Au Burkina, le récent coup d’État n’a guère reçu de véritable opposition, si ce n’est de nombreuses condamnations de principe. Le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré apparaissait débordé par la guerre et incapable de répondre aux urgences. Un autre article suivra sur la mise en place de la Transition qui est en cours.
Ce coup d’État a finalement été accepté comme inévitable, avec même semble-t-il un certain soulagement voire de l’espoir, même si les Burkinabè, qui en ont connu beaucoup depuis l’indépendance, manifestaient çà et là de l’inquiétude en attendant d’y voir plus clair. Seul, le parti au pouvoir le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès), considéré jusqu’ici comme un méga parti avait à ses militants à s’y opposer. Un appel tombé dans le vide. Personne n’est sorti dans les rues si ce n’est quelques groupes manifestant leur soutien.
Cette fois, après les deux jours d’inquiétude, le calme est revenu rapidement, la ville a repris ses habitudes.
Le coup d’État le plus tranquille du monde ?
On pourrait presque le qualifier de « coup d’État le plus tranquille du monde ». Ceci pour en référence au coup d’État précédent dirigé par le général Gilbert Diendéré en septembre 2015, qui fut qualifié par les Burkinabè eux-mêmes « le coup d’État le plus bête du monde ». Les putschistes furent rapidement dépassés par les évènements et durent renoncer.
Pas si tranquille que ça tout de même. Le 21 février un communiqué de la présidence annonçait que le coup d’État avait fait deux morts et 12 civils blessés. Le bruit courrait déjà quelques jours après qu’il y aurait eu deux morts et 4 blessés parmi les gendarmes de la garde rapprochée de Roch Marc Christian Kaboré.
J’étais arrivé à Ouagadougou, le 21 janvier au soir. Juste le temps de poser mes marques chez mes amis. Hébergé dans un quartier plutôt calme, à l’écart des grands axes de circulation, je dormirai sans rien entendre. Le matin du 23 au réveil je perçois des bruits inhabituels auxquels je m’efforce de ne pas faire attention. Mais les nouvelles vont vite, très incomplètes cependant. Une mutinerie a éclaté dans la nuit. En fait ce sont bien des crépitements qui se font entendre, d’intensité variable, parfois en rafales, parfois isolés. Tant qu’il ne s’agit que d’une mutinerie… me disais-je pour me rassurer.
Lors des dernière mutineries, en 2011 notamment, les militaires se répandaient dans les rues avec parfois des véhicules munis d’armes lourdes et tiraient dans les rues. Ces mutineraient annonçaient déjà en réalité la fragilité du pouvoir, et dévoilaient de graves clivages au sein de l’armée. En 2014, une formidable insurrection, avec des dizaines de milliers de personnes dans les rues des principales villes du pays, entrainait la fuite de Blaise Compaoré, exfiltré du pays par les troupes françaises.
En 2022, c’est un tout autre schéma qui se dessine. Des tirs en l’air se font entendre, plutôt aux alentours des casernes. Il s’agit probablement de tirs en l’air pour se faire entendre. Le camp Lamizana à Gounghin est rapidement aux mains des mutins, de même que la base de l’armée de l’air, proche de l’aéroport leur permettant de disposer des hélicoptères. Dans la journée le ministère de la défense, le général Simporé déclare à la télévision qu’il s’agit d’une mutinerie et que la situation est sous contrôle. Quelques dizaines de civils se rassemblent autour de l’échangeur de l’ouest proche du camp Sangoulé Lamizana aux mains des putschistes. Ceux-ci prennent position sur les différents échangeurs de la ville. A Ouahigouya et à Kaya les militaires rejoignent la mutinerie. De cette dernière ville certains partiront rejoindre Ouagadougou dans un convoi lourdement armé.
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Un journaliste étranger arrive à pénétrer au sein du camp Lamizana et enregistre les revendications des mutins. Elles portent alors essentiellement sur la réorganisation de l’armée, une meilleure prise en charge des blessés au combat. Ils demandent aussi la démission des Chefs d’État-major général de l’armée et de l’armée de terre et du directeur de l’agence Nationale de renseignement. Les Chefs de l’armée projettent une négociation. Les mutins refusent dans un premier puis finissent par accepter, demandant à ce que la rencontre se fasse au camp Lamizana. Finalement le ministre des armées prend peur et abandonne l’idée de négocier.
Le lancement du match de la coupe d’Afrique des nations Burkina Gabon signera la fin des tirs. Tout le pays retrouve un semblant d’unité et de cohésion devant les télévisions. Le suspens du match fera sans doute oublier à beaucoup que le pays vit un soulèvement d’une partie de l’armée, dont on ne connait pas encore l’issue. Le temps règlementaire du match n’a pas permis de départager les équipes. Place aux tirs au but. Le suspens tient le pays en haleine. Et il faudra attendre le 15ème tir pour départager les équipes. Les Burkinabè attentifs ont pu voir défiler depuis quelques temps déjà en bas de leurs écrans de télévision, peu avant que ne se termine les tirs au but, qu’un couvre-feu est instauré à partir de 20h jusqu’à 5 heures du matin. Reste alors moins d’une heure pour rentrer ! Les tirs vont reprendre immédiatement de plus belle, et plus intense. C’est cette nuit-là que tout va se jouer et que les mutins, qui se sont transformés en putschistes vont prendre le dessus définitivement.
La mutinerie se transforme en coup d’État
La haute hiérarchie de l’armée avait opté pour envoyer les forces spéciales censées lui être fidèle aux alentours du camp Lamizana. Mais elles se rangent aux côté des putschistes. Des éléments se rendent alors au camp Nabaa Koum proche de la présidence et des discussions entre les deux camps permettent d’éviter l’affrontement.
Mais le Président n’est toujours pas aux mains des putschistes. Il est sous la protection de sa garde rapprochée constituée de gendarmes aguerris. Dans son édition du 25 janvier sur le Burkina Africa intelligence (voir https://www.africaintelligence.fr/afrique-ouest-et-centrale_diplomatie/2022/01/25/comment-paris-se-preparait-au-coup-d-etat,109719007-eve ) affirme que les autorités françaises sont restées en contact avec Roch Marc Christian Kaboré jusque dans la nuit du 23 janvier. Elles lui auraient proposé de l’exfiltrer ce qu’il aurait refusé.
Dans la nuit sa garde rapprochée simule le départ d’un faux convoi qui sera criblé de balles. Ce sont quatre gendarmes de ce convoi leurre, repéré par un hélicoptère, qui vont être gravement blessés. Une chaine de télévision va pouvoir diffuser des images d’un véhicule blindé probablement, criblé de balles dont les sièges arrière sont couverts de tâches de sang. En réalité le président a pu être exfiltré par un autre convoi vers un camp de la gendarmerie. On parle de celui de Karpala ou Paspanga, avec son épouse par des éléments de l’unité spéciale d’intervention de la gendarmerie.
Les putschistes engagent des négociations pour que Roch Marc Christian Kaboré signe une lettre de démission. Vers 14h, il envoie encore un message dans lequel il invite « ceux qui ont pris les armes à les déposer dans l’intérêt supérieur de la Nation ». Il appelle au dialogue et « à la sauvegarde des acquis démocratiques ».
Ce dernier aurait finalement signé rapidement une lettre de démission dans laquelle il écrit notamment : « je déclare la vacance du pouvoir en vue de permettre la mise en place rapide d’une transition devant aboutir à des élections libres et transparentes dans un délai légal de 90 jours. » Il est finalement remis aux mutins, en présence de l’archevêque de Ouagadougou, qui se porte garant de sa sécurité à la mi-journée le 24 janvier[1].
Qui sont les putschistes ?
Des informations très parcellaires apparaissent petit à petit. Les militaires à l’origine du coup d’État ont pour point commun d’être de la même génération. Tous âgés autour d’une quarantaine d’années, seraient issus d’une même promotion. On notera cependant que l’officier qui lira la première déclaration, capitaine Sidsoré Kader Ouédraogo, apparait plus jeune.
Certains veulent y voir une préparation minutieuse depuis quelques temps. On se rappelle en effet que l’arrestation du lieutenant-colonel Emmanuel Zoungrana le 10 janvier signalait l’échec d’une tentative de coup d’État à l’époque. Mais il s’agit sans probablement d’un autre groupe, car ce dernier est toujours sous le coup d’une enquête. Certaines sources le présentent comme un proche de Chérif Sy, ancien ministre de la défense.
Les auteurs du coup d’État, au fil des informations qui arrivent apparaissent ne pas avoir de projet particulier bien précis si ce n’est de remettre le pays sur les rails, de remettre l’armée en était de combattre efficacement en la réorganisant et en se débarrassant de la plupart des officiers supérieurs. C’est en tout cas ce que semblent confirment les différentes déclarations successives du Président du MPSR, qui se feront petit à petit plus précises. Il n’est donc pas exclu qu’il s’agissait au départ d’une mutinerie avec des revendications précises. Mais l’incapacité du pouvoir et du général Simporé en particulier à engager des négociations, et le choix de préférer l’affrontement, auraient convaincu les dirigeants de la révolte de transformer la mutinerie en coup d’État.
Ces militaires mettent surtout en avant l’incapacité du régime de Roch Kaboré à sécuriser les populations et leurs biens sur tout le territoire national et veulent ramener la situation à la normale et redonner au Burkina Faso, sa souveraineté.
Quelques supputations ont voulu annoncer les hommes de l’ombre, des civils associés aux militaires. Jeune Afrique et Africa Intelligence ont par exemple annonce que M. Ra-Sablga Seydou Ouedraogo et Luc Marius Ibriga, deux personnalités de la société civile reconnues, très impliquées lors de la mise en place de la Transition en 2014, collaboraient de près avec les putschistes. Mais j’ai reçu un appel du premier, très en colère contre les auteurs de ces affirmations, qui ne voulaient surtout pas être associés aux putschistes.
En réalité, le MPSR va confier la rédaction de projet de Charte de la Transition à une quinzaine de personnalités, 2 militaires et 13 civils, universitaires et journalistes considérés comme compétents dans leur domaine qui n’apparaissent pas marqués politiquement jusqu’ici. Nous y reviendrons dans un deuxième article.
La première déclaration, le 24 janvier en fin d’après-midi, lue par le capitaine Sidsoré Kader Ouédraogo est signé du lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo Damiba. C’est donc lui qui est à la tête du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), dont se réclament les militaires qui ont pris le pouvoir, et qui assument désormais les fonctions de chef de l’État.
Peu connu du grand public, Paul-Henri Sandaogo DAMIBA, est diplômé de l’école militaire de Paris, officier supérieur d’infanterie dans l’Armée burkinabè. Il commence sa carrière au sein du RSP (Régiment de sécurité présidentielle), le régiment où service de Blaise Compaoré, chargé de la surveillance du territoire et de la répression des mouvements sociaux et des mutineries. Il quitte le RSP à la suite des mutineries de 2011. Il continue sa carrière à Dori et Ouhigouya, deux villes du nord et du nord-ouest du pays comme commandant de Régiment d’Infanterie Commando où il aurait fait ses armes contre les HANI (hommes armés non identifiés), comme on les appelle ici. Il aurait fait partie des officiers intermédiaires qui ont amené leurs troupes aux abords de la capitale pour faire échec au coup d’État de Diendéré en septembre 2015.
Après les évènements de 2015, il effectue des stages de perfectionnement à l’extérieur du pays. De retour au Burkina Faso, le lieutenant-colonel DAMIBA, est nommé Chef de corps du 30ème Régiment de commandement d’appui et de soutien (RCAS) logé au camp général Baba Sy d’où semblaient venir les chefs de la mutinerie. Après le drame d’Inata, où furent massacrés plus de 50 gendarmes, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo DAMIBA, a été nommé commandant de la 3ème Région militaire, qui couvre Ouagadougou, Koudougou, Fada N’Gourma et Manga. Surnommé par ses frères d’armes « l’armée » selon le média en ligne wakatsera, du fait de sa rigueur militaire, il est auteur d’un livre intitulé Armée Ouest-africaines et terrorisme, réponses incertaines ?[2] dans lequel « il décrit et livre son analyse aussi bien sur les particularités du terrorisme ouest-africain que sur les réponses apportées par les armées de la région avant de porter un jugement critique sur les éléments rédhibitoires des approches actuelles » selon la présentation officielle.
Les raisons du putsch
On trouvera ci-dessous une émission, enregistrée le 21 janvier, et diffusé le dimanche 23 janvier dans laquelle l’invité, M. Ra-Sablga Seydou Ouedraogo fait un tableau particulièrement grave de la situation qui prévaut à la veille du coup d’État.
Dans une autre conférence, en janvier 2021 sur le thème « le thème “2021, année précieuse” M. M. Ra-Sablga Seydou Ouedraogo il prévenait que le Coup d’État était un scenario possible au Burkina comme au Mali. (voir https://www.youtube.com/watch?v=POur_cEf20g ).
On comprendra à la relecture de notre précédent article du blog, le 2 décembre 2021, pourquoi le coup d’État n’a pas constitué une surprise et qu’il a été même souvent été reçu avec un certain soulagement par la population burkinabè. Même si l’inquiétude demeure, les premiers jours, du fait de l’incertitude sur les objectifs des putschistes.
Nous avions dépeint alors un pouvoir aux abois, incapable de faire face à la situation, une corruption endémique jusqu’au plus haut niveau de l’État, et une armée elle aussi corrompue et désorganisée. Les manifestations contre l’incapacité du gouvernement à faire face se multipliaient, massives particulièrement dans les capitales des provinces les plus touchées par la guerre. L’attaque d’une garnison de gendarmes à Inata se soldant par plus de 50 morts a décuplé le mécontentement. D’autant plus qu’on apprenait que ceux-ci n’avaient plus été approvisionnés depuis une quinzaine de jours et que leur appel à l’aide restait sans réponse.
Il semble cependant que d’autres raisons sont à rechercher au sein même de l’armée. Ainsi, certains agissements du François Ouedraogo le directeur de l’ANR (Agence Nationale de renseignement), qui ne rendait compte qu’au Président Kaboré, aient exacerbé les mécontentements. Par ailleurs, celui-ci affichait une richesse arrogante à l’image de son immense maison, en réalité un petit immeuble luxueux de 3 étages que l’on m’avait désigné au cours d’un de mes déplacements en ville
Les mutins demandaient en bonne place parmi leurs revendications sa révocation. Des vidéos ont circulé à son initiative pour charger des militaires qui auraient failli lors d’une mission. Alors que les accusés auraient fait circuler d’autres vidéos pour au contraire confirmer leur engagement dans les combats. Difficile d’avoir une opinion tranchée, mais ces péripéties reflètent une grave crise de confiance. D’autres sources bien informées m’ont fait état d’accusation de sabotages au sein de l’armée qu’il reste à élucider.
Le journaliste Hervé d’Afrik dans Courrier Confidentiel N° 261 du 5 février 2022, rapporte par exemple une affaire inquiétante que lui ont racontée des militaires. Le DG de l’ANR, affirmant avoir repéré un nid de terroristes avait envoyé des militaires pour une mission coordonnée terrestre et aérienne, après avoir obtenu le feu vert du président. Mais un des militaires se rappelle que les coordonnées envoyée étaient les mêmes que celle utilisée lors d’une manœuvre d’AFRICOM, le commandement des États-Unis pour l’Afrique et décide de faire demi-tour. Il s’agit en réalité d’un lieu où des populations de plusieurs villages, ont l’habitude de se réunir autour d’un point d’eau. Quel que soit la véracité de cette histoire, qui parait invraisemblable, reste qu’elle illustre l’état de grave conflit au sein de l’armée, et sans doute un motif de colère contre le Président qui semblait faire confiance au DG de l’ARN, celui-ci ayant interdiction de quitter Ouagadougou. Les deux camps qui s’opposaient attendaient que le Président et la hiérarchie militaire tranchent quand le coup d’État a été déclenché.
Par ailleurs, les militaires au pouvoir ont annoncé avoir ouvert une enquête pour déterminer les responsables du désastre de l’attaque d’Inata (voir notre article précédent à https://blogs.mediapart.fr/bruno-jaffre/blog/021221/le-burkina-au-bord-de-l-effondrement-la-presence-francaise-en-question le chapitre Inata, l’attaque de trop) qui avaient fait plus de 50 morts et de nombreux disparus alors que la garnison n’avait pas reçu de nourriture depuis une quinzaine de jours. Le Président Roch Marc Christian avait déjà reçu un rapport sur cet horrible épisode mais rien n’en avait filtré.
Premières décantations
Dans l’après-midi du 24 janvier, la télévision nationale annonce en boucle une déclaration des militaires au pouvoir. Elle interviendra vers 17h30. Une quinzaine de militaires de différents corps d’armée apparaissent à la télévision autour du capitaine Sidsoré Kader Ouédraogo qui lit la déclaration, avec à sa droite le lieutenant-colonel lieutenant-colonel Paul Henri Sandaogo DAMIBA.
« Peuples et amis du Burkina, au regard de la dégradation continue de la situation sécuritaire qui menace les fondements même de notre Nation de l’incapacité manifeste du pouvoir de monsieur Roch Marc Christian Kaboré à unir les Burkinabè pour faire face efficacement à la situation, et suite à l’exaspération des différentes couches sociales de la Nation, le MPSR a décidé d’assumer ses responsabilités devant l’histoire, la communauté nationale et internationale ». Les militaires se présentent comme membres du MPSR (Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration) « qui regroupe toutes les composantes des forces de défense et de sécurité ». Ils s’engagent « à proposer dans un délai raisonnable (…) un calendrier de retour à un ordre constitutionnel accepté de tous ». Ils annoncent la suspension de la constitution, la dissolution de l’Assemblée nationale, la fermeture des frontières et un couvre-feu de 21h à 5 heures du matin. Le communiqué est signé Paul Henri Sandaogo DAMIBA qui se déclare ainsi le chef de la junte.
L’internet mobile, c’est-à-dire via le téléphone, bien plus répandu que l’accès internet via wifi, est rétabli rapidement comme les liaisons aériennes avec l’extérieur. Les émissions de télévision et radio reprennent leurs cours normal. On assiste même très rapidement à des débats à la télévision sur ce les raisons du coup d’État et ce que devrait être la transition. Y prennent part des journalistes expérimentés, des chercheurs ou des leaders d’opinion qui échangent avec une grande liberté de ton. La vie reprend son cours.
Aucune inquiétude n’est visible dans les rues. Seuls les locaux de la radio et de la télévision sont gardés par des militaires bien armés. Quelques manifestations de soutien éclatent ici ou là mais peu fournies. Des nombreuses organisations, partis ou OSC (Organisations de la société civile) les plus anciennes ou les plus importantes affichent des condamnations de principe, se déclarent vigilantes, mais cachent rarement l’espoir que les nouveaux dirigeants puissent affronter les problèmes qu’affrontent le pays. Et d’abord, la lutte contre l’insécurité afin de reconquérir les territoires perdus pour le retour des déplacés. Mais aussi mettre fin à la déliquescence de l’État qu’il faut stopper.
D’un autre côté de nombreuses organisations, plus récentes qui se présentent aussi comme OSC affichent leur soutien total, leur disponibilité et leur volonté de collaborer avec le nouveau pouvoir. Certaines avaient appelé à manifester pour demander la démission de Roch Kaboré ce qui avait valu à plusieurs de leurs leaders d’être arrêtés. Désormais libérés, ils revendiquent sans détour une certaine paternité au coup d’État.
De nombreuses autres, le plus souvent inconnues jusqu’ici, laissent perplexes. La pratique du financement des OSC commencé sous Blaise Compaoré à l’initiative de son parti le CDP (Congrès pour la démocratie et le progrès) s’est développée, au moment de la transition de 2015, à l’initiative de parti politiques, mais aussi par le général Zida, alors premier ministre et ses amis. Le CDP , le parti de Blaise Compaoré qui ne cesse de traverser des crises internes et le MPP (Mouvement du peuple pour le progrès), le méga parti majoritaire du régime déchu, ont une pratique ancienne de ce genre de manipulation. Tous deux sont aujourd’hui largement déconsidérés mais la pratique se perpétue via d’autres partis semble-t-il.
Le bruit avait couru que le général Diendéré (voir ci-dessus) avait été libéré, ce qui ne manquait pas d’inquiéter. Mais le 26 janvier, le parquet apporte un démenti définitif à cette fausse nouvelle dans un communiqué dans lequel il annonce aussi la reprise du procès Sankara pour le 31 janvier. Plus d’inquiétude donc quant au retour des partisans de Blaise Compaoré. Alors que le mot restauration, employé jusqu’ici par les militaires, ne manquait pas d’ambiguïté.
Les premiers discours
Conscient probablement du peu de consistance de la déclaration du 23 janvier, Paul Henri Sandaogo DAMIBA s’adresse de nouveau à la nation le 27 janvier (voir : https://burkina24.com/2022/01/27/burkina-faso-premiere-sortie-officielle-du-lieutenant-colonel-paul-henri-damiba/) . Après un hommage aux combattants Il déclare notamment : « les différentes composantes de notre armée nationale, dans une démarche consensuelle ont décidé d’indiquer la voie pour la restauration de l’intégrité de notre Burkina Faso et la sauvegarde des acquis de notre peuple chèrement acquis … Notre agenda est unique et il est clair : la sauvegarde de notre peuple et la refondation de notre Nation. Les indicateurs de mesure de la réalisation de cet agenda demeureront le niveau de restauration de l’intégrité du territoire et la qualité des actions entreprises pour la refondation de notre nation… ». Il annonce une vaste concertation en vue d’aller « vers des décisions consensuelles et inclusives pour la refondation et la restauration d’une paix durable »… « La priorité principale demeure la sécurité… réduire significativement les zones sous influence terroriste et les impacts de l’extrémisme violent ». Et pour cela « redonner aux Forces de défense et de Sécurité ainsi qu’aux Volontaires pour la Défense de la Patrie, la volonté de combattre et d’aller encore plus à l’offensive avec des moyens adéquats ». S’il n’évoque pas encore la lutte contre la corruption, il déclare : « je serai intraitable face aux actes de trahison des aspirations de notre peuple. Les fondements de notre Nation seront sauvegardés et les dossiers engagés sur le plan judiciaire seront souverainement conduits par les autorités ayant reçu compétence à cet effet ».
D’aucuns retiendront en conclusion du discours « La Patrie ou la mort nous vaincrons », la devise de la Révolution voulant y voir « le sankarisme » des putschistes. Ils oublient un peu vite la phrase qui la précède : « Que Dieu bénisse notre Révolution ». Thomas Sankara pourtant très croyant ne fait jamais, dans aucun de ses discours référence à la Dieu, bien que les Burkinabè soient pourtant souvent très croyants. En réalité les militaires semblent peu politisés.
Enfin, lors du discours d’investiture, le 16 février 2022, (voir https://burkina24.com/2022/02/16/investiture-du-president-du-faso-lintegralite-de-son-discours/ ), Paul Damiba : « MPSR ne s’inscrit pas dans une logique révolutionnaire » mais ajoute un peu plus loin : « il s’agit d’intégrer, dans nos comportements de tous les jours, quelles que soit nos origines, notre métier, nos responsabilités ou notre réalité sociale, la valeur d’intégrité dont notre pays porte le nom ». Il poursuit en rappelant l’objectif de « reconquérir l’intégrité du territoire, la priorité absolue, passera par une réorganisation de l’ensemble des forces combattantes » dont il rappelle qu’elle est déjà commencée. Mais cette fois, il précise « la transformation que les Burkinabè appellent de tous leurs vœux doit également s’opérer au sein de l’administration et dans la gestion de la chose publique » et un peu plus loin « la lutte contre la corruption, véritable serpent de mer dans notre pays depuis plusieurs décennies, doit prendre une nouvelle dynamique ». Et il réitère la volonté que le processus qu’ouvre le coup d’Etat soit le plus inclusif possible.
Les premières mesures.
Le nouveau pouvoir a clairement affiché sa volonté de poursuivre ses relations avec les partenaires extérieurs. Ainsi une délégation conjointe des Nations Unies et de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest) est reçu le 31 janvier, trois jours après que la Communauté ait suspendu le Burkina sans qu’aucune sanction n’ait cependant été prise. Cette visite a en outre permis de rassurer les Burkinabè qui s’inquiétaient du sort réservé à Roch Marc Christian Kaboré, grâce à la diffusion d’images le montrant en bonne santé recevant cette délégation.
Le MPSR semble s’être astreint à recevoir tous les corps sociaux pour une vaste concertation, partis politiques, Organisations de la société civile, patrons et organisations de la presse, représentants des entreprises privées, puis ceux des entreprises publics, les officiers supérieurs d’une part, puis les officiers de seconds rangs, les organisations syndicales particulièrement puissantes au Burkina.
Dès son arrivée au pouvoir, le MPSR a pris tout un train de mesure. Les ministres ont été mis en congé et invités « à ne poser aucun acte pouvant faire obstacle à la marche du MPSR » et à ne pas quitter Ouagadougou à moins d’une autorisation spéciale. Les secrétaires généraux ont été appelés à gérer les affaires courantes. Quelques jours après, il appelle les secrétaires généraux à choisir parmi 3 cadres supérieurs intègres et compétents pour les aider dans leur tâche. Il est par ailleurs mis fin aux mandats des différentes collectivités locales qui devaient être remplacés par des délégations spéciales à partir du 8 février.
Au sein de l’armée, tous les Chefs d’État-major ainsi que le directeur de l’ARN (Agence nationale de renseignement) ont été remplacés mais en plus a été créé le Commandement des Opérations du Théâtre National (COTN) dans le but d’une meilleure organisation pour plus d’efficacité.
Dès le 31 janvier le MPSR adopte et diffuse un acte fondamental (voir https://lefaso.net/spip.php?article110888). Il contient 37 articles dont la plupart ressemble à une déclaration des droits de l’homme. La fin de l’acte est consacrée à la définition du rôle dévolu au MPSR. L’article 36 stipule : « Avant d’adoption d’une Charte de la Transition, le disposition du présent acte fondent le pouvoir du MPSR. Dès sa signature, l’Acte fondamental lève la suspension de la Constitution du 2 juin 1991 qui s’applique à l’exception de ses dispositions incompatibles avec le présent acte. » Autrement selon le MPSR, l’adoption de l’action fondamental vaut rétablissement de la constitution.
Plusieurs personnalités vont cependant contester cette procédure. Ainsi, selon Me Guy Hervé, Kam, avocat, ancien porte-parole du Balai citoyen qui a fondé un nouveau parti le SENS « L’acte fondamental du MPSR est un OCNI (Objet constitutionnel non identifié, car insusceptible de se rattacher à un ordre constitutionnel » (voir https://lefaso.net/spip.php?article111121). Le professeur Luc Marius Ibriga, personnalité importante de la société civile, déclarant de son côté que « l’acte fondamental ne peut être au-dessus de la constitution ».
Le débat sur la constitutionnalité de l’investiture de Paul Damiba risque de reprendre rapidement et nous tenterons d’y revenir dans le prochain article.
Contre toute attente, il vient de commencer par la demande de suspension du procès de Sankara par un avocat de la défense. Un des avocats a en effet déposé une requête aux fins d’inconstitutionnalité, le 2 mars 2022, alors que le procès devait reprendre le 3 mars. Sa requête consiste à évoquer le fait que le conseil constitutionnel ayant accepté l’investiture d’un Président ayant pris le pouvoir par un coup d’État, la complicité d’atteinte à la sureté de l’État ne serait donc plus un délit…
A suivre…
Un autre article suivra qui se penchera sur la mise en place de la Transition.
Bruno Jaffré
[1] Une bonne partie de ce récit est issu du bimensuel Courrier Confidentiel N°260 du 25 janvier 2022 (voir https://www.courrierconfidentiel.net/Actualites/m_actualite/496.
[2] Armée Ouest-africaines et terrorisme, réponses incertaines ?, 160 pages, juin 2021, Ed les trois colonnes