise devant une petite table qui lui sert de bureau, ne saurait se donner cette prétention de dire à un chef de l’Etat de démissionner. Même si les militaires zimbabwéens avaient réussi à le faire faire avec Robert Mugabé, comme l’ont fait plus récemment leurs frères d’armes de Kati, avec votre «ami» et voisin malien, Ibrahim Boubacar Keïta. IBK qui a été poussé à la sortie, le mardi 18 août dernier et que vous tentez, vainement jusque-là, de réinstaller au gouvernail du bateau malien que vous l’avez regardé, mener à la dérive, sans lui rappeler que seul l’intérêt de son peuple devait être son étoile polaire. Alpha Condé, votre voisin et grand-frère guinéen, suspect sérieux dans la même entreprise périlleuse que vous de briguer un troisième mandat, vous apporte une aide qui, visiblement, ne portera pas le fruit que vous escomptez, car le peuple malien et tous les Africains vous ont désormais à l’œil. Vous ne rencontrerez pas sur votre route, le seul Umaro Sissoco Embalo, le jeune chef de l’Etat bissau-guinéen qui vous a recadré, alors que vous essayiez, par condescendance et paternalisme de mauvais aloi, de le traiter de «fiston» en pleine visio-conférence des chefs de l’Etat, le jeudi 20 août dernier. Oui, comme l’a répliqué cette âme bien née à laquelle la valeur, j’allais dire la sagesse, n’a point attendu le nombre des années, «les troisièmes mandats sont aussi des coups d’Etat». Les «fistons» sont donc, visiblement, prêts à vous apporter la contradiction, et certains pourraient même vous manquer de respect alors qu’en Afrique, l’un des piliers socio-culturel fort est la «kôrôcratie», soit le droit d’aînesse.
Tentative de coup d’Etat
M. le président, abandonnez donc cette tentative de coup d’Etat que vous vous apprêtez à lancer contre l’Eléphant d’Afrique, à qui, grâce à la vision, l’ardeur au travail et une bonne dose de patriotisme, n’en déplaise aux tenants du machiavélique concept de l’«ivoirité», vous avez redonné la voix pour barrir de nouveau dans le concert des nations, malgré les ravages des années guerre civile et crise post-électorale, respectivement de 2002-2003 et 2010-2011. Alassane Ouattara, ne vous laissez pas entrer dans la tentation, comme l’auraient prié les fidèles catholiques dans la récitation pieuse du «Pater». C’est une supplication que je vous adresse aussi, non pas les supplications de Camille sur Rome, l’«unique objet de (son) ressentiment» dans Horace de Corneille, mais des vœux de quelqu’un qui a apprécié votre règne de bâtisseur et voudrait vous permettre encore d’espérer une sortie par un soupirail du Palais du Plateau. Quitter le palais par ce trou, serait déjà cela de gagné, car, à l’allure où vont les marches de protestation qui finissent par des morts, des incendies et destructions d’infrastructures publiques, les grandes grilles d’entrée et de sortie du Palais du Plateau sont en train de se refermer, lentement mais sûrement, comme celles de ce magnifique jeu télévisé, Fort Boyard, qui menacent toujours de s’abaisser sur des joueurs trop gourmands, et de les livrer aux fauves.
Ecoutez «vos» femmes
M. le président, vous avez manqué d’écoute, sinon, vous auriez entendu les cris, et parfois les pleurs, des Ivoiriens et surtout des Ivoiriennes qui, n’en pouvant plus de vous parler sont descendues dans la rue pour partager avec vous leurs souffrances, et leur ire. Mais vous avez fait fi des revendications de l’autre moitié du ciel, qui, pourtant, possède ce flair du danger qui lui permet d’assurer protection et survie à ses enfants. Ces femmes attentionnées dont un miroir aurait pu vous renvoyer les images de la belle âme que fût Hadja Nabintou Ouattara, feue votre mère, ou de la bienfaitrice infatigable, Dominique Ouattara, votre charmante épouse, ou encore, de Fanta Ouattara, votre fille adorée. Mais le manque d’humilité et la soif inextinguible du pouvoir vous ont détourné du réalisme, de la réalité. Aujourd’hui, à l’instar de leurs enfants et époux, vous avez trouvé de la place pour certaines de ces femmes, dans vos geôles où croupissent des opposants à votre régime. Ceux qui ne sont pas derrière les barreaux de la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, la fameuse Maca, ou dans les cellules de la Maison d’arrêt militaire d’Abidjan, la redoutée Mama, sont dans les filets de la Cour pénale internationale (CPI) ou en exil, en France ou au Ghana.
«Seuls les imbéciles ne changent pas»
M. le président, abandonnez! Notre reggae-maker préféré, Alpha Blondy, pour ne pas le nommer, n’a-t-il pas chanté que «seuls les imbéciles ne changent pas»? Donnez raison à votre compatriote, cet artiste interplanétaire dont les paroles, pleines de sens et lourdes de symboles, ont traversé les âges, comme leur auteur, sans prendre la moindre ride. Changez donc, M. le président, de la même manière que vous avez pu revenir sur votre séduisant discours du 5 mars 2020 qui vous avait servi à dire non à un autre mandat, que vous interdit, du reste, la Constitution. Vous aviez ainsi, pris à contre-pied, les manges-mil qui se sont agglutinés autour de vous pour se servir, en s’adonnant au pillage systématique des marchés de l’Etat, au détriment de ces nombreux opérateurs économiques ivoiriens qui pensent toujours, à raison d’ailleurs, que l’intégrité prendra un jour, le dessus sur la corruption, le népotisme, le clientélisme et les passe-droits de la carte du «bon» parti, aujourd’hui le Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP). Ces sangsues du peuple, vont vous conduire droit dans le mur, retourneront très rapidement leurs vestes et rejoindront, sans vergogne, vos adversaires d’aujourd’hui. Pendant que vous serai en train de vous débattre comme un diable dans un bénitier, ils profiteront tranquillement de la fortune que vous leur avez permis d’amasser.
Des signes qui ne trompent guère
M. le président, abandonnez! Vous qui avez vécu l’enfer de l’hôtel du Golf, avant de devenir l’homme fort d’Abidjan, je ne vous ferai par l’affront de vous enseigner que c’est le même peuple qui vous a ovationné, ce samedi 22 août 2020, lors de votre investiture comme candidat du RHDP, à votre propre succession, au «Félicia», le chaudron des Eléphants, l’équipe nationale de football, c’est ce même peuple qui va crier demain, «ADO dégage». Il y a des signes qui ne trompent guère. Florilège: le chapelet de mutineries qui ont émaillé votre règne; les lunes de miel avec vos anciens alliés qui ont contribué à votre avènement au pouvoir, pour ne pas dire qui vous ont fait roi, qui ont mué en lune de fiel; la parole non tenue; la propension à tout ramener à l’argent qui peut tout faire; le décès brutal de votre «fils» et dauphin, le brillant Premier ministre, Amadou Gon Coulibaly, qui a occasionné votre «sacrifice suprême» de redevenir candidat; et plus récemment, votre échec cuisant à vouloir maintenir, puis réinstaller IBK au palais de Koulouba, et surtout le désaveu cinglant que vous ont infligé certains de vos pairs, plus jeunes que vous, au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest, une CEDEAO que vous avez contribué à décrédibiliser.
Plus tard sera trop tard!
Monsieur le président Alassane Ouattara, abandonnez! Sans être un de ces analystes de haut vol, sans avoir lu dans une boule de cristal et surtout sans être un de ces ennemis que vous ne voulez pas voir, même en dessin, nous pouvons cependant vous dire que, tôt ou tard, ce troisième mandat que vous comptez briguer, après le «coup KO» du 31 octobre que vous avez promis à vos fans, ne vous portera pas bonheur. Au fait, avez-vous constaté, comme nous, que le stade rempli de partisans que vous avez fait venir de loin, et même de très loin, malgré ces temps inquiétants de Covid-19, avait commencé à se dégarnir, pendant que vous, en tribun d’une verve extraordinaire, vous vous lanciez des piques à vos adversaires? Même que la cuvette, pleine à craquer au début, s’est vidée, comme par magie, en une trentaine de minutes après la fin de votre investiture! Le peuple se cherche, peut-être non, M. le président? Une petite suggestion, et si vous transformiez votre investiture pour la présidentielle en une autre mission, celle de vous convaincre, vous-même d’abord, et ensuite vos prédécesseurs, à passer la main pour de bon? De cette façon, ce comportement trop trivial de «si tel se présente, je serai aussi candidat», deviendra un vieux mauvais souvenir dans les annales de la politique ivoirienne qui mérite mieux. Et vous rendriez, tous les trois, je veux dire Henri Konan Bédié, Laurent Gbagbo, et vous-même Alassane Ouattara, un fier service à la Côte d’Ivoire qui a un besoin, urgent et vital, de régénérer sa classe politique sclérosée. Le pays a besoin de sang nouveau de jeunes acteurs pour qui, la politique, et surtout les élections ne seront plus synonymes de guerre.
M. le président, abandonnez, car, plus tard sera trop tard, mais dans le même temps, il n’est jamais tard pour bien faire.
Par Morin YAMONGBE